Chants of Sennaar
8.2
Chants of Sennaar

Jeu de Rundisc et Focus Entertainment (2023PlayStation 4)

Cette année, j'ai joué à Heaven's Vault. Une information qui peut paraitre quelque peu superflue mais dont pourtant Chants of Sennaar revendique une de ses influences. Le récit d'une civilisation perdue mais surtout d'un langage perdu qu'il faut apprendre, artefact par artefact, à reconstituer. C'était une sacrée aventure. Un voyage archéologique comme le jeu vidéo m'en a proposé peu. Et à peu près dans le même timing, voilà qu'un jeu, avec une proposition similaire sur le papier mais tellement différente manette en main m'apparait. Au lieu de mots-clés à proposer et à assembler de manière logique, place ici à des mots qui apparaissent dans des panneaux ou des conversations et un carnet qui rappellera au bon souvenir d'Obra Dinn pour réaliser croquis et projeter ses validations. ça vous parait un peu abstrait?


Au début du jeu, après un réveil somme toute inexpliqué mais peut-être allégorique, notre protagoniste découvre une inscription et un levier : baisser le levier permet d'ouvrir la porte. Il est possible que l'inscription soit "Ouvrir la porte" ou "Baisser le levier" et voilà que la prochaine salle propose des leviers à monter ou à baisser mais uniquement ces termes.. Celui de "levier" disparait pour laisser la place à la porte et au terme lever/baisser et voilà comment l'on complète sa première page de codex. Tout au long de votre aventure, vous serez amené à percer la signification de chaque glyphe qui vous sera renseigné. Si au départ, on arrive à bien s'en sortir, on se retrouve parfois submerger par les informations qu'il faut parfois bien faire le tri entre les éléments pour retrouver les bons termes. Être méthodique pour éviter de se perdre. Et là où est la plus grande des qualités de Chants of Sennaar, c'est que jamais il ne se repose sur ses acquis. Chaque nouvelle zone propose ses nouveaux enjeux, ses nouvelles règles. Un nouveau langage, une nouvelle ambiance toujours en parvenant à bien assurer ses propres transitions. Une nouvelle couleur. Une nouvelle faune. Prodigieux. Il n'y a pas deux énigmes qui se ressemblent, on sent que le tout a été murement calibré et réfléchi par les développeurs français de Rundisc qui signe un jeu d'un renouvellement machiavélique.


Ce qui fait toutefois la plus grande qualité du titre en fait pour certains et certaines un défaut. Comparé à un Heaven's Vault par exemple, le world building de chaque civilisation demeure assez limité. Par exemple, le peuple des guerriers ne se limite qu'à la conception de la guerre et ne lorgnera pas du côté artistique ou technique. Mais cela est je pense pour mieux renforcer la séparation qui s'opère entre les différents peuples, autrefois réunis. Et cela est nuancée par l'une des des dernières quêtes du jeu qui consiste...à rassembler tout le monde, finalement.

Puisque même si l'on peut croire que vous n'êtes qu'un oiseau de passage, votre objectif terminal va être de réunir les différents comme le suggère la volonté des créateurs. Sans donner de leçons aucune, juste en faisant en sorte que chacun puisse comprendre l'autre sans distinction. De simple traducteur, vous passez à diplomate. Par votre capacité à comprendre et à vous fondre parmi les Hommes. Et ce n'est réellement qu'à la fin, quand toutes les pièces du puzzle viennent à s'emboiter que l'on comprend réellement l'intégralité de l'histoire qui nous est racontée.


Et même si certains regrettent le terme informatique du dernier chapitre n'y voyant qu'un message abstrait, "Un propos humaniste mais un jeu manquant d'humanité" comme j'ai pu le lire parce que la culture de l'ingénieur dans le domaine du jeu vidéo prédomine encore. Je suis moyennement d'accord sur ce fait et je pense que la conclusion sur ce "virus informatique" traduit la volonté des développeurs d'illustrer ce manque d'humanité justement et justifie la séparation des peuples. Le fameux monstre tapi dans l'ombre.


