87 sur Metacritic… Le studio qui a fait l’exceptionnel Nomad Soul. Je n’avais pas le droit de le louper. Surtout que même si je n’aime pas l’indicateur Métacritic, quand il est haut, ce n’est pas par hasard. Six heures après avoir lancé le jeu, je peux confirmer que la presse vidéoludique est un ramassis de demeurés incapables d’intellectualiser quoi que ce soit et que David Cage est le nouveau Peter Molyneux, en plus prétentieux (si si c’est possible).



Gameplay pauvre.


Certains disent que le gameplay de Heavy Rain se résume à des QTE. C’est totalement faux. Parce que QTE c’est Quick Time Event, il faut donc que ce soit rapide et chronométré…
Alors, comment doit-on appeler un gameplay dont 30% des actions consistent à se lever de sa chaise en appuyant sur un bouton, 60% à se déplacer vaguement puis à cliquer pour faire des choses palpitantes comme ouvrir une porte ou un tiroir (ou 6 tiroirs… avec un seul objet par tiroir…même en 1987 on faisait déjà plus crédible) et où les 10% restant contiennent de vraies QTE ?

Vous pensez que j’exagère ? Eh bien non. Dans les 60%, il y a par exemple une scène où vous devez faire une omelette... Genre, appuyez sur le rond pour casser les œufs. Appuyez sur Triangle pour les vider dans la poêle. Bougez le pad en cercle pour remuer…
Ça se veut réaliste ? Intimiste ? On casualise les thèmes ? On veut démontrer que le jeu n’est pas que sang et baston ? Au-delà du fait que le jeu d’aventure (en particulier) l’a démontré (moult fois) depuis plus de 20 ans, il faut savoir que je me suis fait chier et que je n’ai pas appris à faire correctement une omelette… En plus, je dois cliquer pour vider les œufs, mais le feu lui s’allume tout seul, sans que le personnage ne fasse rien.
Paye ton bilan sur l’interactivité et l’avenir du jeu vidéo...

Ah oui, il y a aussi une scène où on prend sa douche. Enfin, où un personnage prend une douche. Bizarrement, c’est la nana.
Ça doit être pour le côté “émotion” prôné par David Cage.
Pour les trois lecteurs qui n’ont pas décroché de ma critique et qui ne savent pas qui est David Cage, c’est le mec qui est derrière Quantic Dream, le maître d’œuvre d’Heavy Rain (eh oui, j’espère avoir plus de 3 lecteurs... et aussi que certains connaisse l'identité du coupable).

Ce garçon (qui dit plein de choses philosophiques sur le jeu vidéo - mais qui a l’air de surtout connaître les FPS et les TPS bourrins tant il réduit le média à ces deux sous genres) criait à qui voulait l’entendre que le jeu vidéo ressemblait à des films pornos car les cinématiques scénaristiques ne servaient qu’à passer d’une scène d’action à l’autre et que lui voulait faire des jeux avec des émotions plus complexes.
Il y a, je dois l'admettre, une certaine véracité dans sa vision du jeu vidéo, même si cette remarque était plus facile la première fois qu'il l'a prononcée, au début des années 2000. Depuis, le storytelling est devenu bien plus présent notamment chez les triple A (même Need for Speed s'y essaye...). Ceci étant dit, regardons comment David va à contre courant de ce qu'il considère être l'état du jeu vidéo et à quel point il parvient à faire naître des émotions chez les spectateurs (lapsus...). Un jeu où on fait une omelette, un jeu où on aide une nana à prendre sa douche (oui on voit les boobs, parce que sinon ce ne serait pas réaliste hein… à un autre moment, on peut la faire danser… et si on gère, elle fera même un strip-tease où on pourra faire bouger ses fesses à coup de rotation de stick...) et un jeu où on se lave les dents. Oui, on fait ça aussi. En secouant la manette de gauche à droite…
Hum.
Il est beau le jeu vidéo 2.0.


Ecriture ratée


Alors quand un jeu triple A (si si) se plante (totalement) sur le gameplay, mais qu’il est défendu à coups de mots comme “original”, “jamais vu” ou “émotions”, on a envie de pardonner le gameplay moisi du colon et de se plonger dans l’histoire et la mise en scène.

