Le moins que l'on puisse dire, c'est que Arkham City ne trahit pas les grandes attentes que l'on plaçait en lui. Petit frangin de Arkham Asylum, grosse surprise du studio Rocksteady arrivée sans grande fanfare il y a deux ans, le titre se veut plus ambitieux en adoptant des mécaniques de jeu moins dirigistes et plus ouvertes en apparence.

Open world, le jeu l'est assurément, mais c'est loin d'être une spécificité ici. En y repensant, l'asile d'Arkham était lui aussi plus ou moins ouvert. En arrivant dans la ville cependant on se rend rapidement compte que l'espace mis à disposition du joueur, pas beaucoup plus grand que dans l'épisode précédent, mais incroyablement plus dense, ne servira pas qu'à rechercher les reliques de l'Homme-Mystère. En effet, si Edward Nigma, qui n'a décidément vraiment rien d'autre à faire de ses journées, est de retour plus inspiré que jamais dans Arkham City, il n'est pas venu seul et a apporté avec lui tout un tas de super-vilains qui permettront à Batou de varier les plaisirs entre deux cassages de voyous. Scènes de crime à analyser, appels à tracer, prisonniers politiques à sauver, tueurs en série à démasquer, trucs à exploser, la ville de Quincy Sharp n'est pas avare en activités pour les chauves-souris en manque de divertissement.

Le plus fort c'est que ces parenthèses sont toutes aussi agréables à jouer les unes que les autres. Si l'on veut dévier une petite heure de la quête principale, on trouvera toujours deux-trois choses à faire à proximité, sans jamais tomber dans de la quête Fed-Ex ou du cassage de mob à la chaîne. Même la collecte de petites merdes est devenue amusante, maintenant qu'il est possible d'interroger des voyous pour leur soutirer des infos sur leur emplacement, et que Monsieur Nigma a fait l'effort de ne pas simplement les placer dans des ruelles sombres mais aussi de demander au joueur jugeote et réflexes afin de les obtenir. C'est tellement amusant que bien (trop) souvent la tentation de zapper l'intrigue principale au profit de l'exploration de la ville se fait sentir. Et on touche du doigt ici le premier défaut de ce nouvel épisode : le syndrome open world du titre, en décuplant les distractions proposées au joueur, amoindrit l'implication de ce dernier dans l'histoire.

Mais ce n'est pas totalement de la faute à ce grand méchant monde qui nous permet de faire plein de trucs non plus. Le scénario, à mon grand regret, est une petite déception comparé au précédent opus. Évidemment, en passant d'une grosse locomotive scénaristique à un gigantesque bac à sable on ne pouvait pas s'attendre au même impact, mais il y a tout de même quelque chose de fondamentalement troublant dans l'intrigue créée par Paul Dini. La volonté de faire un gros fourbi avec un maximum de super-vilains, déjà, empêchant d'avoir une vision claire sur le grand méchant de l'histoire et sonnant très fort comme une belle tentative de fan service. Mais aussi quelques ficelles pas vraiment finaudes qui jouent tour-à-tour sur le syndrome du chat noir façon Gears of War, sur les traîtres qui sortent des placards ou encore sur l'effet Bob le mécano. Malgré le fait que l'on incarne le Chevalier Noir (excusez du peu), certaines discussions laissent à penser que l'on est venu à Arkham City pour faire de la plomberie, ce qui est plutôt agaçant. Et puis surtout, cette histoire manque de liant. Tous les ingrédients sont présents pour faire quelque chose de très bon, mais au final la sauce ne prend pas totalement. La faute à trop de super-vilains qui veulent se partager l'affiche, diluant au passage l'impact final de l'aventure (et pourtant quelle fin !), et à des intrigues qui se multiplient comme des champignons (et du coup il y a forcément des arcs narratifs plus intéressants que d'autres).

Qu'on se le dise, le scénario écrit pour Arkham City n'est pas raté, mais comme un cassoulet un peu trop riche il peut parfois s'avérer trop généreux pour être apprécié à sa juste valeur. Et quand bien même serait-ce LE défaut majeur du titre, ça ne l'empêchera pas d'être un très, très bon jeu par ailleurs. Techniquement déjà, puisqu'une fois encore les petits gars de chez Rocksteady ont repoussé les limites du Unreal Engine. Gears of War 3 tapait pourtant bien lourd le mois dernier, mais avec son monde semi-ouvert et sa direction artistique irréprochable Batman : AC se pose en sérieux prétendant pour le plus beau jeu de l'année (sur consoles du moins). On échappe pas à quelques étrangetés, héritées du moteur Epic surtout, comme par exemple ces quelques textures qui mettent un petit temps à se charger, ou les collisions avec les petits objets gérées de manière farfelue, mais pas de quoi gâcher l'expérience de jeu.

