Blueberry Garden
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Blueberry Garden

Jeu de Erik Svedäng (2009PC)

Après plusieurs heures de jeu, je n'arrive toujours pas à savoir si c'est un essai raté mais sincère, un truc qu'il était bien en 2009 ou juste un petit foutage de gueule arty.

C'est parfois le problème des jeux indés et pas cher. Comme ce n'est pas cher on en attend peu et comme c'est indé, on pardonne beaucoup. Surtout en 2009...
Ça a l'air anodin, ça, l'année de sortie. Quand un jeu ne repose pas sur le côté technique de son aspect visuel, l'année de sortie, on s'en tape un peu en général.
En général...
Eh bien, pas là. Parce que, comme pour la littérature ou le cinéma, la nouveauté, c’est bien. Un jeu un peu à part qui débarque en 2009 alors qu’on commence seulement à parler de la production indé, (World of Goo c’est 2008, Braid 2009, Super Meat Boy 2010), ça peut rendre un brin shamallow.

« Mais Blueberry Garden c’est quoi ? » me direz-vous, avides et attentifs comme vous êtes. C’est un jeu indé. Avec des myrtilles. Et un jardin. Et un peu de Jenga. Mais sans la physique.
Le style graphique peut être qualifié de ‘bd minimaliste’. Le personnage mi-homme mi-oiseau n’est d’ailleurs pas sans rappeler Lewis Trondheim tel qu’il se représente (sans l’air grognon). C’est tout mignon, épuré, classe.
On se déplace, à gauche, à droite. On peut sauter et même voler un peu quand on saute deux fois. Il y a des sortes de prunes par terre. On peut en ramasser. On peut même en manger. Lewis (oui j’ai baptisé mon personnage Lewis) devient légèrement bleuté. Et il vole… un peu plus haut ! Miracle !
Je viens de découvrir le pouvoir des prunes.
J’aperçois une énorme pomme rouge, je m’approche. L’écran tremble, le son monte, tout devient flou. Me revoilà au point de départ, la pomme est sur une petite plateforme qui surplombe une porte que je n’avais pas vue. Je passe la porte. Je me retrouve sur la pomme.
Je comprends assez vite qu’il y a d’autres objets que cette grosse pomme et qu’au contact de Lewis, ils se téléportent et s’empilent pour former une tour de Babel improbable faite de bric et de broc : livre, crayon, salière, appareil photo… Des objets tombés du monde de Gulliver peut-être…

Mes rêveries sont interrompues par la montée des eaux. Lewis peut voler, mais Lewis ne sait pas nager. Heureusement, un fruit peut l’aider temporairement à respirer sous l’eau.
Je me dis que j’ai peut-être loupé quelque chose, qu’il est peut-être déjà trop tard ! Je me décide à empiler des objets sans relâche tel un docteur cheval antédiluvien. Cela va bien finir par s’arrêter à un moment !
Je suis trop lent. Mon jardin est inondé. Les terres émergées se font rares. Ma tour n’est plus qu’un ilot bravache face à l’inéluctable.
Lewis meurt. Ma partie se termine.

Voilà. Mes premières vingt minutes dans Blueberry Garden ont été sympathiques, joyeuses, teintées d’émerveillement. Je m’empresse donc de relancer une partie.
Fini la déconnade, maintenant, j’optimise.
Enfin… j’essaye.
Les déplacements sont parfois un peu chaotiques et mon incapacité à manipuler correctement les jeux de plateformes n’aident pas.
Très vite, Je lance une troisième partie. Puis, une quatrième…
Et là, tout s’écroule.
J’ai déchiré le voile du rêve. Blueberry Garden est désormais un jeu austère et rigide. Un jeu sans amusement. Un jeu sans jeu…