Alors, les personnages. Déjà, on en joue 4. Oui 4. Sur un jeu de 5-6 heures. Je pense que vous en doutez déjà que, niveau immersion, c’est un peu naze.
A démultiplier les personnages, on se perd, on s’attache moins, et donc… on a moins d’émotions. Ou disons qu’au mieux, on aura celles d’un film (ce qui serait déjà pas mal ceci dit).

L’autre souci avec les personnages, c’est qu’ils sont caricaturaux ou resucés.
Le détective privé d'abord. Tout droit sorti d’un film noir. Je vous laisse deviner. Imper, chapeau, whisky, ancien flic, bourru… Wahou. Quelle originalité !
Vient ensuite, la journaliste. Intrépide, cheveux courts, brune, bonne… Après Jade de Beyond Good and Evil, Alyx de Half-Life et Michelle des Chevaliers du Baphomet, je la sens bien l’originalité.
Le jeune gars du FBI, propre sur lui, que la police locale va traiter comme de la merde mais qui est trop fort en vrai… 1687 films et séries contiennent ce personnage. Cherchez pas, j'ai compté pour vous.
Le père d’un enfant enlevé. Attention, c'est le moins sur-exploité des quatre.
Emo, triste, il se croit schizophrène car il a des blackouts et a des images de gens noyés (et le tueur noie ses victimes)... Ca ne rappelle pas Fahrenheit ça… (le précédent jeu de Quantic dream)... Il a aussi la tronche de David Duchovny (mais avec des yeux de chien battu), ce qui m’a vachement perturbé (mais pour ça, j’en veux à personne).
Du coup, c'est bien. C'est le moins surexploité, mais c'est le même héros que dans leur jeu précédent. On se dit qu'on vit quand même dans un monde de merde quand les auteurs se voient obligés de s'inspirer de leurs propres travaux tellement on a peu d'oeuvres de fiction où puiser son imaginaire.

Heureusement il reste la psychologie. Et le père est pas mal de ce côté là. Sauf que... Sauf que, étant repompé sur leur précédent jeu, pour quelqu'un d'un peu assidu, il n'y a pas vraiment de surprise dans son développement. Si on ajoute à ça que c'est un peu trop survolé, on se dit qu'on obtient la profondeur de personnages d'une série américaine bas de gamme. Qui a dit 'Lost' ?

Quant au reste des personnages, c'est... sans logique.
Les premiers pas de Madison, la journaliste, vers Ethan, le père, n’ont aucun sens. Son comportement n’est pas cohérent.
Pire, la psychologie du tueur ne tient pas la route une seconde… Raaaah... Bon, dégageons les personnages. Regardons ce qu'il reste et passons au scénario.

Eh bien... Surprise ! C’est bateau.

Faut dire qu’en 5 heures de jeu, avec autant de protagonistes - qui la plupart du temps ne se croisent pas (oui, y a aussi ça dans les facteurs anti immersif) -, avec des scènes de lavage de dents et de confection d’omelette, on n’a pas vraiment le temps de développer son histoire.

Alors, pour résumer. On a un tueur. Et un film mosaïque (oui comme Short cuts ou les Uns et les autres). Le détective enquête comme un détective (avec pas mal de moule et des contacts "de y a longtemps"). Une ambiance très film noir. Pas mal rendu. La journaliste enquête comme… euh… comme une journaliste de film d’horreur avec des nichons et des "et si j’allais chez ce mec bizarre sans prévenir personne”. Mais aussi des “et si je remuais mon cul pour faire parler ce gros beauf mafieux alors que j'ai prévenu personne”...
Et le FBI enquête comme... le FBI. Dans les Experts. Avec du matos futuriste. Super futuriste. Des Google glass super sympas laissant entrevoir la possibilité d'un univers d'anticipation. Mais comme elles sont absolument et totalement sous utilisées et sous développées (on croit avoir à faire à un tutorial et... en fait non), on finit par ne pas trop comprendre ce que ça fout là ni où on voulait en venir.

