Allez, avouons-le : on n'avait pas assez bitché sur la trop grande facilité de Human Revolution, ses points de compétence livrés à la douzaine et sa deuxième moitié en god mode même dans la difficulté maximale. Il lui manquait quand même un soupçon de challenge. Avec un peu de chance, c'est peut-être dans Mankind Divided qu'on va se frotter à une vraie difficulté de gamer. En effet, le jeu fait tout pour s'adresser aux gamers, et à eux seuls : un bon gros scénario dystopique bien sombre, un système de cover bien crasseux avec des tas de clics pour réussir à faire ce qu'on veut, une interface de piratage fatigante à l’œil, des menus hyper compliqués qui clignotent de partout, douze mille aptitudes à déverrouiller et environ soixante-deux actions pour arriver à changer de type de munitions sur une arme. Dans ce nouveau Deus Ex, tout a l'air beaucoup plus compliqué, à tel point qu'on se demande parfois si ce sont les mêmes développeurs qu'avant. Soit les ergonomes d'Eidos Montréal ont changé entre les deux épisodes, soit ils ont repensé toute la jouabilité après avoir absorbé un baril de vodka. Vous vous rappelez la clarté sybilline de Human Revolution ? Eh bien, vous allez devoir l'oublier : la jouabilité de cet épisode est énervante en tous points. Que ce soit au niveau des objectifs de mission qui n'apparaissent plus sur le radar et qui obligent à ouvrir les menus, au niveau de la lenteur de la navigation dans ceux-ci, de l'organisation de l'inventaire bizarre, du nouveau visuel surchargé des mini-jeux de hacking, de la manipulation des armes devenue très esthétique et aussi parfaitement gavante et d'autres encore, Mankind Divided est une plaie d'UX design qui me fait me demander comment on a pu en arriver là.


Tout a l'air neuf, repensé, remis à plat ; mais on ne comprend absolument pas pourquoi, car le gameplay, lui, est resté strictement le même. Quel besoin y avait-il à tout chambouler alors que l'ergonomie de HR était quasi-parfaite ? Les voies du développement étant impénétrables, on s’accommodera de ces contraintes pour se plonger dans l'aventure, en essayant de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Après tout, il doit y avoir quelque part une raison à tous ces changements. Mais si j'étais de mauvaise foi, je ferais bien le lien avec quelque chose d'autre. Vous savez quoi ? J'ai mis 20 heures à terminer le jeu. C'est finement pensé, car on peut se dire : "20 heures, c'est raisonnable, le précédent plafonnait à un peu moins". Et c'est vrai, j'ai techniquement mis plus longtemps à finir cet épisode que son prédécesseur. Sauf que dans Mankind Divided, entre les loadings interminables qui ponctuent chaque chargement de sauvegarde ou changement de petite zone, le nombre de fois où j'ai ouvert la carte pour checker mon objectif de mission, l'ouverture du journal à chaque carnet ou objet découvert, j'ai du facilement passer la moitié de ce temps dans les menus. Parce qu'en plus la navigation y est leeeente, il y a des tas de jolies petites animations mais aussi de réels pompages processeur pour accéder à ce qui, auparavant, se voyait d'une pichenette avant de retourner dans l'action. Pour de vrai, j'ai du jouer une dizaine d'heures de jeu effectif, en terminant tout le contenu facultatif, avant d'atteindre le générique de fin. Et j'ai eu, je dois l'admettre, une véritable overdose de menus.


