Si dans le petit monde du film noir This Gun for Hire brille d'une aura toute particulière, ce n'est sûrement pas à cause de sa mise en scène ou de l'originalité de son histoire, mais parce qu'il a permis l'union de l'un des plus beaux couples de l'histoire du cinéma, à travers la rencontre entre Veronica Lake et Alan Ladd. Avant que Hawks ne vienne immortaliser le couple Bacall-Bogart avec To Have and Have Not, Frank Tuttle lance, ainsi, l'un des couples les fameux du film noir. Veronica, la blonde à la beauté énigmatique, et Alan, le taciturne à la virilité fragile, étaient faits pour se rencontrer. C'est une évidence. Tuttle a eu l'opportunité de les unir mais a surtout eu le talent d'exploiter au mieux leur rencontre. Il suffit de voir le film pour s'en rendre compte, l'alchimie entre ces deux êtres se voit immédiatement à l'écran, imprégnant l'atmosphère d'une sensualité diffuse, électrisant à tout jamais la pellicule de leur charisme. Tuttle, conscient sans doute du potentiel de ce couple, filme cette union à la manière d'une danse langoureuse, adaptant son rythme de la sorte que le spectateur puisse apprécier chacun de leur pas.

Adapté d'une nouvelle de Graham Greene, This Gun for Hire possède tous les atouts du film noir d'antan, en nous réservant ce qu'il faut de personnages tourmentés, d'intrigues tortueuses et d'univers sombre, immoral à souhait. L'histoire aborde en filigrane une sombre affaire d'espionnage opposant Américain et Japonais pour l'acquisition de la formule d'un gaz mortel. Cette trame narrative, au final très accessoire, n'est là que pour montrer la fourberie des Nippons... on est en 1942, et comme on dit "à la guerre comme à la guerre"... Bon passons sur cet aspect des choses pour aller à l'essentiel, c'est-à-dire les personnages. Car comme dans tout bon film noir, l'intrigue n'est qu'un prétexte pour faire évoluer des individus pris dans la tourmente.

Raven a tout du parfait tueur. Il nous apparaît comme un être froid, impassible, méthodique et implacable. Mais rapidement, on se rend compte que le personnage est plus complexe qu'il n'y paraît. Ce n'est pas juste une simple machine à tuer mais un homme profondément meurtri qui dissimule sous sa froideur apparente, de nombreuses blessures.

Toute la réussite de Tuttle réside dans sa capacité à nous faire percevoir les différentes facettes de cet homme tout le long du métrage. D'ailleurs, il va très bien nous faire ressentir l'état de détresse de son personnage en opposant les plans froids et déserts (entrepôts désaffectés...) où évolue le tueur avec ceux, beaucoup plus vivants, où évoluent les autres personnages.

Ensuite, durant le film, Raven va progressivement évoluer, brisant peu à peu sa carapace pour gagner en humanité. Cette "lecture" de l'homme, va se faire notamment à travers l'affrontement entre Raven et le personnage de Cregar ; ce dernier étant son parfait contraire, un homme vil et lâche.

Mais surtout à travers sa relation avec Ellen qui va obliger notre homme à se mettre en avant, à fendre l'armure. C'est deux là vont vite jouer au chat et à la souris, avant d'aller s'aventurer sur les versants de la séduction. Le film regorge, ainsi, de petites scènes qui sont autant de moments de grâce, d'instants fragiles, hors du temps, et qui font toute la saveur du cinéma. De leur rencontre à l'écran jusqu'au moment où Raven sauve Ellen, leurs relations évoluent, les sentiments prennent le pas sur les postures ; et lorsque la belle lui laissera un baiser sur la joue, le sourire qui se devine alors sur le visage de Raven en dit plus sur l'homme que tous les discours.

Alors bien sûr le couple Veronica Lake/Alan Ladd vampirise totalement le film, ne laissant que quelques miettes à leurs partenaires (Robert Preston et Laird Cregar, mais qui sont loin d'être mauvais). This Gun for Hire est un film à voir pour eux avant tout, mais également pour apprécier ce personnage mythique de Raven qui inspirera notamment Melville pour Le Samouraï.


Procol-Harum
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le 22 août 2023

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