Fiona Gordon (1957, Australie - ) et Dominique Abel (1957, Belgique - ) n’en finissent pas de se rencontrer. Un peu comme s’ils craignaient de s’être manqués, si par malheur il leur était arrivé de vivre une autre vie que la leur, ils n’en finissent pas de multiplier, d’un film à l’autre, les villes, les lieux, les situations, les états qui auraient pu les mettre en présence et, au mot « fin », les voir unis et heureux, après un plus ou moins grand nombre d’épreuves et de vicissitudes. On pourrait craindre une certaine monotonie, dans cette monomanie... Grossière erreur ! Ce serait compter sans la formidable inventivité du duo, devant et derrière la caméra, sans sa créativité constamment renouvelée, sans sa fantaisie jaillissante...


« La nature a [...] bris[é] le moule dans lequel elle m’a jeté », observait Rousseau, au début de ses « Confessions », clamant bien haut son absolue unicité... Il semble en tout cas qu’elle ait utilisé le même pour créer les deux membres du couple de réalisateurs-acteurs, du moins leur long corps, pareillement dégingandé, parfois même arachnéen, œuvrant à peaufiner une gestuelle imprévisible et maladroite, semblablement décalée.


Après « La Poupée » (1992), qui les réunissait déjà, en un noir et blanc assez expressionniste, dans un court-métrage traversé de fantasmes meurtriers, suit « Merci, Cupidon » (1994) qui, dans des couleurs farcesques, fait se rencontrer le couple dans un bar au serveur aussi mal-aimable que dictatorial, incarné par leur grand complice, Bruno Romy. « Walking on the wild side » (2000) utilise le cadre d’une grande ville froide et de son quartier chaud. Dominique Abel y campe un employé de bureau sage et maladroit, fort troublé par la jeune femme qu’il a heurtée frontalement devant les vitrines des dames aguicheuses. Des circonstances de cette rencontre naîtront un premier dialogue charmant (« Je voulais vous dire... Je voulais vous voir... Je voulais vous demander... »), duquel jaillit tout l’absolu de l’attente amoureuse, puis un quiproquo en chaîne, désopilant en diable, où se mettent à nu les hontes et les pudeurs du désir, voire ses accès de panique !


Non seulement les amoureux n’en finissent pas de tourner le même film et de décliner leur rencontre à l’infini, mais leurs amoureux peuvent revoir en boucle ce court-métrage sans que tarissent leurs cascades de rires. Qui parle de lassitude, quand on aime...?!

AnneSchneider
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le 18 avr. 2021

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Anne Schneider

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