Ben tiens, parlant de ça : un vrai reproche. Les phases d'infiltration. Elles sont...très moyennes. Elles ne sont pas très nombreuses certes mais manque un tout petit peu...de souplesse. On ne reste pas beaucoup bien longtemps certes mais je pense que ces phases pourront en agacer certaines et certains. Mais plus que ça, il n'y aucune possibilité de se rendre la tâche plus simple par diverses fonctions d'accessibilité. Après, reste à voir comment la justifier sans pour autant briser le carcan du jeu. Peut-être penser à des feuilles qui seraient présentes dans le décor permettant de révéler un mot ou un mystérieux PNJ qui, moyennant une pièce trouvée dans le décor, permettrait de révéler un mot, à la manière des pièces SOS dans Professeur Layton. Là, c'est soit vous trouvez, soit vous cherchez pendant longtemps, soit c'est directement internet. Et ça me désole mais à deux reprises (dont une par ma faute parce que je savais pas me servir d'une boussole comme un crétin), j'ai du regarder du côté du net pour avancer. Et si j'en fais la remarque, c'est que je ne suis pas le seul dans ce cas là.


Ainsi, la prise de note sera essentiel pour progresser. Vous risquez d'oublier des choses en chemin, ou des glyphes ou des mécanismes, c'est pourquoi je vous conseille de vous munir d'un petit cahier pour ne rien oublier. J'en étais coutumier avec Tunic fait il y a peu et je dois dire que ça commence à redevenir une habitude pour mon plus grand plaisir. Parlant de Tunic. Même si je n'ai pas encore posé mon avis dessus qui arrivera plus tardivement pour ceux qui me suivent assidûment, j'ai trouvé que la manière dont Chants of Sennaar dévoile ses mystères renvoie davantage à lui qu'à Obra Dinn. Parce que les deux jeux partagent cette volonté de se révéler par couche. On apprend quelques mots, qui nous permettent de comprendre des mécanismes, puis ses mécanismes nous permettent d'apprendre de nouveaux mots et de rentrer dans de nouveaux territoires et à la fin, tout ce que l'on a appris s'imbrique pour constituer une sorte de test final, pour savoir s'il on est le diplomate que le monde mérite. Cette façon de détailler la progression m'a beaucoup rappelé Tunic dans son fonctionnement même si cela est encore plus télégraphié dans le jeu d'Andrew Shouldice (et que Chants of Sennaar n'as pas de combat).


L'année dernière, pour reprendre des analogies de jeux déjà présentés, j'avais parlé de Strange Horticulture. En disant que les développeurs étaient allés au bout de leurs idées et qu'il en résultait un très solide jeu. C'est exactement la même conclusion qui me vient à l'évocation de Chants of Sennaar. Comme celle qui me venait à l'égard de Luigi's Mansion 3 quatre ans plus tôt. On sent un jeu maitrisé de bout en bout par des développeurs qui n'ont quasiment rien laissé au hasard. Il est difficile d'exprimer à quel point le jeu est original et se renouvelle de manière permanente sans y avoir joué. Comment les transitions entre les différents langages s'opèrent sur la base de 40 malheureux glyphes par peuple. Comment, par de simples tableaux, les développeurs sont parvenus à créer de belles ambiances tout en uniformisant le tout. J'aurai aussi pu parler du level design assez ingénieux qui à la politesse de ne jamais nous faire faire des retours en arrière fastidieux. Comment la musique parvient à sublimer tout ça. On en aurait peut-être voulu plus. Plus d'interactions. Plus de mots. Que le monde soit encore plus vivant mais il y aurait fallu peut-être aussi plus de temps et plus de budgets x)


Après un jeu quelque peu anonyme du nom de Varion qui me rappelle les mini-jeux de piratage de Sly 2 : Association de voleurs, Julien Moya, Thomas Panuel et l'équipe de Rundisc signe un jeu inspiré, quelque peu innovant mais surtout clinique. Et un succès bien bien mérité.

Necheku
9
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le 22 sept. 2023

Critique lue 249 fois

7 j'aime

Necheku

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7

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