Mais pourtant, je me suis émerveillé. Devant Prague d'abord, dont la splendeur de la reconstitution fait honneur aux équipes d'Eidos Montréal. On sent que les level artists et level designers ont mis les bouchées doubles depuis Human Revolution, pourtant déjà pas mal à l'époque. Prague est à la fois l'un des plus beaux cadres, et l'un des mieux pensés en termes de level design qu'ait connu le genre depuis des années. Crédible, plein de personnalité, extrêmement bien construit avec ses vieux bâtiments qui côtoient des boutiques de luxe ou des œuvres d'art hi-tech, ses ruelles pavées qui cohabitent avec des publicités holographiques ou des fast-foods monochromes : le cadre de ce Deus Ex est un brillant mélange de futur et de présent, une vision extrêmement cohérente, sensible et documentée de ce que pourrait être un centre-ville européen historique dans vingt ans, quelque part entre tradition et modernité, préservation du patrimoine et avant-garde technologique. Et encore, c'est sans compter l'audace que représente le fait d'avoir choisi Prague, capitale de République tchèque, comme cadre quasi-unique d'un jeu vidéo AAA de cette génération. Mine de rien, ça fait son effet. Et ça fait prendre conscience, finalement, d'une certaine vision de la part d'Eidos Montréal, qui a l'air bien décidé à ne pas ternir l'image de sa licence, à imposer une vision neuve, à continuer de tracer son propre sillon, singulier et courageux, dans un paysage finalement assez uniformisé. Les mêmes compliments pourraient également s'appliquer à sa construction dramatique, qui ne répond pas forcément aux exigences de l'actioner de bas étage pour dévoiler ses enjeux de manière plus calme, au risque, parfois, d'ennuyer. Même pour un RPG, le titre commet des audaces qu'on pourra qualifier d'imprudences, par son manque d'action brutale, ses personnages pas assez enclins à la violence physique et son climat global très politique, bien plus que ne l'était Human Revolution.


Le plus triste est donc d'admettre que ça ne fonctionne pas vraiment. Certes, le level design est finement pensé. Certes, il existe des tas de façons d'accomplir les missions. Certes aussi, il est possible de faire 100% du jeu en non-létal. Mais entre son interface mal pensée et son rythme trop lent, Mankind Divided, c'est affreux de le dire, se tire une balle dans le pied. Quelque part j'ai un peu honte de l'admettre car, quand on voit le niveau récent des productions de cet acabit, reprocher aux développeurs de s'être à ce point détachés des standards actuels bourrepifo-américano-neuneu revient à décourager une forme rare et précieuse d'innovation, qui plus est d'innovation à gros budget. A sa propre manière, Mankind Divided est un beau jeu, qui irradie d'autant plus qu'il échoue à se faire aimer : ses forces et ses ambitions sont phagocytées par sa lenteur, sa brièveté et ses errances d'ergonomie. On sent bien que Square Enix a imposé des contraintes pas très catholiques en échange d'une telle liberté artistique, entre ce système de season pass pourri qui ressemble juste à un cheat code à usage unique (en gros, l'accès à un inventaire rempli en début de partie qui ne se charge qu'une seule fois...) et cette fin bien trop abrupte et bourrée de cliffhangers jusqu'à la nausée. Il y a aussi des bizarreries de game design, des missions qu'on sent pensées très loin mais qui ne se déploient jamais à leur plein potentiel, la faute peut-être à la superficie trop resserrée et au manque de vie des environnements. Et puis, mince, en fait, qu'est-ce que c'est facile. On le redit, Human Revolution souffrait déjà de cette tare. Ce Deux Ex, derrière une prise en main fastidieuse, est peut-être et paradoxalement encore plus facile et routinier, avec des pouvoirs abusés de partout, des items si nombreux qu'on n'a jamais besoin de dépenser de fric, et puis les fameuses "bio-cellules" qui rechargent l'énergie (les vétérans sauront de quoi je parle) qu'on trouve littéralement partout. Drôle d'idée, pour s'adresser à un public gamer, de ne leur livrer qu'un manuel d'utilisation compliqué si c'est pour faire un jeu d'une facilité enfantine derrière. Mankind Divided, passé deux ou trois heures un peu relevées (pour qui n'a pas acheté le season pass...), est une balade de santé en pilote automatique, qui ne nous réveille qu'à l'occasion d'une cut-scene ou d'un dialogue trop lent.

boulingrin87
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le 8 mars 2017

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Seb C.

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