"Mugtête et l'Héritage des Gunstar Heroes."

Il existe de nos jours deux publics vidéoludiques diamétralement opposés : le premier, érudit et plus ou moins compétent, aime ses jeux complexes bâtis autour d'idées de gameplay issues de l'histoire de la discipline tandis que le second – plus jeune, très présentable, mais doté d'une orthographe douteuse grâce à l'effondrement progressif du monde de l'éducation qui menace jusqu'à ses soubassements notre société érigée autour de la culture écrite – kiffe tous ces effets de mode néologiques vendus à grands renforts d'images colorées propulsées par l'internet. Là où un représentant de la première catégorie risque de vous assommer pendant des heures sur ses prouesses passées... le second sera ravi de faire semblant de jouer avec des blocs de construction pendant quelques années sans déranger personne tandis qu'il se plonge toujours plus loin dans un monde fictif construit de ses propres mains. (Il paraît que c'est très sain, d'ailleurs, et que tout le monde devrait faire pareil.) Sans parler de ceux et celles qui risquent leur vie en plein milieu de villes assiégées par une violence systématique pour tenter de capturer des animaux virtuels avec leurs téléphones, hein, le journaliste torturé qui vit en moi ne sait trop quoi en faire. Peut-être un reportage photo. Ou une émission de télé-réalité où l'on propose à des jeunes gens inconscients de faire le tour des villes les plus dangereuses de la planète en échange de bons-cadeaux valables sur Matériel.net. Le premier qui meurt gagne. Voilà qui devrait sauver la télévision face à la menace grandissante des nouveaux médias publicitaires.

Malgré cet étrange clivage qui partage le public du jeu vidéo en deux portions qui se méprisent... il existe cependant quelques points communs à ces deux tribus. Une forme de mépris mutuel, déjà, ce qui n'est pas rien. La possession d'un arsenal complet de doigts de diverses tailles, aussi, même si cela semble évident quand on y pense quelques instants. Mais ce n'est pas tout ! Parfois, sur un malentendu, un titre arrive à unir ses deux publics disparates. Par chance – après cette longue introduction digne de Baudrillard – Cuphead peut se targuer de faire partie de cette catégorie. Pour les plus traditionalistes d'entre nous il propose une copie conforme de Gunstar Heroes qui pousse l'attention au détail jusqu'à proposer une sélection d'armes similaires à celles du fameux titre de Treasure. Pour les autres, issus d'une génération qui joue davantage avec les yeux qu'avec les pouces, le style visuel unique du titre est un argument de vente immédiat. Ce qui est parfaitement compréhensible, d'ailleurs, rares sont les titres à pouvoir se targuer d'avoir une identité visuelle aussi soignée. L'animation, soignée jusqu'aux moindres détails, est un régal d'esthète élevé aux productions des Studios Fleischer. Des petits personnages fluides et plein d'une personnalité qui fait défaut à la plupart des titres modernes aux décors soignées dont chaque coin tente de s'inspirer du meilleur des dessins animés classiques : tout est réussi. Vraiment, hein, c'est beau. Pas joli comme peuvent l'être d'autres titres bâtis autour d'une esthétique cute un peu mièvre et finalement de très mauvais goût. Non, ici, l'on est dans le domaine du beau... et de l'emprunt constant d'idées, certes, autant l'admettre.

Le problème de ce type de démarche peut être résumer en une seule phrase : il est très difficile de se créer une personnalité à partir d'objets trouvés/volés aux diverses influences qui constituent votre titre. Chaque emprunt, aussi réussi soit-il, invite une comparaison directe avec la vénérable inspiration dont votre titre tente de s'inspirer. Rares sont les titres à s'en sortir, d'ailleurs, et les exemples d'emprunts parvenant à sortir de l'ombre de leurs ancêtres se comptent sur la main d'un lépreux en fin de course. (J'en compte trois, en fait, et l'un d'entre eux n'est autre que Shovel Knight.) Cuphead est-il de cette trempe ? Dur à dire. Il aura au moins eu l'excellente idée de ne pas juste tenter d'être un jeu de plate-formes comme l'étaient Contra ou Gunstar Heroes pour se concentrer sur un mélange de shmup et diverses altercations contre des boss. Cela lui donne un brin de personnalité. Un peu comme sa principale « innovation » dans le domaine du gameplay : une manoeuvre de contre plus ou moins inutile dont les mécanismes de base sont plus un empêchement qu'autre chose. Oh, je ne prétends pas que vous soyez obligés de l'utiliser afin d'obtenir le maximum de points dans les divers niveaux qui vous sont proposés. Mais c'est bien là toute son utilité ce qui la transforme avec aisance d'une petite touche d'originalité à une sorte de figure imposée dépourvue de sens.

Dire d'un titre comme Cuphead qu'il est divisé entre un aspect esthétique absolument irréprochable et un gameplay fonctionnel gardant intactes les principales caractéristiques de Gunstar Heroes me semble être la meilleure manière de résumer le titre. Il est loin d'être génial, ou même parfait, mais il saura satisfaire ceux et celles qui veulent voir quelque chose d'unique.