J’empile des gros objets ridicules. Des objets qui, de par leur absence de cohérence entre eux et avec l’univers, ne laissent entrevoir aucune subtilité narrative ou scénaristique. Les aspects « découverte et contemplation » me paraissent loin. J’ai vu les limites du monde. Il est petit. Je répète mes gestes, je me fais avoir pas la physique, je me cogne. Je loupe une trajectoire, je perds du temps. J’oublie un truc… La mélodie d’ambiance (magnifique) ne me détend plus. Je l’ai entendue 32 fois. Ça doit jouer. Je n’en suis pourtant qu’au 5e essai. Car, non ce ne sont plus des parties. Ce ne sont plus que des essais. Je réalise que j’ai le sentiment de faire un travail. Un travail qui ne produit rien. Et j’ai rémunéré pour pouvoir le faire. Ça n’a pas de sens.
C’est comme ce style graphique et cette musique. C’est doux, lent. Quel rapport avec le gameplay et l’urgence de la situation ? « Il était une fois un jardin mignonnet avec des caribous à lunettes et des petites bestioles qui se bécotent. Et là, tout le monde se noie. Fin. »
Pourtant, beaucoup de jeux reposent sur la mécanique de la répétition et sur le principe du « Allez, on recommence depuis le début ! ». Mais ils ont souvent autre chose pour le joueur, quelque chose de gratifiant. Dark Souls récompensent autant qu’il fait souffrir. Rayman est fun. La gratification est un des principes fondamentaux du jeu vidéo. C’est dommage de l’oublier quand on fait un jeu.

Après quelques essais, je réussi à accomplir mon premier objectif. Premier, car il y en a un autre. Et pour celui-ci, il faudra… empiler un peu plus d’objets. Mais cette fois, sans le stress de la montée des eaux. C’est mieux ? Pas vraiment. Le coup de l’ascenseur émotionnel moisi, ça a plutôt tendance à me faire débander. Du coup, j’avais plus trop cœur à faire dans le bucolique. Mais bon, je me sacrifie, je fais ce qu’il y a à faire et…
J’ai accès à une adresse web et à un password pour voir les Artworks du jeu.
Voilà, c’est fini.

Et là, vous vous dites « C’est vraiment de la merde ce truc ou je rêve ? ». En effet, c’est ce que je me suis dit aussi sur le moment. Et ce que je me disais encore en attaquant cette critique.
En tant que jeu vidéo, Blueberry Garden ne mérite même pas la moyenne. Ses mécaniques ludiques, les limites de son immersion, son manque de cohérence entre ses éléments constitutifs (univers, ambiance, mécaniques) annihilent violemment la fraicheur des premières minutes.

En réfléchissant un peu, en « recontextualisant » tout ça, en laissant reposer le bouillon pour me remémorer les premiers pas, j’ai relativisé.
C’était en 2009. Le PC allait mieux et les triple A étaient de retour en nombre. Les indépendants étaient peu nombreux. Chaque innovation était accueillie avec des grands yeux plein de gratitude. Oh quelque chose de nouveau ! Quelque chose de frais ! Quelque chose de mignon ! Avec l’arrivée des premiers indépendants, le jeu vidéo se redécouvrait des créateurs, des artistes. Il se découvrait un monde en dehors des manuels de fabrication made in Hollywood. Blueberry Garden est né dans ce contexte. Et pris comme un objet vidéo ludique, il devient tout de suite plus intéressant.
En regardant les artworks du créateur, Erik Svedäng, j’ai réalisé que l’homme était un rêveur, à l’imaginaire riche et poétique. Je me suis dit que l’homme était sincère, qu’il n’avait pas de grande prétention, qu’il n’était juste pas un artisan de la mécanique de jeu. Qu’il utilisait le support vidéo ludique pour donner vie à son univers intérieur comme le fait n’importe quel artiste. Il était juste de cette génération, celle des joueurs.
En résumé, Blueberry Garden est une petite œuvre sincère qu’elle était plutôt bien en 2009.
VincK
5
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le 11 déc. 2013

Critique lue 252 fois

4 j'aime

VincK

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