Chacun verra ce qu'il veut voir...

Oui Whiplash (titre d'un morceau de jazz qui veut dire coup de fouet ou coup du lapin) est superbement filmé, monté et joué. Oui on est porté par l'histoire de ce jeune timide qui en chie (Andrew Neiman) mais se transfigure face à un prof (Terence Fletcher ) tellement demandeur qu'il en est psychopathe. On balise, on attend la prochaine vacherie, et on se demande comment tout ça va finir.


Alors pourquoi 7 seulement ?


A cause du message justement, et de tout ce qu'il sous entend sur la musique, le génie, le travail, la passion, la vie et l'éducation.


Et c'est là que la bât(teur) blesse ;-) (attention spoilers ahead)


We don't need no education


L'éducation d'abord: pousser les élèves à bout, les humilier, les harceler physiquement ou psychologiquement en les insultants ou en les tapant, maintenir un climat de terreur digne d'un camp de la mort ou le prof à droit de vie (promotion première trompette, ouaiiis) ou de mort (t'es viré ou rabaissé batteur de remplacement, bouuuuh) sur un simple caprice (un mec viré ne jouait même pas faux mais ne le savait pas... vous voyez le raisonnement psychotique du prof ?), faire en sorte que les élèves se sentent perpétuellement menacés non seulement par le Fletcher mais par les nouveaux musiciens qui peuvent devenir des rivaux. Un ancien élève qui a réussi mais pourtant se suicide.... Bon j'arrête là les joyeusetés.


Tout cela est justifié par une seule chose, expliquée dans un dialogue bien inutile en fin de film par Fletcher: pousser l'élève à bout pour qu'il se dépasse et devienne un génie. Visiblement la seule méthode possible selon lui. Si vous achetez ça, vous pouvez d'ores et déjà envoyer vos enfants dans un camps d'enfants gymnastes chinois où les mêmes méthodes sont appliquées. Avec un peu de chance ils survivront, avec beaucoup ils feront les JO, peu importe leur bonheur et le fait que des génies musicaux comme Hendrix n'ont jamais suivi un seul putain de cour de solfège.


Happiness is a warm gun


Le bonheur justement: au début on voit qu'Andrew Neiman est un passionné qui veut en jeune idéaliste devenir le meilleur batteur de sa génération. Il ne vit presque que pour ça et méprise ceux de son âge qui n'ont pas encore choisi (y compris sa copine) et y trouve un moyen de compenser sa timidité évidente. A un moment, l'effondrement psychologique d'Andrew est tellement fort qu'il ne touche plus à sa batterie, sa passion est morte. Où est le plaisir ? La passion et un objectif doivent ils justifier toutes les souffrances et tous les sacrifices ? Encore un message auquel je n'adhère pas. Tout le discours du film est d'ailleurs autour de cela: les élèves subissent parce qu'ils le veulent bien, parce qu'ils rêvent d'une vie comme musicien chez Blue Note ou dans un orchestre célèbre, avec surement les mêmes contraintes. Tout ça pour ça en fait.


Music was my first love


La musique maintenant: sujet qui m'est cher et le film n'aurait surement pas eu le même impact s'il avait s'agit de gym ou de patinage artistique. Je suis pas trop dans ce genre de jazz académique paramétré au minimètre parce que je trouve qu'il a perdu ses racines, sa spontanéité et sa liberté. Je surkiffe le jazz roots de la Nouvelle Orléans ou dépoussiéré façon Trombone Shorty ou le Fusion de Beat Assaillant ou Acid Jazz de AJA. Le jazz c'est pour moi la liberté, faut pas oublier qu'il a été créé avec le blues par les esclaves noirs ou exploités qui imaginaient une vie d'hommes libres.


On voit que le jazz ici n'a plus rien à voir ni rien a envier au classique. C'est académique et chiant et les impros c'est même pas en rêve. Le seul passage qui m'a plu est en total contradiction d'ailleurs avec tout le reste du film et c'est le solo final improvisé d'Andrew.


Bref musique souffrance (alors que quand Carlos Santana jouait on dirait qu'il avait un orgasme), musique sacrifice, musique emprisonnante et empoisonnante... Tout le contraire de pourquoi quelqu'un de normalement constitué en joue ou en écoute.


Et voilà le dernier point. Andrew est un grand timide, un introverti qui trouve une compensation dans sa passion et qui accepte tout pour cette raison, jusqu'à courir après un accident pour prendre sa place face à un prof impassible. Il y sacrifie même son premier amour. Tout est là, la victime est ici victime parce qu'elle est dans un rapport de soumission dans l'attente d'une récompense, une espèce de spirale négative qui est l'inverse du cercle vertueux existentialiste et humaniste d'un autre film sur l'éducation qu'est le Cercle de poètes disparus. "Carpe diem" contre "sacrifice yourself".


This is the end


Quand prof qui soit disant sacrifie l'humain pour la musique il est montré dans toute son hypocrisie: il évoque devant sa classe que son ex élève a eu "un accident" alors que c'est un suicide. Il n'assume pas. Le fait qu'il se soit fait viré non plus.


La seule note d'espoir est le "fuck you" final d'Andrew à Fletcher qui vient une fois de plus de l'humilier et qui maintenant conteste son autorité et devient le chef d'orchestre. Au spectateur de l'interpréter comme il veut: élève qui dépasse le maitre malgré ou grâce à son maitre, élève qui devient libre, récompense des sacrifices, le prof avait raison, ou l'élève, ou les deux... Il n'empêche que le message reste toujours humainement contestable sur le fond même si la forme est parfaitement maitrisée.


A moins que... A moins le réalisateur nous ait mené en bateau tout le long justement malgré cette fin et veuille dénoncer la dangerosité de cette méthode, l'accident de voiture et le suicide étant le paroxysme, l'isolement social, la vénération du bourreau frisant la maladie mentale.


En fait peut être que chacun verra dans ce film quelque chose de différent selon sa propre philosophie de vie. La gloire à tout prix ou un bonheur anonyme, progresser dans le plaisir ou en suivant le côté obscur, la soumission et l'humiliation.


A vous de juger...

LeReveur
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le 22 juin 2015

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