Sur un sujet brûlant d’actualité, la guerre en Syrie, le cinéaste belge Philippe van Leeuw tire un film déchirant et qui sort des sentiers battus et des clichés du cinéma arabe. En nous faisant vivre la journée d’une famille syrienne sous forme d’un huis-clos, il fait ce que tous les médias ne font pas et devraient faire. Il nous plonge dans l’intimité de ce que les civils syriens vivent au quotidien dans leurs maisons et leurs appartements pendant que les bombes explosent et les balles sifflent. Tout l’aspect armé du conflit reste hors champ. Cela n’empêche pas « Une famille syrienne » d’être bien plus explicite que n’importe quel reportage de guerre ou page d’actualité nous serinant toujours les mêmes images de quartiers détruits ou de soldats se battant sur le front.
Prendre la guerre par ce prisme est une grande idée de cinéma. On sort de la salle grandi et beaucoup plus conscient de ce que peuvent endurer des millions de personnes à travers le monde, que ce soit dans cette guerre ou une autre. Et que les civils deviennent la chair à canon des guerres d’aujourd’hui parfois en lieu et place des combattants professionnels. On ne sortira jamais de ce grand appartement où vivent une famille à priori aisée (comme quoi aucune classe sociale n’échappe à la guerre), leur bonne et un jeune couple de l’immeuble qu’ils hébergent depuis que leur logement a été détruit. Durant une petite heure et demie (le long-métrage a le mérite d’être court et intense), on vit leur souffrance, on ressent leurs peurs et on comprend leur désarroi. C’est un petit peu long au démarrage et des mini-intrigues amoureuses apparaissent inutiles face à la force du propos. Des petits défauts dérisoires au regard de l’impact émotionnel et moral de cette œuvre atypique.
Le constat est pessimiste et le film semble annoncer que cette journée est la répétition de centaines d’autres avant et après. Mais il montre aussi la dignité d’un peuple divisé entre ceux qui veulent partir et ceux qui ne quitteront leur pays pour rien au monde. Centré autour d’une scène d’horreur de tous les jours difficilement soutenable mais pleine de tension, le cinéaste ne se fait cependant jamais voyeur. Il nous met face au visage les atrocités commises en temps de guerre devenues des banalités, où plus aucune loi si ce n’est celle du plus fort ne prévaut. Le travail sur le son des bruits de guerre au loin ou tout près est sensationnel et nous fait avoir peur avec les occupants de l’appartement. « Une famille syrienne » n’est pas un film d’abord facile ; mais c’est assurément un film nécessaire qui montre la guerre du point de vue des civils, tout comme leur quotidien fait de privations et d’enfermement, ce n’est pas si souvent.