L'entomologiste Gaspar Noé filme un couple âgé en bout de course. Elle souffre de la maladie d'Alzheimer et son mari de problèmes cardiaques. L'écran se divise en deux pour mieux traquer en simultané leurs solitudes. Dans le grand appartement submergé de livres et de souvenirs, nos termites vont et viennent à leurs occupations. L'oeil des caméras et les micros enregistrent le moindre de leurs gestes (y compris sur la cuvette des toilettes), la moindre de leurs paroles. Plongés dans ce labyrinthe, les spectateurs assistent à une expérience de laboratoire, transformés en témoins d'une lente agonie...
Psychiatre à la retraite, la mère (Françoise Lebrun) perd la tête, vit dans un monde quasi incommunicable, rédige des ordonnances peu orthodoxes. Dans un moment de lucidité, elle reconnaît qu'ils ingurgitent d'énormes quantités de médicaments. Son mari (Dario Argento) s'inquiète, ce qui le perturbe (il écrit un livre sur le cinéma et les rêves). Quand elle quitte la maison, elle ne répond plus au téléphone et son mari doit partir à sa recherche...
Pourtant le film avait bien commencé. Françoise Hardy en gros plan, éclatante de jeunesse, chante "Mon amie la rose". Et le couple se salue, tout sourire, à leur fenêtre avant de se retrouver sur leur balcon pour partager un verre. L'écran n'est pas encore partagé en deux, nous les voyons ensemble et heureux. Alors, la vie est belle comme l'affirme la mère...
Leur fils Stéphane (Alex Lutz) s'interroge : ses parents ne sont-ils pas en danger, incapables de se porter secours en cas de défaillance ? Sa bonne volonté est touchante, élargit la focale au-delà du labyrinthe parental. Illusion ! Toxicomane, Stéphane ne peut les aider, peine à s'occuper de son fils Kiki et à se prendre en main... Le film constate une série d'impasses, détaille les dépendances au grand âge, aux maladies incurables, aux médicaments et aux drogues (l'ex-femme de Stéphane fait une cure de désintoxication loin des siens). La mère ne reconnaît plus son mari et son fils chéris. L'amour seul ne suffit plus à souder les êtres de plus en plus séparés, isolés dans leurs problèmes.
L'expérience de Gaspar Noé est éprouvante, brosse un tableau clinique de nos difficultés existentielles. Les déprimés s'en abstiendront ! La tentation du suicide rode : overdose de médicaments ? Ou le gaz ? Pas de quartier pour le livre du mari sur le cinéma et les rêves ! L'écran demeure divisé en deux, y compris quand nous suivons la vie de Stéphane. Le procédé me semble alors artificiel et m'agace. Comme le film s'avère interminable (2h22mn), nous cogitons en boucle : les deux écrans symbolisent-ils les deux "moitiés" d'un couple à la dérive ? Voire les deux hémisphères de notre cerveau ? Nous anticipons chaque épisode d'une bascule programmée dans les oubliettes de nos vies éphémères.