A croire qu’en 2022 le cinéma ne sera intéressant qu’à travers des personnages féminins en proie à une forme de confinement. Car après Kimi de Steven Soderbergh et Help de Marc Munden, Watcher de Chloe Okuno joue des coudes pour se joindre à ce maigre bataillon de films qui m’auront jusque là enthousiasmé. Et par la même occasion il vient compléter cette trilogie dérobée aux thèmes qui se rejoignent. Entre oppression, paranoïa, dépassement de soi entre quatre murs et juxtaposition de quelques grandes crises sociales de ces dernières années. Sans spoilers.

Dans Watcher, Julia (Maika Monroe) et Francis (Karl Glusman) s’installent à Bucarest. A l’image de Lost in Translation, Julia vivra dans un joli appartement pendant que Francis partira travailler. Cette situation de départ rappelle d’autant plus Lost in Translation qu’elle ne parle pas roumain. Commence alors dans le film une série de discussions de groupe qui la mettront le plus souvent de côté, renforçant son isolement.

Ce cadre oppressant est pourtant désamorcé dans un premier temps. Par le jeu des lents mouvements de la caméra et l’intérieur de l’appartement, fait de couleurs pastels et d’un mobilier aux textures apaisantes, le nid amoureux ne laisse pas présager l’escalade des évènements. Pourtant, comme le titre le révèle, elle finit par se sentir observer par un homme de l’autre côté de la rue. Un jeu de « fenêtre sur fenêtre », avec une silhouette surplombant l’appartement de Julia. A cela se noue la rumeur pressante d’un meurtrier en ville, particulièrement violent, sans en dire plus sur les développements narratifs.

En grand décalage avec cet environnement obstiné à jouer d’une autre langue, Maika Monroe nourrit en adéquation un personnage féminin somnolant mais attentif, presque sans contours réellement discernables. Loin et proche du monde qui l’entoure. Elle est une présence presque aussi étrangère que cette silhouette masculine. Elle retrouvera sa substance avec les personnages qui lui parleront dans sa langue natale, l’anglais, comme avec cette jeune voisine qui a le droit à un dialogue captivant sur l’angoisse, féminine ici, de devoir parfois se résoudre à être la seule à faire confiance à ses instincts, en opposition avec un monde qui ne veut pas y croire.

Huis clos, le film ne l’est pas complétement. Julia se déplace dans Bucarest. Elle s’enfuit autant qu’elle piste. L’occasion pour Chloe Okuno de jouer des architectures, des lieux et des transports en commun de la ville. Elle compose alors de nombreuses visions rafraichissantes dans un cinéma d'habitude nourri de paysages et de villes trop galvaudés. Que ce soit un grand escalier qui donne l’impression de descendre dans un outremonde, une épicerie transformée en petit labyrinthe, un métro évidé qui évoque le ventre d’un long serpent ayant avalé Julia ou encore un sous-sol animé qui réussira pourtant à m’évoquer la fameuse scène de Zodiac, le film joue de sa ville et de ses lieux de manière plastique, en ce sens d’esthétique, tout en se tenant à l'écart des poses superficielles qui s'imposent de plus en plus dans le cinéma de genre et le cinéma indépendant.

L’hypnose du film et de la narration prend fin lorsque survient le dénouement. Comme un claquement de doigts dans le creux de l’oreille pour nous réveiller et mettre fin à la torpeur qui nous berçait (dans le bon sens du terme). En 2014, le court-métrage Slut  de Chloé Okuno posait avec banalité l’archétype des histoires qu’elle affectionne, Watcher le soulève et le concrétise réellement. Archétype avéré puisque son prochain film prendra également cette direction. Mais la répétition, on le sait, est la marque de tout auteur en devenir.

-Thomas-
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le 22 juin 2022

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Vagabond

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