A Way Out
6.7
A Way Out

Jeu de Hazelight et Electronic Arts (2018PlayStation 4)

Je n'adhère pas plus que ça aux jeux cherchant avant tout à être spectaculaires dans leurs scènes d'action comme Uncharted ou autre jeu fait de la même recette, et sur bien des points A Way Out semble être une imitation bon marché de ces jeux-là (le tout mélangé à une certaine dose de Life is Strange). Pourtant, la composante coopérative du jeu de Josef Fares, qui permet de s'extirper de la façon trop classique dont on aborde certains jeux qui le sont tout autant, suffit à relever la saveur de telle sorte qu'il éveille davantage ma curiosité que ne le fera peut-être la prochaine itération de The Last of Us, aussi techniquement réussie qu’elle puisse être. (j'ai un peu craqué là-dessus)


L’intention de Fares semble être de proposer une expérience qui tire parti d'interactions propres au jeu vidéo, tout en conservant une composante cinématographique importante qui est celle d’être spectateur d’une histoire, dans laquelle on ne s'implique pas forcément et sur laquelle on peut donc avoir un regard critique.
Cela transparaît très clairement à travers l’absence d’urgence lors des choix a priori importants : peu de différences entre deux joueurs, sur leur canapé, confrontés à un choix dans A Way Out, et deux spectateurs faisant pause à un moment crucial d’un film pour essayer d’en deviner la suite.


La coopération, le fait de ne pas être seul face à son écran, induit nécessairement une discussion et ainsi un recul sur ce qu’il s’y passe, et c’est pour cela que le fait de proposer une intrigue aussi classique, assez référencée, avec un penchant pour les transitions absurdes et autres scènes en slow-motion, est tout à fait en corrélation avec cette conscience d’une prise de recul de la part des joueurs. Les scènes se prenant trop au sérieux semblent ainsi moins adaptées mais, étant plus rares, il y a possibilité qu’elles fonctionnent tout de même…



Le crime était complètement foiré



Le souci toutefois de cette prise de distance des joueurs est que l’identification au personnage ne fonctionne pas, et qu’ils se retrouvent ainsi coincés dans cet état bâtard situé à mi-chemin entre l’endossement du rôle de leur personnage et l’observation passive du développement de ce même personnage (ce qui est, par ailleurs, quelque chose de très présent dans le jeu vidéo de manière générale). Comment accorder du crédit à ce qui nous est raconté lorsque notre personnage révèle soudainement ses motivations, et que celles-ci, ayant vocation à servir de twist, prennent nécessairement à revers l’image que l’on s’était construite peu à peu de celui qu’on incarne ?
On aurait pu, pour aller plus loin, et dans une direction qui n’est apparemment pas celle souhaitée ici, imaginer la présence dans la boîte du jeu d’un livret destiné à chaque joueur et présentant le personnage que l’on incarnera, afin que chacun puisse réellement endosser son rôle. Il aurait aussi été possible de disséminer les informations via smartphone, dont la possession semble aujourd’hui davantage être un acquis que l’existence d’une boîte et d’un livret.



Just make your move, Einstein



On retiendra quelques moments de jeux où la coopération fonctionne de manière intéressante :


-Ce sont d’une part les phases de déplacement libre (au sein d’un espace très restreint), qui laissent de côté la linéarité propre au film pour autoriser toutes sortes d’interactions, variées mais toutes très limitées, durant lesquelles la voix du jeu va être remplacée par celle des joueurs. La déambulation des deux fugitifs dans la maison de campagne en est certainement le meilleur exemple : chacun s’amuse de son côté à interagir avec les objets de la maison, hélant régulièrement l’autre pour lui faire part de ce qu’il a découvert, et éventuellement pour le tester ensemble : ainsi jouer en même temps du banjo et du piano occasionne-t-il une brève scénette dans laquelle les deux personnages jouent de manière synchrone. On peut aussi s’attarder sur une borne d’arcade, un jeu de fléchettes ou de force 4… ou encore sur une barre de tractions ou autre poids à soulever qui nécessite de marteler sa manette jusqu'à l'épuisement. En fin de compte, de petites activités avant tout sympathiques lorsqu’on les découvre, mais dont on fait très rapidement le tour (ce qui sert, en même temps, l’avancée de l’intrigue).


-D’autre part, certaines scènes très cinématographiques peuvent donner lieu à des moments de coopération plutôt bien mis en scène : les joueurs ne font alors à peu près que cocher leur liste de QTE, mais de manière alternée. Monter dos à dos implique par exemple que chacun réussisse sa QTE mais, si l’un des deux en rate une, il vaut alors mieux que l’autre en rate aussi volontairement une, afin d’éviter de créer un déséquilibre qui ferait chuter les deux partenaires.
Autre exemple, la scène de l’hôpital où chacun doit courir tour à tour comme un dératé permet une utilisation plutôt recherchée de l’écran splitté, qui laisse sa place au plein écran et se partage de nouveau pour assurer les transitions. Il y a assurément un travail appréciable au niveau de la réalisation, qui pourrait être considéré comme propre au cinéma s'il ne reposait pas sur l'écran splitté, lié au jeu vidéo... finalement, une bien belle ruse visant à rapprocher les deux, au détriment des joueurs n'aimant pas les mélanges...


En fin de compte, c'est l’absence d’embranchements dans le déroulement de l’intrigue, rendue évidente par une fin qui exacerbe l’incompatibilité évoquée plus haut entre le joueur-acteur et le joueur-spectateur, qui ne peut faire que regretter un jeu qui aurait pu être tellement plus poussé. Le retournement de situation à la fin du jeu, ainsi que toutes les autres idées, peuvent apparaître comme ingénieuses mais il suffirait à vrai dire d’un brainstorming de 5 minutes sur le jeu en coopération pour les trouver. Reste que le plus difficile est de les avoir mises en œuvre dans un jeu ; Il est en effet moins évident de ne pas se heurter à des maladresses de réalisation et de mise en scène, surtout quand il faut prendre en compte les possibilités et désirs d’interaction du joueur, même de deux à la fois.


En attente d’un éventuel raffinement de la recette par d’autres créateurs inspirés, A Way Out fait tout de même l’exploit de proposer une expérience assez unique en son genre tout en étant convenu sur toute la ligne.

Xeno
6
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le 25 mars 2018

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Xeno

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