Le Festin de Babel
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Tourné dans les splendides paysages de Cappadoce, Sommeil d’hiver raconte quelques jours de la vie d’Aydin, ancien acteur de théâtre retiré dans l’hôtel familial qu’il gère avec sa sœur et sa jeune femme. Dans cette région montagneuse pauvre et isolée, son statut de propriétaire terrien lui assure un revenu confortable mais aussi pas mal de jalousies et d’inimitiés larvées.
Un caillou dans un pare-brise, signe de tensions sociales occultées, déclenche une série de petits séismes existentiels chez ce moderne hobereau soudain pris à partie par ses proches, qui mettent en cause sa suffisance intellectuelle et son absence d’empathie: «Tu es un homme cultivé, honnête et juste, mais tu utilises ces qualités pour étouffer les autres», lui lance son épouse frustrée dans l’un des longs dialogues tchekhoviens (ou bergmaniens) qui constituent le cœur du film. Des conversations d’abord inoffensives, entre gens de bonne compagnie, qui se muent en affrontements verbaux d’une terrible violence psychologique, derrière un vernis de tolérance qui se craquèle jusqu’à disparaître totalement.
Dans cette œuvre d’une renversante beauté formelle (chaque plan est composé comme un tableau), le réalisateur turc dévoile avec une rigueur féroce les moindres failles morales et intellectuelles de ses personnages. Traquant la vérité jusqu’au plus profond des âmes, il ne laisse que peu de crédit à Aydin – magnifiquement interprété par Haluk Bilginer, acteur de théâtre très connu en Turquie. Ce dernier perd peu à peu de sa superbe jusqu’à une (im)pitoyable scène de soûlerie qui l’achève littéralement aux yeux du spectateur, tandis que sa jeune épouse subit, elle aussi, une terrible humiliation de la part d’une famille démunie qu’elle voulait aider… Tout sauf ennuyeux, Sommeil d’hiver est un grand film humaniste, beau et cruel, certes pessimiste mais d’une salutaire et bouleversante lucidité.
(critique écrite en 2014, parue dans La Liberté)
Créée
le 1 mai 2024
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