De Broadway à aujourd’hui, « West Side Story » est une pierre angulaire de la comédie musicale contemporaine. Le classique de Robert Wise, fêtant alors ses 60 ans, n’avait également rien perdu de sa splendeur et de son énergie rythmique. Mais pourquoi diable notre saint Steven Spielberg a-t-il choisi un tel défi, celui d’enfin explorer un genre qui le passionne depuis tout jeune et de faire le remake d’un monument aux dix Oscars ? La réponse peut vous surprendre, mais ce sera en salle que la vérité explosera. S’il n’a rien de plus à raconter que ce que les matériaux de base avaient à offrir, du moins dans sa matière la plus dramaturgique, il restait encore un bout de chemin vers la perfection. Tout est un jeu d’équilibre et le réalisateur nous ramène à l’authenticité même de l’ambiance des années 50, sans oublier son touché méticuleux, qui transcende davantage les arguments que la première adaptation n’avait pas pu libérer.


C’est d’abord à son casting impeccable qu’il investit les avenues de l’Upper West Side. On survole ainsi la carcasse des lieux avant de lancer les présentations et les hostilités en bonne et due forme. Des jets sortent des entrailles d’une gentrification symbolique, pour alors entrer en conflit avec leurs voisins directs, les Sharks et la communauté portoricaines. Mais alors que l’on s’attend à un ballet ridiculisant la violence des conflits, on ressent l’envie de Spielberg de frapper là où il le faut et d’accentuer les douleurs et propos sociaux et politiques forts. C’est sans doute ce qu’il y avait de mieux à faire, mais l’avoir fait en rendant tout cela harmonieux et peut-être encore plus lyrique qu’avant, c’est un exploit qui ne manque pas d’être soutenu et apprécié. Il va chercher de la crasse pour salir les couleurs du drapeau des immigrés, qui sont ironiquement les mêmes que ces jeunes blancs, orphelins d’une autorité parentale. La rue leur appartient et la guerre pour l’espace privée et le pouvoir ne cesse de ronger ces êtres, qui ne font que gratter le bitume, au lieu de prendre leur vie en main.


Il y a donc de l’écho avec notre époque, dans une crise similaire. Comme quoi le discours que l’on pourrait croire optimiste s’effondrera peu à peu. Parallèlement, la trajectoire de deux amants maudits dépendra de cette haine. On aura beau la chanter, la danser ou l’éviter, le cinéaste ne perd jamais son point de vue sur une fatalité implacable et en accentue tous ses aspects pour la rendre plus convaincante et plus foudroyante qu’autrefois. Un grand travail sera apporté aux ombres, sortes de spectres des corps vides, où les nuances viendront s’entrelacer. Ceux qui sont déjà passés par la case de 1961 s’amuseront ainsi à revisiter les lieux mythiques, du bal au balcon, où les promesses catalysent la tragédie de ceux qui ne parviennent ni à communiquer sereinement, ni à mêler leur culture. Mais les héros Shakespeariens sont en décalage, ou plutôt en avance, quelque part dans une symphonie qui leur accord l’écoute, le partage et l’amour. Ansel Elgort confirme son sens du rythme avec son Tony repenti et Rachel Zegler débute sa carrière cinématographique avec une belle interprétation, dans le rôle d’une Maria angélique.


Alors que le fantôme de Bernstein entretient chaque instant musical, nous sommes face à une relecture qui joue sur les détails, jusqu’à parfois inverser ou rajouter des séquences chantées, mais ce que l’on retiendra, c’est cette force émotionnelle qui traverse le développement des héros et de leur entourage. Une nouvelle Doc (Rita Moreno), une Anita (Ariana DeBose) plus poignante et les personnages d’Anybodys (Iris Menas) et de Chino (Josh Andrés Rivera) plus présents font que l’on s’attaque à toutes les cordes d’un instrument dont Spielberg a compris le langage. Quand bien même certains passages perdent en saveur, il rééquilibre avec un second souffle la minute d’après, comme pour nous rappeler que ce « West Side Story » n’appartient pas qu’à lui, mais également à tous les artisans qui peuplent les univers du film précédent et cette version plus violente et moderne.

Cinememories
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le 8 déc. 2021

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