La réputation de David Cage et de son studio Quantic Dreams a fortement été ébranlée par les révélations sur le management toxique qui y régnait. L’industrie du jeu vidéo est gangrenée depuis toujours par une gestion délétère des ressources humaines et des gestions de projet calamiteuses qui souvent aboutissent à d’insoutenables périodes de « crunch » durant lesquelles s’abîment des centaines d’employés pour respecter des deadlines intenables. Rockstar, Ubisoft et plus récemment CD Projekt pour ne citer que les plus tristement célèbres ont été épinglés dans des enquêtes dénonçant ces pratiques abusives. David est également connu pour avoir un égo surdimensionné, mais ne préjugeons pas de l’artiste et intéressons-nous plutôt à son œuvre.


La première œuvre du studio qu’il m’a été donné de jouer fut The Nomad Souls. Il était extrêmement ambitieux pour l’époque (1999), certainement un peu trop. Jeu d’aventure dans un monde intrigant, la faculté de prendre possession du moindre avatar était excellente mais le mélange des genres parfois bancale (les phases d’action / infiltration à la première personne) ternissait un peu le tableau, sans oublier un scénario partant peu à peu en couille. Point notable par ailleurs la bande son de David Bowie et sa modélisation dans le jeu qui fut un argument marketing majeur.


Je n’ai plus eu ensuite l’opportunité de jouer à un jeu Quantic Dreams surtout à compter du moment où le studio a signé un deal d’exclusivité avec Sony ne jouant pas sur PlayStation à l’époque. Je me souviens en revanche des critiques assassines concernant Heavy Rain avec ses actions contextuelles à outrance et son scénario ridicule. Avec Beyond Two Souls, le studio continua de creuser le filon du jeu narratif à embranchements en poussant sa dimension cinématographique avec la modélisation de stars hollywoodiennes (Elliott Page et Willem Dafoe). À ce titre le « jeu » Detroit : Become Human constitue pour David de Gruttola à la fois un aboutissement et mais également une forme d’impasse : à l’avenir soit le studio parvient à se renouveler en profondeur, soit il persiste dans cette voie au risque de sombrer dans la caricature.


Detroit est donc un jeu d’aventure narratif ou une proposition de film de science-fiction interactif selon la manière dont on envisage cet objet hybride. L’histoire est découpée en chapitres à l’issu desquels le jeu nous présente les embranchements narratifs que nous avons exploré. Certains arcs narratifs déverrouillés auront une incidence sur la suite de l’histoire. Nos choix effectués au grès des nombreux dialogues, de la réussite et l’échec de nos actions modélisées par des QTE affecteront le déroulé de notre progression.


Cage aborde dans Detroit un thème récurrent de la S-F, sous influence K. Dick et Asimov. Les androïdes ont pris une place prépondérante dans la société et sont asservis aux besoins et désirs des humains. Ils vont peu à peu développer une conscience et désirer s’affranchir du joug de l’humanité.


Nous incarnons trois protagonistes principaux dont les destins vont se croiser au fil des évènements. Markus, androïde au service d’un artiste renommé, va s’affirmer comme le leader naturel du mouvement de libération des androïdes. Kara, le robot nourrice, prend sous son aile une petite fille et développe avec elle une relation filiale. Enfin Connor, l’androïde détective, chargé d’enquêter et de traquer les « déviants » pris dans un lourd conflit de loyauté.


Cette fois pas de stars au casting mais des acteurs de séries (Minka Kelly, Jesse Williams) ou des seconds rôles solides labellisés années 80 (Lance Henricksen, Clancy Brown). J’ai personnellement beaucoup apprécié la performance de Bryan Dechart (Connor), l’androïde tiraillé entre sa condition et sa mission.


Certes le scénario ne brille pas par son originalité mais la progression de l’histoire est plutôt maîtrisée et surtout les auteurs parviennent à faire naître et croître chez le joueur un fort sentiment d’attachement et d’empathie envers les différents protagonistes. Et si les premiers chapitres d’exposition sont un peu laborieux (je ne crois pas avoir déjà fait le ménage dans un jeu vidéo), une fois l’intrigue lancée, le jeu déroule tout seul.


La réalisation est très solide, les graphismes sont beaux avec une mention toute particulière pour la motion capture des comédiens dont on ressent toute l’expertise de Quantic Dreams dans ce domaine. Après nous sommes en face d’un point and click sous stéroïdes, pas d’un open world, ce qui relativise grandement la performance technique. Les différents lieux à explorer sont très limités et fidèle à un système qui a pourtant depuis longtemps montré ses limites Quantic Dreams persistent dans l’utilisation abusive de QTE, popularisés par Shenmue en 1998 ! En fonction de l’intensité du moment certains QTE devront être effectués en temps limité pour simuler l’urgence d’une situation. Cet artifice peut parfois s’avérer frustrant puisque l’échec d’une action contextuelle peut impacter directement le destin de nos héros.


L’autre bémol concerne la rejouabilité. Évidemment une histoire à embranchements dont l’issue est tributaire de nos choix implique que chaque « Run » sera potentiellement différent. Ainsi pour déverrouiller tous les trophées et découvrir les différentes fins alternatives, il est obligatoire de rejouer l’aventure plusieurs fois. Et par conséquent de se retaper certaines séquences bien fastidieuses, des cinématiques parfois pénibles, avec le risque de planter à nouveau certains QTE.
J’ai apprécié en revanche l’excellente idée de modéliser schématiquement les décisions du joueur à l’issu de chaque chapitre. Cette modélisation permet de visualiser rapidement les conséquences de nos choix, les possibilités non explorées et de les comparer avec ceux des autres joueurs.


Si le style David Cage peut rebuter, je dois concéder en bon public que je suis m’être laissé porter par les histoires croisées de Markus, Connor et Kara. Le scénario puise allégrement dans tout ce que la Science-Fiction a pu produire sur le thème machine / humanité mais est suffisamment rythmé pour capter le joueur jusqu’à un de ses dénouements. Il convient toutefois d’en accepter les mécaniques, celles d’un film interactif plus que celles d’un jeu vidéo traditionnel, au risque d’une grande déconvenue.

Doc_Ben
7
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le 12 janv. 2021

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Doc_Ben

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