Pour qui a vu quelques films de Dreyer, Vampyr est une œuvre tout à fait surprenante. Avant même de l'avoir vu, l'idée que le réalisateur danois adepte d'un cinéma rigoureux, à la mise en scène sans artifice, sorte de cinéma pastoral, puisse donner dans le fantastique avec les effets de mise en scène que cela implique, éveille en nous une grande curiosité.

De source familiale certaine, Eudes, ancêtre de votre dévoué Yoshii et passionné déjà par le cinéma déclarait à l'époque : "ma foi, je veux bien que ma grosse me tire sur les bacchantes et assoie son imposant séant sur mon galure, si cette histoire là accouche de quelque chose de foutable" . Eudes, était un cinéphile averti, lisant assidument le magazine "Pour vous", portait aux nues Le Nosferatu de Murnau, écrin expressionniste, qu'il avait découvert en octobre 1922 au Ciné-Opéra de Paris , même si comme il le disait, "la der des der ,c'est fini, mais le teuton agace toujours" . A l'inverse il estimait peu "Le maître du logis" de Dreyer "trop austère et trop bavard, trop d'intertitres disait-il. "Pour sûr, c'est du cinéma de frustré : si l'on disait qu'il a été pondu par une belle-mère qui n'a pas vu le loup depuis 10 ans, cela n'étonnerait personne" écrivait-il dans sa lettre au courrier des lecteurs Cinémagazine. Il postulait "au concours des meilleurs critiques" organisé dans ces années là par le magazine, un peu l'équivalent en terme de notoriété de notre senscritique actuel donc, pour les plumitifs amateurs des années 1920 . Le texte ne fut pas publié.

Mais à l'heure d'assister à la première de Vampyr, et bien décidé cette fois à voir son effort publié, Eudes commença à rédiger ces lignes d'introduction,: "Donner le rôle principal d'un œuvre, comme l'on cède au caprice d'un prince, je veux parler ici du richissime, Nicolas de Gunzburg, baron Russe exilé ayant semble t-il échappé à la faucheuse de Lénine, est contraire à la déontologie. Caché derrière un pseudonyme tout à fait proche du ridicule (Julian West), ledit mécène ne montre aucune prédisposition pour la comédie...".

Curieusement la lettre envoyée, rédigée après le visionnage du film est d'une toute autre teneur. Mahaut la fille de mon aïeul, racontera plus tard toute la fascination qu'exerça l'aventure de David Gray sur ce bon Eudes et exhibera le courrier qui commençait ainsi : "Accepter de donner le rôle principal de Vampyr au richissime Nicolas de Gunzburgen, feignant de céder au caprice, mais intriguant au lieu de cela, pour réussir à financer le film est une rouerie majeure de Dreyer. Acceptant l'absence de prédisposition pour l'art de la composition du jeune baron inexpérimenté , Dreyer l'utilise comme un témoin, naïf et aventureux , presque comme un machiniste dont la seule fonction serait en réalité de porter la caméra. Il devient les yeux du spectateur et plonge ce dernier au cœur de l'aventure. La forme est comme toujours chez Dreyer au service de l'histoire: onirique et littéraire. D'aucuns à l'époque lui avaient reproché une inclinaison au bavardage en considérant les nombreux cartons accompagnant "Le maitre du logis". Mais Dreyer était mal compris de ceux-là.

Dans Vampyr, le texte est toujours là, sous forme de roman qu'on lit ou bien encore de cartons, rappelant la période du muet alors que le film est parlant. Cette confusion de façade n'est de fait présente que pour apporter de la fantaisie, tout comme les plans faits d'images enchevêtrées ne sont présents que pour initier chez le spectateur un sentiment de peur. Tout le long de la séance, les dames laisseront échapper des cris plus ou moins forts selon l'ampleur de leur cage thoracique, ceux de ma femme étant certainement les plus sonores de la salle.

La proximité des spectateurs dans ce lieu qu'est une salle de cinéma, les sursauts et les soupirs des moins dignes s'ajoutant aux cris, créa même dans le cinéma une sorte de sentiment d'hystérie collective , chacun sortant un peu de son quant à soi pour se laisser emporter dans les méandres d'une expérience onirique. Tout ce qui pouvait passer pour de la maladresse se comprenait désormais en effet de stylisation volontaire, comme une invitation à entrer dans ce songe un peu brumeux. Les plans se succèdent tous plus surréalistes les uns que les autres, maintenant dans un tourbillon impressionniste des plus subjuguant. Ceux ayant vu "Vampyr, ou l'étrange aventure de David Gray" et qui affirmeront que nous sommes en présence d'une oeuvre parmi les plus novatrice de cet art seront les esprits éclairés de notre temps." Malheureusement ce texte ne fut pas publié, c'est pourquoi je me permets d'en faire écho ici.

Yoshii
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le 21 janv. 2024

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