"Un film parfaitement acceptable, en fait."

Il me semble important – oui, important – de faire remarquer en préambule de cette critique d'un film où une top-modèle charismatique mais presque totalement incapable de causer anglais se bat contre les maux d'un monde masculin tout en portant pour des raisons culturelles un uniforme comportant un bustier, des hauts-talons et une minijupe... qu'un film de divertissement comme celui-ci ne devrait sans-doute pas être considéré comme un pamphlet politique d'une profondeur insondable, hein. C'est un détail qui échappe à bien des gens, de nos jours : les produits de consommation courante sont parfaitement incapables de contenir un message politique autre que le fait qu'ils sont, en fait, à vendre. Tel est leur but, leur mission, peut-être même leur sacerdoce. Cette idée que diverses causes peuvent êtres défendues d'un point de vue idéologique par le fait de participer au succès économique de l'un ou l'autre projet réalisé en exploitant ceux-ci... est une manipulation assez grossière des idéaux d'un public naïf par un système de production dont le seul but est le gain. Le but de l'exercice n'est pas de sauver le monde, hein, mais bien de tirer un profit du fait d'adresser de manière normative l'une des causes sociales qui nous affectent tous. Avec un peu de chance, vous serez ravi d'avoir été assez sensible aux maux du monde moderne que pour avoir choisi de regarder ça. Car, après tout, vous êtes quelqu'un de super. Vraiment, hein, la crème de la crème. Sérieux. Ne changez rien : vous êtes la solution et non pas le problème.


Ce concept – ici démontré avec brio par ce mélange étrange de tact et de subtilité qui est devenu ma carte de visite – s'appelle la conscientisation. Le but final n'est pas de vous dire comment changer le monde mais bien de vous satisfaire du fait que vous êtes maintenant conscient du fait que la problème réside chez les autres. Vous savez, le reste de la population. Les crétins qui ne consomment pas comme vous en se laissant volontairement exploiter sur des bases soi-disant éthiques, tout ça. Maintenant que vous êtes conscientisé – oui, le mot existe – vous savez précisément à quel point il peut être difficile de transformer les aventures d'une princesse amazone inventée par un psychologue porté sur le triolisme et le bondage en un produit de consommation courante susceptible de faire face aux toutes puissantes productions Marvel. L'exercice est délicat. L'on ne voudrait pas adapter de manière trop servile les écrits étranges de William Moulton Marston et ainsi se retrouver avec un monde étrange susceptible de troubler le peuple de plastique manufacturé par Disney ces dernières décennies. D'un autre côté, ne pas admettre les influences de l'une des genèses les plus étranges de l'histoire des comics classiques transformerait le personnage en une caricature plus proche de la version de l'époque de Linda Carter que de son plein potentiel.


Alors, face à tant de variables improbables... l'on fait simple. Wonder Woman est l'histoire d'un petit bébé en glaise animé par Zeus pour satisfaire les demandes de la Reine d'une île étrange où des bodybuildeuses versées dans les arts divers de la cascade de cinéma cachent leur existence face au mystérieux Monde des Hommes et les nombreux dangers dont elles ignorent tout sans que cela leur empêche de les mépriser profondément dans un moment d'ignorance rare mais salvatrice. Car, voyez-vous, leur société de femmes immortelles d'un certain âge sapées comme des personnages de péplum serait très certainement mise en danger par l'irruption soudaine d'un être de sexe masculin. Un jour – après un long montage où une gamine cute mais insupportable laisse enfin sa place à Gal Gadot dans la grande séquence d'apprentissage de la vie que chacun de ces films semble contenir – le Capitaine Kirk s'échoue à proximité de chez elle dans un aéroplane. Diana, tel est le nom de notre protagoniste, se jette de manière très cinématographique à sa rescousse... et remarque immédiatement que cet être différent pourrait bien être l'un de ces monstrueux hommes dont elle a tant entendu parler ces derniers siècles. Après diverses blagues plus ou moins convenues sur le fait que les hommes et les femmes sont dotés de système reproductifs différents mais complémentaires elle arrive à la conclusion que cette Grande Guerre qui ravage le monde contenu au-delà de l'île tropicale de Themyscira résulte sans aucun doute de la présence du dieu Arès sur la Terre des Hommes. Par chance, une attaque massive de soldats allemands la décide soudain à mettre son plan à exécution et sauver le monde en abandonnant les siens lors d'une scène d'action rondement menée dans le style inventé par Zack Snyder lors de l'adaptation du roman graphique – dit-il en levant un bref instant son petit doigt vers le ciel en signe d'érudition profonde – 300 de Frank Miller.


Ce film, d'un point de vue purement stratégique, est une rare réussite. Toutes les précautions ont été prises pour fournir au grand public bien-pensant un film bien foutu susceptible de remplir les besoin d'héroïne d'action d'une société de consommation bien décidée à vendre des jouets aux filles. Car, autant vous le rappeler, tel est le but de l'exercice : vendre des produits dérivés à un public qui est traditionnellement plus difficile à satisfaire avec l'offre traditionnelle des produits super-héroïques. (Notez, qui sait, peut-être que ce film inspirera une nouvelle génération de Patty Jenkins d'oser pouvoir rêver faire des films lisses susceptibles de briser des records au box-office. Vous savez que votre société est étrange quand l'on félicite des artistes pour avoir enfin osé courageusement rentrer dans le rang de la production industrielle.) Toute cette démonstration organisationnelle digne du domaine militaire laisse cependant penser que la compagnie Warner Bros. comprend avec un degré terrifiant de précision l'importance d'un personnage comme Wonder Woman pour leur image de marque. Et le fait qu'ils n'aient pas magistralement foiré la transition du personnage vers le monde étrange de l'exploitation de licences diverses par le biais de produits cinématographiques devrait être apprécié. Surtout qu'on imagine difficilement quel personnage secondaire de troisième rang Marvel devra tenter de promouvoir pour contrecarrer le fait que la plupart de leurs personnages féminins sont – enfin, ceux dont ils possèdent encore les droits – des décalques sans saveur de super-héros masculins auxquels l'on a appliqué le coup de peinture salvateur nécessaire à en faire des filles. (Pensez à Spider-Woman, She-Hulk et Miss Marvel et vous aurez une bonne idée du processus dont je vous esquisse ici les grandes lignes.)


Alors, ce n'est certes pas l'un de ces films dont l'on sent dès les premières images que l'un des grands futurs classiques de la question cinématographique est en train d'éclore face à vos yeux ébahis, hein. Mais je pense pas que c'était le but.

MaSQuEdePuSTA
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le 25 juil. 2017

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