Quelques semaines après la claque monumentale que m’a mis Nobuhiro Suwa avec M/other, j’enchaîne sur Un couple parfait, film tourné par le cinéaste avec des acteurs français et à Paris.


On retrouve dans ce film les éléments caractéristiques du style du réalisateur japonais : plans longs, fixes, très réfléchis et donnant la part belle au hors-champ ainsi qu’aux perspectives, lesquelles mettent à distance les personnages entre eux alors qu’ils sont souvent très proches, dans un espace clos. La luminosité, tamisée, parfois sombre, vient un peu plus renforcer cette impression de réalisme intimiste dont on sent l'influence du shomingeki. La musique est quant à elle distillée au compte-goutte, ne venant soutenir qu’à de rares occasions les scènes dans lesquelles on perçoit le dilemme auquel sont confrontés les deux personnages principaux.


C’est là que réside tout le génie (n’ayons pas peur des grands mots) de Suwa : dans cette capacité à l’économie cinématographique sans pour autant paraître « pingre ». Au contraire, il se dégage du film cette surprenante impression de complétude, que tout y est dit subtilement sur le sujet qu’il aborde. Le sujet, c’est la séparation du couple, son divorce annoncé, les disputes qui émaillent la fin d’une relation amoureuse au point de rendre la situation invivable pour l’un comme pour l’autre.


Le jeu d’acteur de Valeria Bruni-Tedeschi et de Bruno Todeschini est époustouflant, ni plus ni moins. Une grande liberté d’improvisation leur a été laissée par Suwa, et qu’est-ce qu’ils excellent dans ce domaine ! On ne se doute pas à quel point il peut être difficile d’improviser dans une scène en plan-séquence de dix minutes. Là c’est un sans-faute : tout paraît vrai, à commencer par les dialogues, cette langue française qui fait parler beaucoup pour ne pas dire grand-chose, répéter les mêmes poncifs, inlassablement, qui questionne sans pouvoir obtenir de réponse claire, définitive, si ce n’est ce silence au rôle si particulier dans l’œuvre de Suwa. Comme dans M/other, le silence est à la fois temps de la réflexion vis-à-vis de l’autre, mais également temps de l’introspection, de la remise en question de sa propre place au sein d’une société dont on interroge implicitement la capacité aliénante, dirigiste, que ce soit à travers ses codes sociaux ou sa structure familiale.


Suwa est très proche de Cassavetes à cet égard : il n’hésite pas, à plusieurs reprises, à utiliser le gros plan sur les visages de ses protagonistes, lors des moments de crise existentielle intense. C’est dans les yeux et les larmes que sa caméra trouve les preuves les plus sincères de l’ego, éloigné de tout fard, de toute mascarade. Il est à ce titre remarquable de souligner que ces moments surviennent dans la solitude, au contact de l’art (Rodin, pour Marie) ou d’un ivrogne, devenu le temps d’une discussion de comptoir une sorte de vieux sage contribuant à remettre en perspective l’événement de la séparation sur un temps plus long (pour Nicolas).


La rencontre d’un élément étranger au mariage, et qui paraît pourtant familier car proche de la parentèle est un autre point commun des pérégrinations de Marie et Nicolas. Chacun rencontre (ou retrouve) une personne qui vient à sa manière signifier l’importance de l’autre, en négatif (mais pas négativement, subtilité), et ainsi acter le retour du mariage comme entité tangible, exprimée (même remise en cause) et limitative.


C’est finalement lorsque la séparation intervient de manière symbolique (par le dédoublement de la chambre d’hôtel) que la rencontre des corps peut de nouveau avoir lieu entre Marie et Nicolas, contribuant à soutenir la lecture selon laquelle l’intégrité de l’union maritale ne peut être préservée qu’au prix de mises à distance ponctuelles et consenties de l'être aimé (dans l'optique de rompre cette routine déjà évoquée dans M/other).


Un film marquant de par sa très grande finesse et son réalisme à tous points de vue, qui subjugue du début à la fin et dans lequel finalement on regarde intensément, comme dans un miroir, sa propre image.

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