Critique comparée film & Comic : Bon film, mauvaise adaptation.

Attention, longue critique. Si vous n'arrivez plus à lire des scribouillis de plus de 140 caractères agrémentés de #, passez votre chemin.


J'ai découvert le V pour Vendetta avant le comics. J'ai revu un grand nombre de fois le film, au point qu'à certaines périodes, je ne laissais pas le temps au DVD de refroidir.


Petite critique du film sans Spoilers en tant que tel pour commencer.


V pour Vendetta était à la base un projet de trilogie des frères frères Andy et Larry Wachowski, doté d'un script imposant et fouillis, selon la rumeur transcription bien plus fidèle au comics du maitre Alan Moore. Les studios ayant refusé le projet, il fut abandonné. Après le succès de Matrix, ils acceptent d'y jeter un coup d'œil à nouveau, mais refusent une trilogie n'offrant pas un premier film pourvu d'une véritable fin. Les frères Andy et Larry Wachowski abandonnent, revoient complètement le scénario, non pas en condensant l'histoire, trop complexe, mais en la changeant. Radicalement. Et la réalisation est confiée à leur assistant réalisateur sur la Trilogie Matrix.


Résultat ? Un vrai "blockbuster intelligent". Voilà une formule consacrée qui s'applique parfaitement à ce film. C'est du spectacle, c'est du divertissement, ce n'est pas un film d'auteur à gros budget. Il est cependant pourvu d'un ton et d'un propos qui, étant donné le matériau de base, ne peut laisser indifférent. Un terroriste assassin héros d'un film, à notre époque, il faut quand même le faire, c'est presque curieux qu'un budget ait pu être débloqué avec un pitch pareil.


Niveau réalisation, Mc Teigue a ses bons moments, et ses moins bons. L'air de rien, entre assistant réalisateur et réalisateur, il y a un gouffre, Mc Teigue ne résiste pas à quelques effets de manches parfois disgracieux (le spectre traînant des couteaux virevoltants de V, la pluie tombant sur Evey, les ralentis, plutôt incongrus ou inutiles en général...). Globalement cependant, c'est très regardable. Les scènes d'actions sont globalement fadasses, mais les plans plus posés offrent de belles images plus que correctement mises en scènes (petit coup de cœur pour les images incrustées des manifestations sous l'ère Tatcher dans le film).


Un des gros points forts du film reste sa musique, que ce soit la partie composée, toujours dotée d'une rythmique donnant une sensation d'inachevé (Tempo 5/4 ?) et de tension surmontée de longues notes de violons, ou des emprunts à la musique classique. Le choix de l'ouverture 1812 de Tchaïkovski pour les scènes d'explosions est tout simplement parfaite, à croire que ce brillant mouvement a été écrit pour le film (un peu à l'image de la Charge des Walkyries de Wagner dans Apocalypse Now). Quand je relis le comics, je lance Tchaïkovski, c'est tout dire.


Niveau scénario, en essayant d'oublier celui d'Alan Moore pour sa bande dessinée, c'est du tout bon également. Étant donné que nous sommes dans un blockbuster (donc un public visé pas spécialement là pour se prendre la tête), le personnage de V est écrit pour devenir un professeur accéléré de la théorie anarchiste, et le propos global de rébellion face à l'oppression, forcément fédérateur, donne quelques frissons et titille le peu de conscience politique qui reste à notre génération, engoncée dans ses habitudes d'avoir le droit de l'ouvrir mais qui n'en voit pas l'utilité, ou si peu et pour des choses si futiles.


Niveau dialogues, c'est remarquable. Ne cherchant jamais à perdre le spectateur, les personnages, de part leurs échanges, filent une tapisserie révélant le complot final, à la fois factuel et idéologique. Au delà même des emprunts à Shakespeare ou Dickens, le verbiage de V est savoureux, à écouter en VO tant la diction d'Hugo Weaving, acteur de théâtre avant tout, est parfaite.


Le tandem Hugo Weaving / Natalie Portman est brillant. Natalie Portman arrive parfaitement à incarner ce personnage soumis, déboussolé, qui évolue, dans son phrasé comme sa posture, au fur et à mesure que sa conscience "politique" s'affirme. Elle dégage de plus une fragilité touchante qui transcende sa performance finale. Et puis bon sang, quand même, soyons honnêtes, elle est juste superbe à regarder, même la tête rasée (D'accord, je suis amoureux depuis Léon, ça date)... Hugo Weaving réalise lui un tour de force a dégager autant d'émotions de part sa posture et ses mouvement de tête, jamais outranciers, tout en étant constamment affublé d'un masque ! Grosse performance d'acteur !


