Si vous vous en tenez à l'affiche, vous voyez un film hong-kongais de gangsters avec Johnny Hallyday, et vous vous dites : mais pourquoi ? Voyons l'histoire.


Francis Costello, ancien gangster français reconverti dans la restauration, va à Macao venger sa fille, qui a été estropiée et a perdu sa famille des mains de bandits asiatiques. Il recrute trois tueurs à Macao pour trouver et tuer les coupables. Il note tout, car il perd progressivement la mémoire. Il veut se venger avant que ça ne lui arrive. Les trois tueurs comprennent que les coupables ont été employé par leur boss, Georges Fung. Ils décident d'honorer le contrat, quitte à subir le courroux d'un parrain de la mafia.


Fung organise les représailles, mais Costello perd la mémoire. Ses trois amis le confient à une jeune mère courage et se font tuer bravement. A travers son esprit brumeux, il voit le nom de Georges Fung marqué sur son pistolet. Aidé par la jeune femme, qui désigne le bandit en faisant coller par ses enfants des stickers sur l'homme à abattre, Costello fonce dans le tas et finit par tuer Fung. Il retourne retrouver la femme et les enfants, s'abandonnant au présent.


Là où l'on s'attend à un film de vengeance à la John Wu, on a une parabole sur la vieillesse, qui relativise les motivations classiques des films d'action. Un film qui repose beaucoup sur les canons du genre et la symbolique, mais qui offre à ceux qui sont prêts à se laisser porter une véritable originalité. Ce n'est sans doute pas le Johnnie To le plus accessible, mais il faut apprendre à l'aimer. Un peu comme Johnnie : on peut le trouver ridicule, mais il faut reconnaître que les fois où il a été au cinéma, le bonhomme a souvent eu du flair. Pour rappeler le contexte, Johnnie To, pour sa part, après avoir bénéficié d'une rétrospective mémorable à la Cinémathèque, continuait à creuser le sillon de l'influence du cinéma français, après un Sparrow hommage à Jacques Demy.


La première scène est terriblement efficace. Sylvie Testud prépare le repas alors que ses enfants et son mari asiatique rentrent. On sonne. Le mari regarde par l'oeilleton. Une balle le tue. Suivent des plans confus et hachés, juste ce qu'il faut. Titre, générique. La scène fait écho à plusieurs autres dans le film.


Les éclairages et les couleurs sont très travaillés, certains plans sont visuellement jouissifs, comme celui de l'arrivée à la décharge, ou celui où Costello se réveille dans un local commercial, de nuit. Encore une fois, l'usage des couleurs primaires fait penser à Jacques Demy.


Au niveau jeu d'acteurs, il y a à boire et à manger. Simon Yam campe un méchant très stéréotypé, peint au gros rouleau (le-Chinois-aux-yeux-plissés-et-au-sourire-crispé). Et Johnny s'en sort avec les honneurs. Chapeau mou et manteau cintré, Costello est un hommage sur pattes au SamouraÏ de Melville. Il faut dire que Johnny a à la fois ce physique un peu sec des asiatiques et ici un visage minéral, au regard limpide, qui s'éclaire et s'efface à mesure qu'il joue la décrépitude hébétée.


La dépiction des gangs est ici très stéréotypée/outrée, et le film ne s'encombre pas de vraisemblance, notamment temporelle (Les trois gangsters laisse Johnny sur le point d'aller dîner et vont régler leur compte ; Johnny apprend en cours de repas leur mort par les informations télés : c'est impossible). Ne cherchez pas le Johnnie To d'Elections, on est ici davantage dans le divertissement et l'exercice de style. C'est sans doute ce qui explique que le film ait plutôt mauvaise presse : on a reproché à To de s'éloigner de sa veine réaliste. C'est mal connaître la filmographie de ce dernier.


Je reviens sur quelques scènes que j'ai eu plaisir à revoir.


Scène de traquenard dans un passage souterrain aux néons intermittents après une filature silencieuse.
Montage parallèle, lorsque Costello fait visiter les lieux du massacre : on alterne entre massacre et sa reconstitution, ce qui entretient le doute : n'aurait-il pas recruté les assassins de sa fille pour la venger ? Narrativement subtil.
Le repas à la française, autour d'un verre de rouge, et le duel de remontage de revolvers à l'aveugle, moments clés, passerelles culturelles au cours desquelles l'amitié se noue. Scène outrée, jouissive, d'entraînement au flingue à la décharge, avec la bicyclette qu'on fait continuer de rouler en lui tirant dessus.
Une fusillade de nuit dans un parc qui s'interrompt car un nuage passe devant la lune.
Costello hagard sous la pluie, au milieu d'un océan de parapluies, symbole de sa perte de repères.
La scène-clé du film, celle dont je me souvenais le mieux, celle de ce vieillard jouant au foot sur la plage avec des enfants asiatiques, sous l'oeil d'une cantinière maternelle, avec en fond une baie magnifique. Bien joué Johnny.
Scène de fusillade grand-guignolesque derrière des bottes carrées de papier recyclé que l'on culbute tout en avançant. Sans doute la séquence la plus faible du film, comme expédiée.
La scène où Johnny prie sur la plage est aussi assez kitsch, jusqu"à ce qu'arrivent les silhouettes en contre-jour de ses souvenirs.
Séquence de tuerie finale, où l'on passe progressivement d'un décor de terrasse de café qui rappelle Paris à celui de ruelles typiquement chinoises.
Une réplique mémorable : "This jacket belongs to you".


Petit sourire, quand l'inspectrice demande à Hallyday : "Avez-vous toujours résidé en France ?", j'ai tout de suite pensé à son évasion fiscale en Suisse. Egalement avec le disque volant multicolore volant sur fond noir, qui fait penser à l'ancien logo de Canal +.


Pour résumer, Vengeance, c'est un film hong-kongais classique, avec des références à Melville et un rythme au début assez lent, qui choisit en cours de route de complétement bifurquer pour devenir une réflexion sur la vieillesse, le détachement. C'est un film qui respire, qui a ses défauts mais qui n'a rien de formaté, et Dieu que ça fait du bien.

zardoz6704
8
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le 16 août 2017

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