Urgences, c'est un peu la version rugueuse et crado de 12 jours, le documentaire que Depardon réalisera 30 ans plus tard sur une thématique relativement connexe. Je n'ai pas d'autre point de comparaison, n'ayant pas encore vu San Clemente. Une plongée dans un service des urgences psychiatriques à l'Hôtel Dieu (le seul hôpital a recevoir quiconque à toute heure sans exception d'âge, de sexe, de pays, semble-t-il), avec la démarche que l'on connaît chez ce cher Raymond : pas de commentaire, en s'effaçant autant que possible derrière sa caméra discrète sans toutefois prétendre à une quelconque objectivité et autre absence d'influence de la lentille sur le sujet. À travers une dizaine de portraits tous autant fragiles les uns que les autres mais dénotant des troubles d'une grande diversité, il résulte de cette captation très calme et de ce regard très spontané un constat aussi lucide que brutal, froid, pourvu d'aspérités notables.


Je me suis toujours interrogé sur la dénomination de la folie : qu'est-ce que ça signifie, "être fou" ? Le terme m'a toujours paru flou et réducteur, approximatif au mieux, très dommageable souvent. En tous cas Depardon s'intéresse à d'autres visages de la folie, ou des troubles psychiatriques, à l'aide de témoignages de personnes peu avares de paroles — on nous signale à ce sujet qu'un consentement a été obtenu auprès de toutes les personnes qui apparaissent dans le docu, mais le niveau de conscience des uns et des autres amène tout de même à questionner la valeur de ces consentements... Ainsi défilent devant la caméra (globalement immobile) des schizophrènes, beaucoup d'alcooliques, des dépressifs, des paranoïaques, des suicidaires, des mythomanes, des excités, certains racontant assez sobrement leurs maux et d'autres se montrant manifestement intarissables de paroles ou d'insultes.


Les thématiques qui reviennent sont souvent les mêmes : solitude, beaucoup, mais aussi angoisse existentielle, surmenage, etc. Des existences bien moroses, froides, ternes, que Depardon retranscrit avec la pudeur et le respect qu'on lui connaît. Des malades prisonniers de leur mal-être et de leur souffrance, surtout, qui s'expriment comme ils peuvent face à des médecins, parfois dans des formes très absconses et cryptiques de discours, avec de temps en temps un immense désarroi qui sourd violemment de ces entretiens.


http://je-mattarde.com/index.php?post/Urgences-de-Raymond-Depardon-1988

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le 6 janv. 2021

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Morrinson

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