Pour l'ensemble, j'attribue donc un 8/10 bien mérité à mon sens, au pire un 7++, mais étant donné le nombre de fois où je l'ai vu, ce serait hypocrite de ma part de lui mettre moins.


Voilà pour ma "courte" critique du film. Passons maintenant à la comparaison avec le comics. Attention, à partir de maintenant c'est truffé de spoilers, tant du film que de la bande dessinée.


Le problème fondamental de V pour Vendetta, le film, c'est que le traitement du personnage d'Evey et de V est radicalement différent. Alors que dans le comics, nous avons affaire à une relation dominant / dominée, ou V façonne Evey, fragile et influençable, en réceptacle de sa doctrine, au final sa créature capable de prendre sa relève une fois sa mort programmée accomplie, le film cède quant à lui au piège d'une romance, même pudique et non consommée, entre les deux. La corollaire en est que les motivations de V ne sont plus les mêmes, adaptant son plan à Evey, alors qu'elle n'est qu'un rouage de son plan dans le comics. C'est l'ensemble du propos de l'œuvre qui est mis à bas.


Le personnage de Finch subit également une refonte radicale. Sa destinée dans le comics est d'être "l'antéchrist" de V, celui qui équilibre le rapport de force final pour permettre à l'Angleterre de choisir sa voie et non de tomber dans le chaos complet (en tuant V et en refusant de reprendre les rênes du gouvernement). Ainsi, dans le comics, Finch tire, est un désespéré haïssant ce qu'il est devenu, mais refusant de prendre le pouvoir et s'enfonçant dans le néant... Dans le film, il passe dans l'autre camp, et bénéficie d'un happy ending un peu grossier, puisqu'il finit avec Evey (Si on regarde attentivement les différents plans s'enchainant dans la "vision" de Finch, on l'aperçoit en arrière fond dans un bel appartement, sirotant son bourbon, tandis qu'Evey, cheveux longs, dispose des roses dans un vase).


Au delà du changement de perspectives des personnages (Prothero est également transfiguré dans le film, réduit au rôle de vieille brute, quant au chancelier, ce n'est tout simplement pas le même personnage. Du tout.), c'est le propos global du comics qui est altéré, de fait changé. Le film a pour thème la révolution face à l'intolérance et le totalitarisme, transcendé par une histoire d'amour impossible. Le comics a pour thème le contrôle, la soumission consentie des peuples envers leurs gouvernants et la manipulation des forts envers les faibles. Plus ardu, le message du comic est implacable et dérangeant. On s'interroge réellement sur notre capacité à accepter d'être "libre" au sens noble du terme. Alors que globalement, on acquiesce béatement envers le propos du film, finalement gentillet.


Globalement, le film se réduit malgré tout au premier tiers du comic. Vengeance et explosions de vieux bâtiments. Toute la machination de V pour rendre fou le chancelier en piratant "le Destin" (Grand absent du film, à peine évoqué sous le terme "interlink") n'est pas intégrée.


Enfin et surtout, V n'est pas là pour "libérer le peuple", il le manipule pour ce qu'il pense être le mieux, bien que sa conscience soit altérée suites aux expériences de laboratoire qu'il a subi (comprenez complètement frapadingue). c'est un "totalitariste" de l'anarchie, qu'il conçoit sans chef mais pas sans ordre. C'est en ce sens qu'il programme sa mort et "attend" Finch, pour ne pas devenir ce qu'il combat.


Ceci n'est bien sûr qu'une analyse superficielle et de division amateur j'en conviens, mais elle n'est là que pour souligner que, malgré la réussite indéniable du film, étant donné son succès populaire comme critique, V pour vendetta le film, n'en est pas moins une forme d'insulte (toute proportions gardées) à l'œuvre d'Alan Moore, dénaturant son essence même.


Pour conclure (Tu as réussi à tout lire ? Bravo, tu as gagné toute ma considération, espèce de maso !), V pour vendetta est un excellent film, mais une adaptation qui n'a de fidèle que la retranscription graphique et le titre. Le reste n'a rien à voir.


Ma note est je le rappelle indépendante de la qualité de l'adaptation. Une bonne adaptation aurait tout aussi bien pu déboucher sur un très mauvais film.


Critique du comics.

Hypérion

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