Z32
6.8
Z32

Documentaire de Avi Mograbi (2009)

Secret Story, Israeli Edition

C'est le témoignage d'un gamin à qui on a donné le pouvoir de tuer "tout mâle de plus de 5 ans"... Et qui sur l'ordre direct de ses supérieurs a fini par commettre un crime de guerre.
C'est une histoire de guerre banale en soi: on y parle du conditionnement des soldats d'élites, on y pose la question du libre arbitre du soldat sur le champ de bataille et on s'interroge sur la possibilité d'une moralité de l'individu supérieure à celle du groupe.
Mais pour répondre à ces question le réalisateur se contente d'étriller le seul matériau qu'il a: un soldat des troupes d'élites qui a tué un innocent. Toute l’ambiguïté de ce témoignage vient du fait que ses motivations sont floues. Si il dit chercher à comprendre, il dit que ça ne le hante pas. Ce passage dans l'armée est clairement un des meilleurs moments de sa vie telle qu'il en parle. Car la critique n'est pas venue de lui: c'est son entourage qui va dénoncer ses agissements et le forcer à se remettre en question.
Sa petite amie sera sa première interlocutrice. Dans une discussion de sourds elle pointera l'incroyable banalité de l'horreur et répétera les valeurs humanistes de la gauche israélienne pendant qu'il la poussera à raconter cette nuit à sa place. C'est le paradigme du film: elle cherche à comprendre comment ses gardes fous moraux ne l'ont pas stoppé et lui cherche à comprendre l'homme qu'il était alors, pour pouvoir se juger. Mais la discussion n'ira pas plus loin tellement ils sont incapables tous deux de pousser la réflexion qui est alourdie par un certain nombre de concepts mal digérés tout droit issus des cours de fac qu'elle suit.
La deuxième partie tente de boucher quelques trous en laissant raconter sa vie d'alors au gamin, ce qu'il fait avec une candeur parfaite, mais n'apporte pas grand chose, le réalisateur semblant préférer ne pas intervenir et le laisser dérouler le fil de ses réflexions. Des réflexions qui renvoient à celles du reportage que le réalisateur ne fera jamais le choix de formaliser soit en faisant intervenir d'autres personnes soit en posant clairement les enjeux.
La dernière partie rend ce choix évident. Le réalisateur se met lui même en scène, un bas sur la tête, le découpant pour en faire un masque avant de s'en débarrasser complètement "pour pouvoir respirer". Ravi que son chien et sa femme apparaissent par hasard il chantera finalement une chanson de son crû qui juge simplement et brutalement son principal acteur. En se posant en antithèse du soldat/meurtrier, qui lui s'inquiète énormément de rester anonyme, en le dénonçant ouvertement et en le rendant responsable d'une partie des maux d'Israël il semble vouloir afficher une supériorité morale, par extension, des anti-guerre sur les pros. Le fait qu'il ne parle jamais de sa propre responsabilité ou expérience, en tant que citoyen et réserviste (2 ans obligatoires) qu'il n'aborde jamais le problème de la sécurité et de la politique d'Israël font qu'il n'y a presque rien à retirer... Sinon la désagréable impression d'avoir été un voyeur, le spectateur d'une télé-réalité trash imaginée par un humaniste pour dégoûter de la guerre.
Cette posture est d'autant plus dommageable que l'on peut apercevoir ici et là le potentiel réel du témoignage. Le soir même le soldat était au concert d'un ami "qui a tout déchiré" ce qui pose la question de l'enjeu de cette guerre pour la jeunesse israélienne, éduquée et vivant dans une société moderne. D'autres films ou reportages tels que "Valse avec Bashir" ou "the Gatekeepers" apportent plus sur ce sujet alors qu'ici on a un témoignage de première main. La façon dont est décrite l'entrainement et le quotidien de son unité semble faits pour éliminer le risque d'une prise de conscience ce qui ramènerait à de très mauvais souvenirs. Mais cette question et son pendant social ne sont pas traitées. Idem pour la bravache du réalisateur dont la propre femme dit ne pas vouloir figurer dans son film. Quels sont les risques réels qu'il prend, quelle forme de censure a cours et ce film est-il vraiment une petite bombe du point de vue israélien? Ici pas de réponse.
Il s’avérerait que réaliser un pamphlet contre la guerre prend un peu plus que d'empaler le premier ahuri venu, en faisant semblant d'ignorer ses failles, pour pouvoir l'ériger en Monsieur Carnaval.
cocorider
3
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le 20 déc. 2014

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