The Loneliness of the Long Distance Driver.

Inutile de tourner autour du pot, "Under The Skin" est une réussite totale. Le genre de film qui marque pour longtemps, très longtemps. Il est difficile d'écrire une critique sur une oeuvre qu'on a adoré. Difficile de retransmettre ses émotions, difficile d'analyser correctement au plus haut degré, difficile d'être constructif et de ne pas se mélanger les pinceaux. Bref, une petite épreuve en soi-même.


Il y a beaucoup d'analyses concernant le fond du film. N'ayant pas lu ces dernières, je propose donc la mienne. Même si au final, la compréhension scénaristique n'est qu'un détail face aux nombreuses qualités du long-métrage.


"Under The Skin" met en scène Laura, une fille pétillante au regard vide, aux lèvres pulpeuses et aux cheveux noir jais. Elle sillonne une Écosse tantôt rural, tantôt moderne en aguichant avec malignité et simplicité des hommes, dont la particularité est qu'ils sont seuls. Sans amour, comme perdu dans les méandres des sentiments. Laura est dans une situation analogue : seule, en quête de quelque chose. Le film suit ses péripéties, la regardant évoluer tant bien que mal dans un monde gangrené par la superficialité (elle tape dans l’œil des hommes uniquement grâce à son physique, aucun ne lui demande sa vie, sa profession).
Laura a une particularité bien à elle : c'est un extra-terrestre. Elle semble être envoyée par un autre de ses semblables, qui se matérialise sous la forme d'un motard. Est-ce une esclave ? Est-ce une scientifique anthropologue ? Ou est-ce, tout simplement, un extra-terrestre qui se recherche soi-même en changeant complètement de corps, d'environnement ?
Personnellement, je penche pour la dernière hypothèse. L'enveloppe humaine lui semble être un cadeau, un moyen d'arriver à un but, qui nous est toujours caché. La part de mystère n'est pas dans les transformations opérés dans cette masse impressionnante de noire lacté. Non, la part de mystère est dans le but de Laura. Tout comme son regard, elle semble complètement vide. Vidée, torturée par un passé douloureux qui l'a peut-être donnée envie de voyager, d'explorer d'autres contrées.
Son corps est donc un atout fabuleux, lui permettant de charmer et de découvrir le monde tout en gagnant à se connaitre. La scène du miroir, où elle admire ses formes humaines est très explicite : elle aime son corps, elle aime enfin ce qu'elle est. C'est encore plus palpable dans ce final déchirant, où le feu rencontre la neige. Son regard juste avant l'immolation est d'une souffrance et d'une mélancolie époustouflante, une chose qui tort le cœur dans tous les sens.


Pourtant, sa quête est semé d'embûches, où elle (re)découvre un univers maladroit, bouffé de l'intérieur par des pensées nuisibles, critiquables mais réelles. Chaque homme rencontré vis à travers des désirs, souvent des désirs sexuels. Laure, elle, ne connait pas le sexe. Elle essaye de le comprendre. Mais à chaque fois qu'elle est proche de l'acte, elle tue son amant en l'enfouissant dans cette fameuse voie lactée noire. Elle n'arrive pas à franchir le cap, ou peut-être ne comprend t-elle pas qu'il faut le franchir pour se découvrir véritablement.
Puis le moment attendu arrive. Un moment d'une intensité encore une fois époustouflante. Un homme, pas comme les autres. Gentil, attentionné, sachant mettre en confiance. Une lumière rouge, des caresses puis la découverte dans des yeux précédemment vides. La vie naît, Laura naît et semble enfin s'accepter.
Cette acceptation est remarquable dans la relation (?) qu'elle entretient avec le motard, qui reste sans aucun doute la grosse interrogation du film. Elle s'enfuit, ne cherche pas à le contacter. Il est, lui, perdu, quasiment affolé comme le montre les pointes de vitesse sur la moto. Sait-il qu'elle s'est enfin acceptée ? A t-il peur qu'elle soit devenue humaine ? La question reste en suspend.


