Le film qui voulut être pote avec l'Histoire

Unfriended me bottait bien. Je n'avais jamais regardé la bande-annonce mais l'histoire me paraissait intéressante et, dès les premières minutes, je vis tout le potentiel que le film possédait.
Un film dont le potentiel immense pouvait ouvrir un nouveau regard sur la notion de point de vue au cinéma. En effet, l'intégralité (ou presque mais on y reviendra) du film se passe à travers l'écran de l'ordinateur de Blaire, le personnage principal.


Si l'on en croit le réalisateur Levan Gabriadze, son intention initiale était d'établir un portrait sur le harcèlement. Ayant vécu le harcèlement durant son enfance en Géorgie Soviétique, puis à l'armée, il constata que cette notion évolua à cause d'Internet et permit à ces petits cons de continuer leur travail en dehors des heures de cours.
Ce film pouvait devenir LE pamphlet envers le harcèlement moral sur Internet, aucun film n'ayant (à ma connaissance) abordé ce sujet de manière aussi frontale auparavant.
Et le début du film nous fait bel et bien croire que ce sera le cas !


Mais comme rien n'est éternel, surtout les bonnes idées dans les films d'horreur, le film fini par ressembler de plus en plus à ce pour quoi il a été crée : un film d'horreur gore pour ados et d'une banalité sans nom...


On le sait tous (ou presque), l'horreur est un genre, si ce n'est LE genre, ultra-codifié par excellence. Mais tonton Hitchcock ne disait-il pas justement ceci ? :



Il vaut mieux partir d'un cliché que d'y finir



Dans le cas de Unfriended, ça commence avec des clichés... et ça fini avec encore plus de clichés... Et on a une belle liste rien qu'avec les personnages (des qui n'évoluent pas vraiment) : le geek (forcément) en surpoids et binoclard (Ken), la narcissique qui se croit plus intelligente que les autres (Val), la blonde stupide (ici dans le sens ado qui se fiche de tout et non pouffiasse de NRJ12) (Jess), le gars baraqué meilleur que tous et trop sur de lui (Adam), l'éternelle final girl (Blaire) et... le fantôme vengeur (Laura). Et l'on n'échappe pas aux autres clichés du type


la première personne à mourir est la narcissique stupide (puisqu'il n'y a pas de noir), la final girl face au fantôme et le fameux « je suis en fin de film d'horreur et la dernière chose que je vois est le fantôme qui saute sur la caméra »


De même que l'aspect social qu'aurait pu revêtir le film (son potentiel discours sur le harcèlement moral)... oublié en cours de route au profit d’hectolitres de sang et de mises à mort ridicules...
Mais comme je l'ai dit plus haut, l'horreur est un genre codifié et, au final, ce n'est pas si grave d'en avoir. C'est juste le manque de prise de risques de ce film et le fait qu'il n'aille pas jusqu'au bout de ses idées que je critique avant tout.


Si l'on passe au-delà des clichés, on se retrouve face à une mise en scène ultra-minimaliste et novatrice, du jamais-vu auparavant. Celle-ci est vraiment efficace et donne quelques beaux moments de tensions (ce long passage avant la mort de


Val


notamment) et permet d'accentuer la peur si on regarde le film en plein écran sur l'ordinateur.
Mais c'est de là que vient le gros problème que j'ai avec ce film. Il ne respecte pas :



  • L'unique point de vue utilisé pendant tout le film (l'écran).

  • Et donc son intention de base, à savoir faire passer l'intégralité du
    film à travers un écran d'ordinateur... Et c'est vraiment sur ce
    dernier point sur lequel je veux insister.


Il y a des films qui brisent cette règle (souvent parce que le réalisateur veut montrer quelque chose en particulier, parfois parce ce que ce dernier est un fainéant, etc), mais là je ne vois pas pourquoi ça a été fait...


Attention, la suite de cette critique contient quelques spoilers puisque j'évoque les 10 dernières secondes du film. Si vous n'avez pas vu le film, vous pouvez sauter cette partie banalisée et rejoindre la fin pour une petite conclusion sympathique.


Les 10 dernières secondes voient le fantôme refermer l'écran (le point de vue semble devenir celui de Blaire sans qu'aucun mouvement de caméra ne se fasse) et sauter à notre visage...
Le plus logique, selon moi, aurait été de finir le film sur l'écran qui s’éteint, c'est suffisamment limpide pour le spectateur que Blaire meurt. Et ne pas voir le fantôme aurait amené le spectateur à se faire sa propre idée sur l'aspect abstrait ou concret de la chose qui les attaquait (ou pas du tout s'il s'en fiche).
Ce dernier point est contestable bien évidemment, il s'agit avant tout d'un choix du réalisateur, mais je pense sincèrement que ne pas le voir aurait été bénéfique.


Revenons à nos moutons : ce changement de point de vue. Il semble que ce soit un choix de mise en scène.
OK, pourquoi pas.
Mais ça reste bizarre à regarder. Laissez-moi m'expliquer (encore) :
La position de la caméra ne semble pas changer entre l'intégralité du film et ces 10 dernières secondes, comme si le point de vue de l'ordinateur et celui de Blaire était le même depuis le tout début. Une image assez bizarre puisque ça voudrait dire que la tête de Blaire est littéralement collé à l'écran, et, dans ce cas, pourquoi ne l'entend-on pas de tout le film à part à travers Skype (entre autres) ?
Personnellement, je trouve que ceci est une erreur et fait fortement écho à la tentative ratée d'en faire un film social : au final il s'agit d'un film possédant de bonnes idées et des intentions nobles mais perverties par la facilité et (probablement) par la fainéantise, créant du coup un film n'allant pas du tout au bout de ses idées...


Inutile de revenir sur tout le potentiel gâché, je pense que vous avez compris toute la déception que j’éprouve sur le sujet. Il semblerait qu'un parallèle soit possible avec The Purge grâce à l'aspect social qu'aurait pu revêtir le film mais n'ayant pu le voir, je ne m'avancerai pas plus.
Je tiens aussi à exprimer ma crainte quant à l'avenir du cinéma d'horreur : le coté minimaliste (et donc peu cher, 1 million de budget) du film a permit d'engranger 64 millions de dollars ! Si le genre mit du temps à exploser, le found footage fut une révolution en terme de mise en scène et coûtait peu cher ! Du coup on en a eu à la pelle pendant des années avec une qualité déclinante (avec quelques perles entretemps, ne l'oublions pas)...
En théorie, Unfriended est un found footage, mais je trouve qu'il crée un sous-genre dans ce domaine. Là où je veux en venir, c'est la crainte de l'explosion de ce nouveau sous-genre tout comme le found footage en son temps et de voir des sous-Unfriended avec de moins en moins de talent...
Ça n'arrivera peut-être pas mais sait-on jamais (en sachant que le studio et le réalisateur ont prévus de faire une suite)...


Dans tous les cas, ça fait plaisir que le cinéma commence à s’intéresser au cyber-harcèlement, peu importe le genre utilisé !

19fox64
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le 25 mars 2017

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