It's too bad she won't live! But then again, who does?

Je continue sur ma lancée des jeux cyberpunk en m’attaquant à un monument du Point and Click ; un titre qui bénéficie d’une très belle réputation dans le monde pas toujours très reluisant des adaptations de longs métrages en jeux vidéos et quelques instants suffisent pour constater que ces éloges ne sont clairement pas usurpés : c’est bien simple, hormis Alien : Isolation ou Rogue Leader, je n’ai pas le souvenir d’un jeu qui soit parvenu à retranscrire avec une telle exactitude l’atmosphère d’un chef d’œuvre cinématographique ; une prouesse d’autant plus remarquable que les nombreux héritiers de Blade Runner dans le septième art n’ont jamais réitérés l’alchimie singulière du film culte de 1982, y compris sa suite lointaine. Le diable est dans les détails et c’est pourtant dans la minutie de sa reconstitution visuelle et sonore que Blade Runner 1997 trouve son plus bel éclat qu’il s’agisse de sa fidélité architecturale, l’importance accordée aux éclairages, l’omniprésence de la crasse ou de l’humidité dans ces décors délabrés et bien évidemment cette cacophonie permanente où l’écho des véhicules volants s’entremêle avec ces voix lointaines invitant à « une vie meilleure dans les colonies de l’espace » avant que la douce musique de Vangelis ne vienne apporter un peu de calme contemplatif à l’ensemble.


Point and Click oblige, la progression pourra parfois s’avérer frustrante et il est fort probable d’être bloqué à un moment de l’aventure car on a raté une interaction pas très claire dans un décor ou oublié de questionner à nouveau un PNJ déjà rencontré ; néanmoins, ce genre interactif s’avère parfaitement approprié dans le cadre de Blade Runner car il incite vraiment le joueur à se comporter comme un enquêteur du futur en ne négligeant aucun détail, en farfouillant minutieusement les photos à sa disposition (brillante reprise de la mécanique d’investigation aperçue dans le film) et en interrogeant les nombreuses personnalités excentriques (et suspects potentiels) croisées au cours de ses recherches. La structure du jeu est fort heureusement moins alambiquée qu’une production LucasArts et sollicite surtout la patience et la curiosité du joueur au lieu de lui présenter explicitement les options à sa disposition ; à ce titre, le jeu incorpore également un système de choix moral bien plus discret (et moins grossier en un sens) que les jeux narratifs de ces dernières années tout en accordant une vraie liberté d’action au joueur à certains moments clés de l’aventure ; le système de combat est rudimentaire au possible mais la possibilité de pouvoir sortir son arme à tout moment offre également de nombreuses alternatives durant plusieurs scènes (êtes vous obligés de tirer, après tout ?) : bref pour un jeu qui interpelle autant la notion de libre arbitre et de personnalité individuelle, l’interactivité de Blade Runner est parfaitement adéquate pour sublimer ses problématiques, d'autant plus qu'il incorpore une notion d'aléatoire dans sa narration qui s'avère totalement cohérente avec la confusion identitaire de son personnage tout en exacerbant judicieusement la mince frontière qui sépare désormais l'homme de sa création. Le jeu se permet même de densifier quelques éléments à peine esquissés par le long métrage, comme l’alternance de proie et de chasseur ou la paranoïa grandissante dans un monde où les humains appliquent machinalement les ordres tandis que les machines font preuve d’une touchante sensibilité ; ici, une discussion à première vue anodine peut soudainement dégénérer tandis que des ennemis désignés font preuve d’une compassion inattendue : c’est un fait, Blade Runner 1997 a décidément tout compris de son modèle cinématographique et il surpasse même son propos à bien des égards, bien qu’il doive compenser avec la présence d’un antagoniste bien moins marquant que Roy Batty (mais en même temps, Rudger Hauer, tu peux pas test) ; en contrepartie, la romance malaisante n’est cette fois pas vraiment de mise (et tant mieux).


Les éloges pourraient s’arrêter là mais j’ai également envie de mentionner l’ouverture progressive du jeu en matière de décors explorables ; là encore, l’équilibrage fait merveille car le titre ouvre progressivement son espace de jeu, sans surcharger le joueur d’informations à retenir, et il offre même le plaisir inattendu d’une interconnexion dans son Level Design lorsque la navigation est devenue plus instinctive entre ses environnements étouffants ; Blade Runner 1997 est décidément un jeu maitrisé de bout en bout, même jusque dans son doublage français de bonne facture pour l’époque, que ce soit dans l’interprétation ou la traduction complètement dans le ton de l’univers. A la manière d’un Star Wars Kotor, Blade Runner est une de ces exceptions rarissimes où l’adaptation parvient autant à convaincre dans sa retranscription d’un univers connu que dans le genre interactif qu’elle emprunte par ce biais ; néanmoins à la différence du chef d’œuvre de Bioware qui s’émancipait tout de même de son modèle cinématographique, Blade Runner incarne réellement une plongée dans l’envers du décor d’un film adulé ; cette impression délectable de prolonger un plaisir immersif habituellement malmené par l’arrivée du générique de fin. Et le tour de force est d’autant plus appréciable que cette atmosphère rétro-futuriste demeure finalement très rare au sein même du jeu vidéo ; peu de titres futuristes osant en effet lorgner vers une esthétique où les voitures volantes existent mais pas Internet (un monde meilleur, peut-être ? :p) ; ce qui confère à ce Blade Runner un intérêt singulier pour les fans de cyberpunk en général, même ceux qui ne garderaient que quelques souvenirs imprécis du chef d’œuvre de Ridley Scott. Pour ceux qui connaissent le long métrage à l’image près, ils seront peut être étonnés de constater que le jeu vidéo incorpore également la voix off du héros à sa narration, dans une ambiance Film Noir bien plus marquée ; un choix narratif que le cinéaste dédaignera finalement dans la version Director’s Cut de son film culte. Mais quoiqu’il en soit, cinéphiles avertis, gamers occasionnels de Point and Click ou simplement amateurs éclairés d’une science-fiction intelligente et réfléchie ; vous serez nombreux à trouver votre compte avec cette proposition interactive du siècle dernier. N’hésitez pas à privilégier sur GOG la version originale ; l’Enhanced Edition ne bénéficiant malheureusement pas d’une très bonne réputation auprès des initiés.

Leon9000

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