Bound
5.9
Bound

Jeu de Plastic et Sony Interactive Entertainment (2016PlayStation 4)

"L'équivalent vidéoludique d'un mauvais disque de Bryan Ferry."

L'un des problèmes majeurs du jeu vidéo moderne reste son étrange entêtement à raconter des histoires soi-disant profondes par le biais de titres aux qualités vidéoludiques discutables. C'est un peu comme si l'impératif des développeurs de petite taille était de chercher à tout prix un angle de vente susceptible de faire pleurer dans les chaumières. Faut croire que cela les absout dans les yeux de la critique des nombreuses maladresses – parfois impardonnables – dont ils grèvent leurs projets. Ce qui compte, de nos jours, ce n'est pas tant la qualité des titres... mais bien l'éventualité d'un lien affectif susceptible de donner un air profond à l'ensemble. Le jeu n'a pas vraiment à être réussi. Il a juste a être un brin pompeux, unique par son style visuel et le plus vide possible par ce qu'il propose en termes de gameplay. Si, en plus, vous pouvez souligner une évidence du genre : "être alcoolique et battre ses enfants, c'est mal, m'voyez"... alors, là, vous touchez le jackpot. Les médias adorent une histoire permettant de lier le jeu vidéo – discipline dont ils ne savent toujours pas parler, étrangement – à tous ces sujets de société préconstruits qu'ils ont l'habitude de recycler tous les six mois. Enfin, vous parlez leur langage : celui de l'exploitation sensationnaliste du malheur humain.


Certains y verront un signe de l'évolution de la discipline vers un statut supérieur à celui de simple jouet coloré susceptible d'évoquer du plaisir. D'autres, plus proches de ma pensée, feront remarquer avec un bon sens infatigable mais certes parfois répétitif que le principe même d'un jeu reste d'être ludique. C'est comme qui dirait indiqué dans l'appellation, hein. Ce qui ne veut pas dire qu'un produit de ce type ne sache pas évoquer des émotions chez celui ou celle qui l'utilise. Les jeux ont su ces dernières années arriver à un niveau de complexité émotionnelle qui me font penser que tout ceci est bel et bien en train d'évoluer dans un sens assez fascinant. Mais, dans la plupart des cas... ces titres remarquables par l'efficacité de leur volonté narrative savent aussi être excellents par leurs qualités de gameplay. Bioshock? Malgré toutes ses aptitudes à la mise en abîme; c'était avant tout un excellent FPS. The Last of Us? C'était certes l'histoire touchante de deux personnes retrouvant goût à l'humanité en se faisant confiance l'un l'autre... mais c'était aussi un représentant très efficace du style third-person shooter. Seuls les jeux les plus pauvres se limitent à tenter de raconter de manière malhabile une histoire triste pour vendre des unités. Or, malheureusement, c'est pile cette méthode de vente dont Bound espère profiter.


J'imagine que pour faire simple l'on pourrait décrire Bound comme une version féminine de cette étrange chanson populaire venue de Belgique. Vous savez, Papa où t'es. L'on vous y proposera – pour le prix de dix euros – de suivre une protagoniste anonyme et pourtant enceinte le long d'une plage où elle s'arrêtera tous les dix mètres pour se remémorer divers épisodes traumatiques tirés de son existence. Là, par la magie d'une métaphore maladroite, elle est transformée en une princesse en tutu habitant dans un monde constructiviste où seul le pouvoir de la danse moderne lui permettra de traverser sans encombres les dangers oniriques qui peuple ce pays qui peine à l'être. De temps à autres, l'on vous propose de prendre part à une séquence de plateformes approximatives. Elles sont rares, rassurez-vous : le "jeu" est bien plus intéressé par la succession de vignettes où l'on voit une famille se briser sous vos yeux dans un exposé manichéen bien décidé à faire porter tous les maux de la terre à un papa débordé par tant de douleur. Douleur qui n'est d'ailleurs pas vraiment expliquée dans le titre. On devine aisément que le couple se déchire petit à petit par vagues successives de scènes où deux personnages modélisés de manière assez moche s'engueulent; mais c'est tout. Ah, et de temps à autres vos parents seront représentés par des sombres géants – l'Ico de Colosses Ombrageux, en quelque sorte – susceptibles de vous emprisonner dans des liens psychique que seul votre talent de danseuse sera à même de briser. (Ce qui, en gros, revient à tenir une gâchette sur votre manette en appuyant de manière aléatoire sur certains des boutons frontaux sans que cela nécessite une quelconque forme de talent pour parvenir à vos fins.) Vous trouverez aussi des toboggans vers la fin des niveaux. Ils vous amèneront dans la séquence suivante où vous pourrez faire précisément la même chose. Plusieurs fois. De manière identique.


Il parait – enfin, cela fait partie des arguments de vente – que ce titre est un "art-game". (En pratique c'est plutôt l'un de ces petits titres réalisés vite-fait par des demomakers polonais pour prétendre qu'ils sont actifs dans le domaine du jeu vidéo.) Or, à mes yeux, c'est surtout un mauvais jeu qui tente si fort d'avoir l'air artistique qu'il oublie – choc, stupeur – qu'un jeu peut être de l'art. Vous savez... en étant un bon jeu.

MaSQuEdePuSTA
3
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le 16 nov. 2016

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