C'est marrant de s'observer vieillir, cette nécessité d'intellectualisme qu'on choisit et qui s'installe, cette spontanéité qu'on abandonne peu à peu pour se mouler dans son rôle d'adulte présentable. Hé, n'est ce pas vrai qu'un adulte ne peut plus jouer autour d'une barre de maintient dans le métro sans qu'on le regarde comme un cinglé? Et davantage cet adulte vieillit, plus trois fois rien suffiraient à le démarquer, la moindre incartade comme un entonnoir sur sa caboche, espèce de discrédit social dont l'enfant était protégé.


D'année en année, je m'observe changer, adopter malgré moi les propriétés du citoyen présentable que jadis je transgressais sans concession. Je me vois m'adapter, me transformer selon un schéma psycho-social qui me permettra de ne pas finir mes jours dans un hôpital psy (que j'ai connu, pour mes élans de liberté (ai escaladé l'église de Bézier dont le maire n'est pas très commode) Si tu passes par là et que tu es curieux de mon expérience, j'en parle sur mon {Site personnel} section 2014, mois de mai "Valérie" est le nom de l'article.) Oula, c'était une grosse parenthèse. Devrais je la supprimer? Ce n'est pas la question qui me gène dorénavant, c'est la place qu'elle prend, le dessus qu'elle a sur ce qui me permettait jadis de demeurer ce jeune goguenard sans projets et sans sécurité. Dieu que je souffrais, mais dieu que j'étais libre. C'est maintenant que je m'en rend compte.


D'année en année je perd lentement le pieds de mes convictions, je m'ouvre, je deviens indulgent, je relativise, et ce qui pourrait sembler être un gain de maturité me donne parfois l'impression de régresser. Pourquoi? J'ose de moins en moins écrire de critique ici. J'estime en avoir écrit très peu, peut être une ou deux, pas plus, ce n'était pas mes projets à la base, tout ce que je voulais était exorciser de pures sentiments que mon mode de vie et le cinéma exacerbaient dans mon être. La majorité était des coups de gueule, des déclarations d'amour, des farces. Mais j'ai tant lu, tant été influencé, vu tant de talent et de lucidité dans d'autres écrits qu'une espèce d'étincelle de la réussite est apparue en moi, un désir de challenge mais surtout de relations, toujours malmenés par la sensation de n'avoir pas assez de rigueur, de ne pas assez prendre en compte certaines conventions, cette même crainte dont je m'étais jusque là protégé derrière une nonchalance surjouée et l'habitude de déclarer des choses sans me prémunir de résultats ou d'impacts sur les autres.


De toutes mes époques depuis l'adolescence, "Vol au dessus d'un nid de coucou" à toujours été mon film préféré. Il est le seul que j'ai regardé plus de 4 fois (une dizaine de fois) avec le même plaisir et les mêmes larmes. Ce qu'il me racontait de la vie était (et est toujours) l'antidote à mes peurs frustres, mes traumas, les abus et oppressions de toute une gamme de pouvoir et de violence institutionnelle. McMurphy, mis en valeur par les qualités immenses du film et des autres personnages, est rentré dans mes plaies, dans mes veines, dans ma rage, avec la force, la qualité intrinsèquement rebelle et indépendante de sa joie tenant tête au regard injonctif de l'infirmière en chef -dont le seul équivalant dans sa capacité à me pétrifier a été celui du père dans "Jusqu'à la garde"- et redonnant force à une bande de beaux complexés pathologiques auxquels certaines parties de moi pouvaient s'identifier et dont McMurphy prenait les expédients de rage pour les transmuter en jouissance du jeu, plaisir de l'instant. C'est dire si ce film corrobore les thèses soutenant que le cinéma peut avoir un impact considérable dans la vie d'un spectateur. Je ne m'en rendrais compte que bien plus tard, après les coups, après les frasques et le tintouin, au calme dans mon nouveau confort complaisant d'homme adulte qui ferait mieux de ne jamais oublier l'ado transgresseur qu'il gardera toujours, quelque part en lui, et ressortira dans les pires moments pour rire au nez de l'apathie et des diktats, revitaliser ses passions et vivre le vertige d'une vie se reconnaissant à ses risques, comme McMurphy et ses copains lui ont inspiré.

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le 20 janv. 2020

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