Quand on arrive en ville...
Banished pèse moins de 100 Mo et a été développé par une personne seule. Pendant que la grande fête du jeu indépendant bat son plein sur Kickstarter à grands renforts de glorieuses promesses, de billets sur la table et de hype dégénératrice, Luke Hodorowicz a fait un jeu dans son coin. On ne sait pas grand-chose du bonhomme (il dit avoir plus de dix ans d'expérience dans le milieu, mais tait les projets sur lesquels il a travaillé), on ne sait pas non plus grand-chose de son jeu (où est le matraquage médiatique de rigueur pour un projet indépendant ?), mais les faits sont là : Banished cartonne de partout, Steam l'a classé en tête des ventes pendant plusieurs semaines et personne, absolument personne, ne semble en mesure de pouvoir expliquer comment un type velu et probablement binoclard a réussi à faire seul ce que Blue Byte et Tilted Mill font à cent. Soit un city builder, joli, efficace, pertinent et personnel dans ses mécanismes, qui réussit à attirer l'attention et à la maintenir sur plusieurs dizaines d'heures.
Banished, c'est un peu ce que proposaient les Settlers et les jeux Impressions d'il n'y a pas si longtemps : construire des villes en se concentrant sur le micro-management. La différence est que Banished n'inclut aucune dimension militaire et fonctionne vraiment à petite échelle. On parle ici de hameaux à gérer, grands d'une quinzaine d'âmes en début de partie, qu'on agrandira à deux cents avec une immense fierté. Le jeu est quelque part fidèle à la mode en demandant au joueur de se concentrer sur la survie de ses personnages, sauf qu'ici, pas de zombies, seul le cycle des saisons. On jongle avec les professions, on construit des maisons qu'on veille à pourvoir en nourriture et en bois de chauffage. La difficulté n'est pas tant d'agrandir son patelin que de veiller à sa prospérité sur le long terme : les erreurs ne se paient pas sur l'instant, et les conséquences d'une gestion hasardeuse se font ressentir un ou deux hivers après, quand la population tombe sous le froid ou la famine. Ce qui est rigolo, c'est que le joueur a tous les outils en main pour faire ce qu'il veut, les paramètres à gérer étant vastes et tout à fait dignes, en quantité et en équilibrage, des plus grosses productions récentes dans le genre. Donc, on progresse généralement en sachant à quoi s'en tenir, même si les premières parties seront le théâtre d'hécatombes heureusement peu punitives - il suffit de recommencer une nouvelle ville.
C'est aussi ce qui est chouette dans Banished : il n'y a pas d'objectif. Le seul mode de jeu disponible est le mode bac à sable, où le joueur se fixe le seul objectif possible dans ce cas-là, à savoir faire la ville la plus grande et la plus prospère d'entre toutes. La variété des professions et des bâtiments constructibles incite à tenter de nouvelles combinaisons à chaque partie, de même que la configuration aléatoire des cartes, où les gisements de ressource apparaissent souvent généreux mais sont en vérité à approcher avec parcimonie. Surtout, c'est l'intuitivité et l'attrait de l'ensemble qui incitent à continuer : l'interface est propre est évidente, les graphismes possèdent un réel charme et le délicat fourmillement de vie qui se dégage des villages les mieux gérés fait partie des récompenses qui scotchent à l'écran. Banished, malgré le fait qu'il ait été créé par une personne seule, apparaît très moderne, très fin, dans son visuel, avec ses maisons aux cheminées fumantes, ses villageois travailleurs aux animations simples mais évocatrices. En fait, le jeu est vraiment très mignon, et de sucroît plutôt bien optimisé pour les machines les plus modestes.
De prime abord, le jeu peut sembler anecdotique, voire même ne cibler personne en particulier. On a chacun notre propre référence du city builder, le jeu aux mécanismes parfaits qui correspond à une vision spécifique du genre : les managers adulent les jeux Impressions Games, les polyvalents sont fans des Stronghold, les guerriers se pressent autour des multiples références de RTS actuellement en vogue. Le marché peut sembler bouché. Et pourtant. On s'en rend compte au fil des heures, Banished vient se loger dans sa propre niche, à l'extrême gauche du prisme gestion/stratégie. Ce n'est que du management, à très petite échelle, sans guerre ni gestion de conflit : tout, ici, repose sur la construction de ville "stricto sensu", dans un rythme d'une grande lenteur qui vise moins à plaire aux hardcore managers qu'aux amoureux d'une gestion ordonnée et pacifique. Ceux qui s'ennuyaient dans Pharaon, Caesar et compagnie de devoir livrer bataille en ne faisant qu'une bouchée de l'aspect survie seront aux anges ; ceux, également, qui regrettaient dans les derniers Tilted Mill (Les Enfants du nil, Caesar IV) que la gestion fut pénalisée par des mécaniques superflues, obscures ou déséquilibrées se régaleront de l'aspect à la fois essentiel et profond du gameplay de Banished. C'est ici que l'on est encore plus content que ce jeu formidable soit l’œuvre d'un seul homme : on y trouve une vision précise du genre city builder, une variation intime et infiniment plaisante sur le thème de la survie. Un jeu essentiel, accessible et hypnotique, qui restera certainement parmi les meilleurs jeux du genre de la décennie - et, bon sang, tout ça fait par un type seul ?