Au niveau du gameplay on reste en terrain connu, avec beaucoup de petites améliorations ici et là, histoire d'apprécier au mieux tout ce que la ville a à offrir. La gestion de vol notamment a été revue afin de mieux profiter de la verticalité nouvelle de l'environnement. Bardée de toits et de ruelles sombres, Arkham City s'explore aussi bien en planant qu'en marchant, même si bien évidemment la perspective de dominer la ville depuis les cieux fait que l'on jouera plus volontiers du grappin et de la bat-cape que de ses "simples" pieds. Seul (petit) regret, on ne pourra toujours pas piloter les véhicules mythiques de Batman, mais l'architecture ne s'y prêtant de toute façon pas du tout (encore que je me serais bien vu défoncer de l'hélico à bord du Bat-Wing), c'est un moindre mal. La chauve-souris gagne de nouveaux gadgets très sympathiques (notamment une grenade de givre ou un brouilleur permettant de nouvelles possibilités tactiques en combat), portant le nombre total à 12, ce qui peut s'avérer assez déstabilisant au début (tout se gère depuis la croix de direction), même pour le plus high-tech des super-héros. Heureusement, on s'y fait rapidement, surtout en explorant la ville, puisque tous les objets seront mis à contribution afin de découvrir le moindre petit recoin. Les combats quant à eux sont toujours aussi réussis. Dynamiques, fluides, exigeants, il faudra toujours une bonne dose de réflexes et un bon sens du rythme afin de claquer de gros combos. On regrettera quand même qu'à l'instar du premier épisode le système de ciblage semi-automatique parte en vrille dès que l'on est entouré d'un trop grand nombre d'ennemis.

L'aspect sonore n'est pas en reste, avec des compositions particulièrement inspirées (et surtout épiques par moment). Après un score gentillet mais un peu timide dans le premier volet, Nick Arundel balance une petite bombe d'efficacité toujours parfaitement dans le ton, et rien n'est plus plaisant que d'incarner le Chevalier Noir, appuyé par une musique qui envoie du bois. Tout comme les bruitages, forcément over-the-top : la bat-cape qui prend l'air comme un parapente, l'impression de taper dans d'énormes carcasses de viande, Batou qui balance des coups de poing supersoniques pour achever ses ennemis... Tout est prévu pour bien ressentir la surpuissance de cette machine à neutraliser. On en oublierait presque que Batman ne tue pas ses cibles (non, il les laisse généralement dans un état de coma à perpétuité, la nuance est subtile). Le travail vocal (en version française, du moins) est correct : si certains personnages bénéficient évidemment d'une grande attention (le Joker, forcément, mais aussi le Pingouin, Hugo Strange ou Catwoman), d'autres sont un peu plus effacés, voire carrément énervants (Harvey Dent notamment). Le problème le plus dérangeant (horripilant ?) sur le travail sonore vient des voyous et autres petites frappes. Outre le fait que leur voix paraisse surjouée dans l'ensemble (c'est aussi le cas chez les super-vilains, mais étrangement moins gênant), c'est surtout le fait qu'ils répètent les mêmes putains de phrases en boucle et en permanence. On le sait, mec, que tu as froid et faim, et que tu ne sais pas où est passé Batman, d'ailleurs je peux te dire qu'il sera dans ton PUTAIN DE CUL d'ici trois secondes si tu ne la boucles pas.

... Pardon, ça sonnait comme un cri du coeur, mais il fallait que ça sorte. Le fait que Arkham City soit peuplée des plus grandes pipelettes du monde criminel serait au pire passable si les scénaristes avaient songé à leur octroyer beaucoup plus de lignes de dialogue. Ici le joueur a régulièrement l'impression d'écouter un disque rayé sans avoir la possibilité de le mettre en sourdine (pouvoir filtrer les communications entrantes aurait été appréciable, Batman a forcément un gadget pour ça), ce qui devient rapidement énervant et casse un peu l'immersion à la longue (d'un autre côté cela nous donne une bonne raison de leur casser la tête).

Pour terminer j'aborderai un dernier petit défaut, en la personne de Catwoman qui est une légère déception pour ma part. Le personnage est génial, sa façon de se déplacer dans la ville est déroutante au départ puis totalement grisante une fois que l'on les bases en main. Elle combat vite, fort, et en plus minaude particulièrement bien, ce qui ne gâche rien. C'est juste terriblement dommage que sa contribution aux aventures d'Arkham City ne se limite qu'au cadre du petit DLC (c'est qui est le cas finalement, grâce aux techniques de vente nauséabondes de nos chers éditeurs de jeux vidéo). Quatre chapitres rapidement expédiés, une petite chasse aux trophées et des cartes de défi même pas exclusives, voilà dans quelle mesure mesure vous vous plairez à jouer les chats de gouttière. On n'attendait pas non plus de Miss Selina Kyle qu'elle devienne une héroïne à part entière, mais creuser davantage son scénario n'aurait pas été un mal.

J'ai bien conscience de paraître critique envers le jeu, mais entendons-nous bien : j'ai adoré Arkham City de bout en bout, et même alors que j'y joue encore à l'heure actuelle, je continue de l'adorer. C'est un titre qui, encore plus que son grand-frère (qui avait pourtant placé la barre assez haute), respire l'amour du jeu bien fait. Pas besoin de se concentrer sur les immenses qualités de l'oeuvre, elles sont là, visibles comme le nez au milieu de la figure, et quiconque y joue ne serait-ce que cinq minutes sera capable de les percevoir. Les défauts par contre, s'ils sont relativement discrets en cours de partie, sont je pense suffisamment importants pour empêcher au jeu de toucher l'excellence. Est-ce que cela fait de Batman : Arkham City un mauvais jeu ? Non, clairement pas, il est même suffisamment bon pour que je défie quiconque de rester insensible à ses charmes. Grand, beau, nerveux, agité, addictif même (jamais un jeu ne m'aura autant intéressé, jusque dans la chasse aux trésors et autres petites merdes), difficile de croire que le titre aurait pu être encore meilleur qu'il ne l'est actuellement, et pourtant. Le mieux est l'ennemi du bien paraît-il, on se consolera là-dessus.
HarmonySly
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le 27 oct. 2011

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HarmonySly

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