Tuer !
7.2
Tuer !

Film de Kenji Misumi (1962)

Pour un néophyte comme moi, Kenji Misumi fait office de figure incontournable lorsque l'on s’intéresse un tant soit peu au chambara. On m'a toujours décrit l'homme comme étant l'un des grands maîtres en la matière, il me tardait donc de découvrir réellement son cinéma au détour de sa fameuse "Trilogie du Sabre". Mes attentes étaient sans doute un peu trop élevées car ce premier volet, "Kiru", m'a légèrement déçu. Le film a beau être d'une redoutable efficacité et esthétiquement soigné, j'ai ressenti cette même impression d'inachèvement perçu autrefois avec le fameux "Sabre du Mal" de Kihachi Okamoto. Les deux films sont assez similaires et proposent un personnage hanté par le pouvoir du sabre. Cette thématique est peut-être répandue dans le milieu du chambara, mais j'ai trouvé que Misumi n'allait pas au bout de sa démarche. Ou autrement dit, c'est comme si le cinéaste ne voulait pas exploiter totalement les pistes qu'il s'était évertué à tracer.

"Kiru" est pratiquement bâti sur le schéma d'une tragédie grecque, on y parle de malédiction et d'un homme en lutte contre sa propre destinée. Misumi ne perd pas de temps en de longues tergiversations narratives pour imposer son cadre, son style est vif et tranchant comme une lame de katana, tout est dit dans un prologue d'une brillante efficacité. Une femme commet un meurtre avant d'être elle-même exécutée, laissant derrière elle un enfant, Shingo, le héros de l'histoire. Naît avec la violence, notre homme semble être touché par une malédiction meurtrière dont il n'arrivera pas à se défaire. Il grandit pourtant à l'écart de ce monde plein de violence et de fureur, dans le cocon douillet de sa famille adoptive. Mais cette accalmie n'est qu'un répit, car la violence et la mort vont rapidement refaire leurs apparitions... tuer devient donc son destin!

Il faut reconnaître à Misuni un vrai sens de la mise en scène pour aller à l'essentiel de son histoire, il utilise habilement les ellipses narratives pour ne montrer, de la jeunesse du héros, que ce qui est nécessaire à la compréhension. Là, où certains vont s'attarder de longues minutes pour étayer la genèse du personnage, lui nous expédie tout cela en quelques scènes, c'est brillant et efficace ! De même, notre homme n'utilise pas de longs discours pour nous faire comprendre le poids de cette malédiction, le visuel parle de lui-même : lorsque la désolation s'empare du paysage, c'est pour mieux nous faire ressentir celle qui habite le cœur de Shingo, de même cette violence qui surgit inopinément et brutalement nous rappelle l'omniprésence de cette fatalité...

De par cette mise en scène précise et épurée, "Kiru" est un chambara d'une redoutable efficacité. Misumi se concentre sur le strict nécessaire, sans temps mort ni fioriture ! En cela, ce chambara est brillant, et mérite amplement sa place de prédilection dans le cœur des aficionados du genre. Seulement pour moi, pauvre novice que je suis, tout cela manque un peu de fond, un de substance, un peu de gras d'une certaine manière. Déjà la malédiction qui entoure le personnage aurait gagné à être nuancée. La violence et la mort sont ses compagnes de route, d'accord, mais était-il nécessaire de faire trucider tous ceux qui l'approchent et notamment les femmes. Car, outre la mère, toutes les figures féminines proches de lui vont passer de vie à trépas brutalement. Jamais un personnage n'a semblé attirer la guigne autant que lui ; c'est un peu excessif tout ça. Et puis, il est également difficile de s'attacher à ce héros ! Déjà, Shingo est représenté comme une sorte de "super tueur", invincible et impitoyable, qui taille en pièces ses adversaires en un instant ! C'est très efficace, mais je préfère les combats avec un peu plus de "sueur" et d'intensité, où il existe un soupçon de suspense. Et puis surtout, la narration effrénée de Misumi l'oblige à ne pas approfondir ses personnages et nous empêche de nous attarder sur ses problématiques. Vous me direz que ce n'est sans doute pas le but d'un chambara ! D'accord, mais je pense que l'intrigue aurait mérité à être plus étoffée. Cela dit, "Kiru" reste une perle de mise en scène et d'efficacité, portée par un Raizo Ichikawa impérial. Un incontournable que je recommande évidemment, avant de me pencher attentivement sur les deux autres opus.

Note : 7.5

Créée

le 1 mai 2023

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Procol Harum

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