When Black Birds Fly
7.1
When Black Birds Fly

Long-métrage d'animation de Jimmy ScreamerClauz (2016)

C'est une intense satisfaction qui s'empare d'abord du spectateur, car non, Screamerclauz ne s'est pas raté avec ce film. C'étaient là les principales craintes qu'on nourrissait en pensant au créateur de l'infâme Where the dead go to die, sa structure en film à sketch et ses fortes tendances au trash provoc pouvant suggérer une redondance rapide et pesante. Toutefois, Jimmy ne s'était jamais défilé au fur et à mesure de ses clips et courts métrages, repoussant toujours plus loin les limites du supportable et accumulant mythologies personnelles et visions infernales sans se répandre dans les dénonciations galvaudées. When black birds fly témoignait déjà de ses ambitions graphiques au travers de ses bandes annonces, qui affichaient déjà des graphismes torturés et une ambiance morbide, toutefois bien plus esthétiques que la laideur south parkienne de ses premiers essais. Le résultat, bien que brouillon, dépasse les espérances.


WBBF est un film à part déjà parce qu'il s'extrait de tout contexte réaliste. A son niveau, la seule influence qui semble s'exprimer ici semble être le style de vie lié à la société de consommation type banlieue américaine, qui joue le rôle de tapisserie dans la ville d'Heaven (seul un signe de croix durant la naissance et un 666 formé par les corbeaux pour le contexte religieux, complètement anecdotiques). Toutefois, dès le début du film, ce mensonge de faux paradis est dissipé par l'absurde séquence d'enfantement, les enfants (et donc les adultes) étant engendrés par un rituel non naturel où des larves issues d'une dimension "extérieure" sont transformées en enfant par ingestion du sang de leur parents. Cette bizarrerie crée déjà le malaise en montrant cette foule de transformés (issus d'un chaos) qui s'imposent une multitude de codes sociaux (comme la famille, via des scènes complètement absurdes) visant à créer une harmonie artificielle, mais nécessaire pour la survie du groupe. Un groupe qui vit d'ailleurs sous la déification de Caine, un humain identique aux habitants d'Heaven, toutefois déifié par une multitude de slogans et des patrouilles armées revêtant des masques à gaz. Les symboliques sont énormes, à la limite du grossier, mais cette organisation absurde crée un climat anxiogène qui fonctionne, d'autant plus que le spectateur est dépaysé graphiquement. La gentillesse apparente des habitants, mêlée de fanatisme et de réflexes absurdes (négation de la douleur physique, réactions inappropriées...) contribue à créer cet ordre sans spontanéité ou conviction qui crée déjà un malaise de précarité morale. Ajouté à cela le fait qu'un gigantesque mur d'enceinte entoure la ville, que les habitants ont interdiction de franchir, et on est parti pour une descentes en enfer dans les formes.


Le passage de l'autre côté du mur nous emmène davantage dans une dimension chaotique, plus qu'un enfer à proprement parler. Screamerclauz s'amuse toujours autant avec ses créatures mélangeant animaux et humains donnant des aberrations naturelles qui n'ont même pas besoin d'un contexte religieux pour créer le malaise. C'est toutefois à partir du moment où les personnages (les enfants Marius et Eden) goûtent aux fruits du chaos et commencent à l'explorer (en compagnie d'un chat qui vient remplacer un Labby devenu culte dans les milieux underground) que Screamerclauz décuple le potentiel de son oeuvre. Son foisonnement ne peut accoucher que de visions chaotiques, mais on pouvait espérer quelques images puissantes (à l'image de certaines séquences de son where the deads). Or ici, il brode une sorte de bible alternative, en s'émancipant des religions monothéistes puisqu'il y met en scène un personnage divin qui se lance dans la création d'un monde. Ou tout d'abord de créatures sensées lui apporter l'occupation, la connaissance (via l'interaction en groupe) et l'amusement qui lui manquent au quotidien. La limitation de ses créations le lasse toutefois très vite (ces dernières, de genre masculin, ne faisant que suivre leur dieu et leurs instincts), aussi décide-t-il de créer une créature qui incarnerait une perfection dans la beauté. Il crée la première femme, dont Il tombe amoureux (l'amour passe ici par des relations corporelles (les personnages n'ont pas de sexe, mais des sortes de tentacules remplacent les pénis lors de ces séquences, et ils adoptent des comportements sexués/sexuels). La perfection de cette créature suscite toutefois le désir chez les autres créations, qui se détournent alors de leur dieu pour se focaliser sur sa privilégiée. Ainsi, WBBF met en scène une corruption progressive des créations et de leur dieu, qui s'auto-alimentent dans leurs déviances jusqu'à aboutir au chaos qui forme aujourd'hui le monde (une cage faite sur mesure pour la création féminine). Caine est lui aussi issu de ce chaos, dont il connait les excès et dont il s'est extrait pour tenter de retourner vers son créateur, en se hissant au dessus des autres créatures humaines pour y parvenir, quitte à remodeler leur humanité (les fausses naissances) pour les prémunir du chaos. L'ambition est énorme, et les visions complètement débridées de cet univers réussissent à tenir leurs promesses. Il est rarissime de voir d'authentiques expériences tenter le récit mystique (ici sans la moindre notion de spiritualité, tout est exposé de façon pragmatique) et chercher à avoir l'ampleur visuelle nécessaire (un film comme Ascension cherchait plutôt le minimalisme). En cela, on a du jamais vu.


Je m'attendais de mon côté à une version déviante d'Alice au pays des merveilles. Elle fait également partie du programme, par l'intermédiaire d'Eden qui, au cours de l'exploration du chaos, est kidnappée par une sorte d'entité corrompue. Le lien avec Alice est immédiatement fait avec le fameux lapin blanc, dont je laisse au spectateur le soin de découvrir les subtilités. Le personnage conserve toutefois son importance puisqu'il agira comme un émissaire chaotique au sein de la communauté d'Heaven. Un prélude au carnage inévitable que le film organise depuis son introduction, qui s'opère toutefois d'une façon moins absurde qu'on ne pourrait le croire. Jimmy Screamerclauz se révèle également davantage efficace dans son style, puisqu'il parvient à instiller un peu d'humour dans son film sans que cela ne vienne dissiper l'impression malsaine de l'ensemble. Dans where the deads, l'humour ne fonctionnait pas, et pour cause, les pointes trashs étaient trop agressives pour qu'on parvienne à les prendre avec distance (lors de la découverte en tout cas). Ici, le comportement absurde des habitants d'heaven prête régulièrement à sourire, avec second degré (le père qui tente de discuter et d'être gentil avec sa femme alors qu'elle est en train d'agoniser sur le sol), sans que la souffrance en soit moquée ou l'horreur amoindrie. Et si techniquement, l'animation fait toujours mal aux yeux, les graphismes de screamerclauz se sont considérablement améliorés. L'esthétique n'est pas laide, elle est même très travaillée au cours de certaines scènes. Toutefois, son agressivité sans borne rebutera toujours certains spectateurs qui auront du mal à s'y retrouver dans cet univers qui échappe à tout repère réel. C'est en cela aussi que l'expérience se révèle marquante, puisqu'on se retrouve dans une oeuvre où on est largué, et où il sera difficile de garder son esprit intact. En ajoutant à cela l'obligation de le voir en VO non sous titrée, le dvd de Jimmy étant généreux en bonus mais peu en sous titres. Le dvd étant toutefois multi zone, il est possible de le découvrir en France malgré la traversée de l'océan.

Voracinéphile
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le 14 avr. 2016

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