"Under The Skin" semble donc être un voyage initiatique. C'est ce que j'ai ressenti. Une quête à la fois personnelle et spirituelle. Le panorama des lieux écossais donne raison à cet argument. La ville au début, les villages ouvriers au milieu, la nature à la fin. Laura parcoure ces endroits, ne laisse rien à l'écart, cherchant où il faut chercher, ne lâchant jamais son but. C'est visible dans une scène assez déchirante, où un homme voit sa femme se noyer, son bébé hurlant sur la rive tandis qu'un second homme souhaite l'aider à sortir des vagues déchaînées. Laura reste impassible, n'amorçant aucun geste en faveur des victimes. Elle est stable, l’œil encore vide. La gravité de la scène contraste avec la froideur que dégage Laura, alors encore totalement dans une mentalité qu'on peut qualifier d'extra-terrestre en vue de sa nature.
Initiatique résonne comme évolution. Laura, comme je le disais précédemment évolue. La première évolution majeure est à la fois troublante et magnifique. Cherchant un homme, elle tombe sur un visage déformé par une maladie orpheline. Au lieu de le repousser, ou même de le tuer, elle décide de lui donner une chance, de lui apporter quelque chose. Le comprend t-elle ? Sait-elle ce qu'il ressent en étant ainsi différent ? Une alchimie est créée. Son passé rencontre son futur dans un présent fusionnel.


Malheureusement sa véritable nature réapparaît sous le coups des efforts, des blessures. La scène où elle essaye de manger un gâteau au chocolat va dans ce sens là. Malgré son envie, elle ne peut pas battre ce qu'elle est. L'illusion marche un temps mais ne satisfait en rien la réalité. Le choc de deux mondes pour une dépression et un anéantissement féroces.


Ce long-métrage est d'une beauté et d'un pessimiste éclatant. L'esthétisme apporte un côté majestueux, quasiment divin. Car Laura n'est-elle pas une sorte de dieu ? Capable de modeler les corps humains, de les transformer, ou même de les créer en incorporant une dimension nouvelle de désir animal ? Les transformations dans la "voie lactée" sont tout simplement hallucinantes. Voir ses corps bleutés vieillir, se couvrir, se tordre... C'est d'une poésie absolue. Je suis resté pétrifié devant une telle maîtrisé, devant une telle beauté.
Mais assurément, le final atteint un niveau rarement élevé d'émotion. J'ai tout simplement été émerveillé et attristé devant une telle scène, une telle barbarie devant l'inconnu, qui montre encore une fois toute la cruauté et l'exclusion envers l'inconnu (mais n'aurai-je pas fais la même chose si j'avais été devant cela ?). Ces quelques pas pour s'effondrer dans la neige sont terriblement intenses. Une poésie, une beauté, un éclair. Tout ce qui se rapporte à l'émotion pure est condensé dedans.


Scarlett Johansson interprète Laura et s'offre ainsi un rôle à contre-emploi. Et pas n'importe quel rôle. Elle est tout simplement divine dans le film, donnant âme et corps au projet. Il est intéressant de remarquer un jeu d'acteur qui s'affirme, à la fois mystérieux mais fort (comme ses participations en Veuve Noire dans les Marvel). Sa force réside principalement dans le regard, pénétrant mais toujours sous le courroux d'une vacuité voulue.
Sa performance est merveille. Simple en apparence, mais complexe "sous la peau".
Jonathan Glazer pour son troisième film effectue lui aussi un coup de génie avec une mise en scène rendant à merveille compte des événements. Sa caméra alterne les plans serrés, fixes et j'en passe. Il est partout et s'intègre parfaitement au long-métrage, n'étant pas un simple réalisateur mais aussi un acteur à part entière, ce qui ajoute encore plus de force.


Concluons sur la musique, absolument merveille (encore !). Elle sonne très expérimental et joue sur les sentiments que suggèrent le film : la peur, le désir, la rapidité, la vacuité. La scène du premier rapport sexuel de Laura est, dans cette optique, un coup de maître, une action qui prend aux tripes et qui ne nous relâche jamais.


"Under The Skin" est beau, tout simplement. Beau mais intensément triste.
J'ai été touché, vraiment touché et je pense m'en souvenir longtemps, très longtemps.

Nikki
9
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Quelques éclats de rêve. et Visionnages 2014.

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le 2 août 2014

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