Résultat, on obtient un magnifique best of des scènes caractéristiques (et souvent convenues) du polar. “On va mettre un détective chapeau mou ! - Ouais super, j’ai maté Bogart hier, on lui fera boire du whisky !! - Mais faudrait aussi un journaliste qui enquête en marge ! - Ou une plutôt ! On pourrait lui faire prendre une douche et faire penser aux gens que c’est comme Psychose !! - Oh oui, et faudrait un mec du FBI ! - Putain ouais, mais il aurait du mal à s’imposer auprès des frics locaux ! - Et on dirait que son partenaire serait un connard et on fera des scènes où il interrogera violemment des suspects ! - Ouais et le joueur aura des choix moraux: l’empêcher ou non de tabasser le suspect !!”

Du brainstorming de qualité.

Comme je suis un peu idiot, j’ai espéré un twist, mais vu l’état du reste, je ne vous cache pas que les twists ont l’air, eux aussi, d’avoir un cancer terminal du colon.
“Regardez ! Je suis journaliste et j’enquête sur le tueur en série. Du coup, haha, je n’étais pas tombée par hasard sur Ethan, le père, contrairement à ce que vous croyiez en murmurant ‘c’est quand même un coup de pot’. Moi je savais où il était, même si la police ne savait pas, ni le FBI, moi je savais. Avant même que cette dernière ne le recherche. Par contre bon, j’ai beau enquêter sur le tueur, je ne surveille pas Ethan la nuit quand il se demande s’il a ses blackouts. Je ne sais pas non plus qu’un détective fait aussi une enquête et je n’ai jamais pensé à rencontrer les parents des victimes passées”... Ça c’était le premier twist. Logique, cohérent, plein d’émotions. Révolutionnaire.

Je pourrais aussi vous gâcher le twist final. Mais c’est tellement débile, que je vais vous épargner… Le tueur c’est le détective. Oups. J’ai craqué.
Le détective donc. Il enquête sur lui-même… Et… Je n’ai pas envie de développer tellement ça n’a aucun sens. Comme le reste. Aucune explication aux blackouts du père. Dans les lunettes. Dans les logiques des personnages, mobiles, actes… C’est pathétique à ce stade.

J’évite de parler des émotions. J’ai surtout ressenti de l’énervement et de la frustration. Un peu comme avec Blair Witch Project, je souhaitais la mort de certains personnages (avant de réaliser que c’était celles des auteurs qu’il fallait souhaiter).

Enfin, le rythme. Eh bien disons simplement qu’il est à chier. Cinq minutes de cinématique, une scène pour se lever de sa chaise et ouvrir une porte, puis cinq minutes de cinématique, puis d’un coup, une QTE (une vraie, rapide et chronométrée) qui entraine la mort du personnage si on la rate.

David, il serait bon que tu apprennes la différence entre télévision et jeu vidéo. Entre cerveau passif et cerveau actif. Il serait bon que tu apprennes les principes ludiques et que tu joues un peu au jeu vidéo, pas seulement que tu en parles ou que tu tentes d’en développer. Il faudrait y jouer, vraiment.


Pour en finir

Au final, y a-t-il quelque chose pour sauver le soldat Heavy ? Oui ! Les plans de caméras très cinématiques. C’est pas mal ça. Et… voilà. C’est tout.
Ça fait un bilan plutôt mitigé et si vous ragez parce que je vous ai spoilé la fin, prenez ça comme un cadeau que je vous ai fait. Je vous ai donné cinq heures de vie et c’est bien plus d’émotion que ce que vous aurait donné ce jeu.

Je finirais (vraiment cette fois) sur le fait que des fois je suis d’accord avec David Cage. Alors que j’écrivais cette critique, je suis tombé sur son interview dans le nouvel Obs où il déclare “Je ne cherche pas à singer le cinéma”. C’est vrai. Il ne cherche pas à singer le cinéma. Il singe du mauvais cinéma. C’est tout autre chose.
VincK
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le 16 sept. 2013

Modifiée

le 30 oct. 2013

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VincK

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