Comme aime le dire Elle (sauf que c'est vrai cette fois): LA comédie de l'année

Au pays du béret-baguette, quand il s'agit d'aborder des sujets de société ou des thématiques importantes, on a trop souvent tendance à considérer que la forme doit coller au fond, qu'un sujet sérieux ne saurait être traité autrement que sérieusement. Au pays de Zabeth II, on ne s'embarrasse pas de ce genre de considérations, on sait que c'est de la bite en sachet.

L'an dernier, c'est In the loop, brillante satire politique sur les coulisses du déclenchement de la 2e Guerre du Golfe et les coups bas en vigueur aux Nations Unies, qui nous rappelait le savoir-faire de nos voisins insulaires en la matière. Cette année, c'est au tour de Four Lions de nous montrer la marche à suivre.
Chris Morris, animateur radio et rookie de la réalisation va encore plus loin qu'Armando Ianucci, le mec derrière In the loop, qui est par ailleurs, l'un de ses partners in crime télévisuel. En suivant cinq islamistes plus cons que la connerie dans leur projet d'attentat, le gus franchit en effet une étape et fracasse un tabou, aidé en cela par une narration rythmée et une mise en scène économique mais appliquée.

Certains critiques parlent de Four Lions comme d'un film irrévérencieux. Mouais. Quand on affuble un film de ce qualificatif, ça veut souvent dire que s'il sort des sentiers battus, il ne manque pas de le faire savoir à grand renfort de doigts d'honneur et de tirages de langue à la bien-pensance, tel un gosse sympa mais un peu tête à claques sur les bords. Chris Morris n'ayant pas 7ans et demi, il n'a pas besoin de ça (Robert Rodriguez, si tu sais lire...). Le mec se contente de dérouler son histoire sans artifices et sans jouer au roi des malins, faisant tressauter de rire les spectateurs 100 minutes durant grâce à des gags sans limites et à des dialogues foutrement drôles et (im)pertinents.

Si l'intégrisme et le terrorisme islamiste sont les mamelles comiques de Four Lions, Chris Morris se garde bien d'en faire le procès ou l'apologie, évitant par la même de faire le lit de l'islamophobie. Une position qu'il convient d'applaudir d'autant plus fort, qu'elle semble plus difficile à tenir dans une comédie que dans un drame, le public ayant trop souvent besoin de savoir si la morale approuve qu'il se fende le chocolat à telle ou telle blague «(« peut-on rire de tout? », « Est-on antisémite si on rit aux blagues de Dieudonné », etc.).

Pour atteindre cet objectif, Morris s'appuie sur des acteurs principaux talentueux, tous au diapason de la virtuosité avec laquelle leurs persos ont été écrits. En effet, Four Lions prend le parti de ne pas nous imposer la sempiternelle présentation de la team comme se plait à le faire Hollywood depuis les siècles des siècles.

Ainsi, l'environnement des personnages, qu'il soit social, sociétal ou familial ne les définit pas. L'inverse d'un film comme Takers. Et pour cause, Chris Morris dissocie entièrement ses gus de tout contexte. Ce ne sont ni des victimes, ni des rebelles. Ils n'ont pas vraiment de cause. A vrai dire, la religion n'est même pas plus présente que ça dans le film.
Tout ce que l'on sait de nos pieds nickelés, c'est ce que laissent deviner leurs actes, leurs comportements, leurs paroles, leur normalité ou leurs contradictions. C'est d'ailleurs dans celles-ci que le film se révèle être le plus intéressant, notamment à travers les personnages de Barry le converti zélé, d'Hassan jeune homme militant et pacifiste qui va prendre les armes sans qu'on sache jamais vraiment pourquoi et surtout, à travers Omar. Le leader du groupuscule est un jeune homme moderne qui traite sa magnifique femme avec respect. Il a un fils qui l'adore, un pavillon tout mignon, un frère très religieux à qui il reproche même son rigorisme et un turbin correcte avec un collègue blanc qui l'apprécie et le respecte.

Dans ce cas, pourquoi vouloir se faire sauter dans ce pays qui, au bout du compte, est le leur ? Chris Morris se garde bien de le dire, de l'expliquer, de le justifier et au final, de nous rassurer. Les scènes où « les héros » enregistrent des vidéos pour revendiquer leurs hypothétiques futurs attentats sont toutes des odes à la bêtise, des sommets de conneries comme on en voit habituellement que dans les films de la paire Adam McKay/Will Ferrell. A ce sujet, je me permets d'ailleurs une petite parenthèse pour souligner que comme son cousin yankee, Chris Morris a compris que la différence entre absurde et ridicule tenait pour beaucoup dans le fait de faire de la bêtise une norme et de rayer de la carte tout personnage portant la voix de la raison ou se faisant le porte-parole du doute et de la retenue. Well done.

Revenons à notre Aid El-Kébir. Four Lions peut se vanter de faire partie de ces films où ce qui n'est pas est aussi parlant que ce qui est et où les individus ne sont pas que ce qu'ils font. Sans jamais être abordés frontalement, le manque de reconnaissance, d'estime de soi ou de lien (social ou familial) sont omniprésents au détour d'un échange entre deux persos, d'une remarque, d'une vanne ou encore d'une connerie. C'est là que se trouvent la clé du comportement des persos et le sens de leur acte.

@Iambossnigger dit souvent qu'un film c'est comme un dessin qu'on te donne à colorier. On peut te dire quelles couleurs utiliser, ou te filer des crayons pour que tu te démerdes tout seul, comme un grand.
Four Lions saute pieds joints dans cette seconde catégorie. Il n'y a pas de message à proprement parler dans le film mais un sous-texte tellement subtile, qu'il est facile de l'ignorer pour quiconque n'aime pas réfléchir au cinéma. A la limite, vous pouvez vous borner à rigoler à vous en retourner les genoux puis sortir de la salle tel un enfant de 4 ans content de ce qu'il a vu mais déjà concentré sur le prochaine connerie qu'il va faire (ou dire, parce qu'en grandissant, les conneries on en dit plus qu'on en fait).

Cette subtilité, on la retrouve dans la dernière ligne droite du film où l'humour absurde et corrosif, la connerie monumentale et le politiquement incorrect sont plus que jamais d'actualité alors même que la gravité vient s'insinuer dans le rouage parfaitement huilé de la farce et crisper quelque peu les rires.

C'est peut-être dans cette dernière demi-heure que réside le tour de force le plus impressionnant de Four Lions. Ses persos ont beau être des demeurés finis à la pisse et des bras cassés à faire rougir de honte la Perfide Albion, Chris Morris ne succombe pas à la tentation de mettre du Soupline dans son film en adoucissant leurs actes et ça, c'est putain de couillu. C'est là, quand le terrorisme enlève le masque médiatique qu'on lui connait pour laisser voir des visages tristement humains et tragiquement terre à terre que Four Lions devient un film admirable et culte, comme si être l'une des comédies les plus drôles de l'année ne suffisait pas.

Respect.

Ps: A l'inverse de Kurt Westergaar (auteur des caricatures de Mahomet), Chris Morris n'a pour l'instant fait l'objet d'aucune fatwa au Royaume-Uni. Preuve que les Musulmans n'ont pas moins le sens de l'humour que n'importe qui d'autre. Peut-être que c'est nous qui sommes plus racistes que drôles quand il s'agit de se payer leur tronche.

C'est peut-être précisément pour ça que le film a été un triomphe public et critique en Grande-Bretagne malgré les tentatives de le faire interdire de certaines familles de victimes des attentats de Londres. CQFD.
Mogadishow
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le 8 déc. 2010

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