Comme à chaque sortie de jeu Paradox, l'appréhension chez les adeptes du genre 4X est grande : l'expérience sera-t-elle satisfaisante, enrichissante ? Donnera-t-elle envie de se plonger, des dizaines d'heures durant, dans cette quête insatiable pour le pouvoir et la conquête ? Ou bien sera-t-elle un fatras sans nom, ardu (dans le mauvais sens du terme) à maîtriser, frustrant par le manque évident de contenu, qui annonce une pléthore de DLCs à venir ?


La réponse avec Crusader Kings III n'est pas évidente. Indéniablement, cette itération est l'une des plus réussies à sa sortie depuis bien longtemps. L'interface, tout d'abord, impressionne par sa lisibilité (avec quelques exceptions) et son aspect très moderne. On se plaît à naviguer dans les menus afin de gérer notre famille, nos complots, nos décisions...


L'ensemble est constellé d'infobulles, un peu trop envahissantes, qui permettent de mieux comprendre les différents aspects du jeu : un effort remarquable a été fait sur l'accessibilité, souvent qualifiée comme le principal défaut des jeux Paradox par les néophytes, et cela sans sacrifier à la complexité du jeu et de ses mécaniques. La refonte graphique, très convaincante, accroît sensiblement l'immersion : chaque personnage a un aspect réellement différent des autres, ce qui n'était pas vraiment le cas dans Crusader Kings II.


Les nouveautés sont nombreuses, et au premier rang d'entre elles, les arbres de spécialisation offrent une véritable bouffée d'air frais dans la façon dont on peut jouer son personnage. Fini le duo de focus Business et War, les seuls réellement intéressants dans CK2. Désormais, il y a de véritable choix à faire en fonction de la stratégie que l'on souhaite adopter pour s'étendre ou consolider son pouvoir à un instant t. De ce fait, la guerre perd quelque peu sa prééminence dans le jeu, au profit d'une expansion plus lente et modérée, davantage axée sur les mariages et les jeux d'alliances.


L'accent a été mis sur la planification sur le long terme par le joueur de la stratégie qu'il souhaite adopter. Les traits congénitaux, moins aléatoires à obtenir d'une génération sur l'autre, deviennent ainsi des enjeux d'importance pour qui souhaite faire de ses futurs rejetons de vrais Hercule à l'intelligence supérieure !


La guerre, c'est d'ailleurs l'un des gros points faibles de ce CK3. Peu d'améliorations depuis l'opus précédent, voire même quelques curieuses régressions (l'absence de barre de moral, la disparition des corps d'armée composés de 3 ailes distinctes, l'impossibilité de lever ses troupes de manière régulée (!)...). Leur déroulement a été simplifié à l'extrême, ce qui peut parfois amener à une redondance, voire à une trop grande facilité. En effet, il s'agit désormais uniquement d'assiéger la capitale ennemie afin de remporter la guerre (lors d'une conquête simple), et ce même s'il reste à l'ennemi des alliés d'importance qui se battent à ses côtés. En résulte des conflits expéditifs (hormis les croisades/jihads qui sont des foutoirs interminables), qui manquent de saveur. On peut regretter que l'interface des batailles soit toujours aussi cryptique, et introduise un facteur chance assez agaçant. En revanche, bon point pour les sièges, qui ont été améliorés et rendent plus intéressants les investissements dans les fortifications, qui sont cependant esquivables au prix d'un peu d'attrition (pas comme dans EU4, donc).


Mais le plus gros défaut de CK3 réside ailleurs. C'est dans son aspect général, et l'impression qu'il laisse à des joueurs habitués aux jeux Paradox : celle que le jeu n'est pas si rempli que ça, et que de nombreuses features, présentes dans CK2, ont été volontairement tronquées, voire enlevées complètement afin de les resservir dans des DLCs futurs. Un petite liste, non exhaustive : le commerce (totalement absent, je trouve que c'est quand même gros pour un jeu de stratégie), le système d'élection impériale pour les grands empires, l'absence toujours notable de batailles navales, l'impossibilité de jouer des nomades, la disparition des sociétés secrètes, la religion bien moins impactante, l'empire de Chine disparu...


On va sûrement me rétorquer que c'est la politique de Paradox, de vendre un jeu "de base" et de l'étoffer ensuite par du contenu de qualité variable, et je n'y suis pas fondamentalement hostile, tant que les innovations sont bienvenues. Mais quand elles manquent sensiblement au jeu principal, au point d'être remarquées comme ayant été volontairement "oubliées" pour être refourguées plus tard à 15/20€ pièce, je trouve ça non seulement malhonnête, mais aussi inacceptable.


Pour résumer, même si CK3 apporte son lot de nouveautés par rapport à CK2, ce n'est pas non plus le jeu parfait qui va révolutionner le genre. Les nouveautés, quoique nombreuses et intéressantes, ne suffisent pas à faire du jeu, dans sa version actuelle, une référence. Il augure certes de nombreuses heures fort plaisantes de guerres et de complots en tout genre, mais il lui manque encore la "vraie" profondeur d'un jeu Paradox "achevé" après de nombreux ajouts (payants) de contenu. En l'état, un vrai amateur de jeu de stratégie trouvera bien plus son compte du côté d'Europa Universalis IV, voire de CK2 (avec leurs DLCs respectifs, malheureusement).

grantofficer
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le 4 sept. 2020

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grantofficer

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