DmC: Devil May Cry
6.9
DmC: Devil May Cry

Jeu de Ninja Theory et Capcom (2013Xbox 360)

Impitoyable. Homérique. Démesuré. C’est, en posant le pied dans cette fête foraine, l’idée qu’on se fait du combat qui a pris place ici. Partout, des stands dévastés, éventrés, pulvérisés. La ghosthouse arbore des plaies béantes et vomit son flot de décors en carton. Plus loin, la grande roue, arrachée de son axe, a tout broyé sur sa course avant de finir disloquée en un inextricable enchevêtrement de tubes métalliques. Les nacelles du manège à notre gauche ont été redécorées façon triperie. Un petit coup d’oeil vers l’horizon permet d’apercevoir le vieux quartier. Le clocher de l’église s’est effondré et d’épaisses colonnes de fumée trahissent la translation des hostilités vers le centre-ville, et vers la tour Mundus. L’omnipotent PDG, à la tête d’un conglomérat médiatico-financier éléphantesque, sait maintenant que Dante arrive.

Notre contact s’appelle Démon 665. A une unité près, son nom fait de lui la risée des Limbes, un plan infernal très proche du monde des humains. Il était en première ligne, et la grosse hache plantée dans ce qui doit être son front en atteste. Il l’a vu et affronté. Adossé aux restes d’une baraque à frites, il raconte : “on n’a rien vu venir. Rendez-vous compte, on n’en avait plus entendu parler depuis 2008 et un quatrième épisode sympathique mais un peu fainéant. On le croyait rangé des affaires et on avait repris notre petite tentative d’invasion de votre monde. Ça fonctionnait à merveille.”

De fait, Mundus (le grand Satan du premier Devil may Cry, 2000), ressuscité par le pouvoir ancestral du reboot, a cette fois opté pour la méthode “fine”. Aux orties l’assaut frontal, place à la prise de contrôle des piliers de nos civilisations consuméristes, et à l’infiltration insidieuse de notre quotidien. Alimentation, information, monde de la nuit, ses séides sont partout et maintiennent les hommes dans un état d’obscurantisme servile. Un sentiment de terreur nous happe : ce nouvel opus de la franchise aurait-il profité de son transfert chez les Anglais de Ninja Theory pour s’acheter un scénario ? Démon 665 a bien saisi notre trouble, et s’empresse de nous rassurer : “pas d’inquiétude à avoir, la filiation Capcom n’a pas été oubliée. Les bonnes idées narratives sont impitoyablement sacrifiées sur l’autel d’une critique grossière et sans nuance de nos sociétés modernes, ciselée au marteau-piqueur et écrite au stabilo. Malbouffe, médias corrompus, multinationales cyniques et dialogues indigents à base de vannes de collège, on vous a gâté.” Soulagement.

Dommage, surtout. Car dans la mise en scène de son univers perverti, DmC frappe très très fort. “On ne voulait pas compromettre la couverture qui nous voit adopter l’apparence de M. tout le monde. Dès qu’on aperçoit Dante, on profite de la proximité entre les deux mondes pour l’aspirer dans les Limbes et l’y combattre” poursuit Démon 665. Et la bascule est visuellement saisissante. Le cadre contemporain qui sert de support à l’aventure, un rien fadasse, est totalement transfiguré par un extraordinaire travail de morphing. Le ciel rougoie et se charge de nuages menaçants. Le sol s’effondre et dévoile d’insondables abîmes. Les murs s’élèvent, les couloirs s’allongent à perte de vue, les planchers et les charpentes se tordent et se déforment. Les bâtiments se déstructurent totalement. On pense forcément à Inception de Nolan, ou au Dark City d’Alex Proyas. Le tout se produit dans un concert de craquements, de grondements et de ricanements sardoniques, alors que sur les parois s’affichent des insultes en lettres de feu, ou les harangues de Mundus à l’endroit de ses troupes expédiées au casse-pipe.

Mieux, après un début plutôt sage, les développeurs se lâchent totalement et exploitent habilement l’idée visuelle, vous expédiant combattre dans le reflet d’un fleuve des hordes de gargouilles au glaçant visage de porcelaine, ou jouant du parallélisme entre les mondes pour construire le déroulement des missions. Avec en point d’orgue ce combat de boss contre l’avatar numérique d’un gourou des médias qui éclaire d’un jour neuf le concept de “reprise éditoriale”. Brillant. “C’est vrai, soupire Démon 665, notre monde a de la gueule, et on aurait peut-être mieux fait d’y rester.”

Face à un univers aussi éclaté, le souvenir d’un Dante bien maladroit dès qu’il s’agit de bondir d’une plate-forme à l’autre fait immédiatement surface. “Mais ça, c’était avant”, bougonne le démon en ajustant ses lunettes. Désormais équipé d’un grappin qu’il balance vers des points d’ancrage plus ou moins automatisés, le fils de Sparda a largement gagné en souplesse et en précision, et s’autorise régulièrement ce qu’il est convenu d’appeler des phases de voltige. On reste loin d’un Mario, mais voir le glorieux nephilim s’y reprendre à 20 fois pour attraper un rebord avait quelque chose de pathétique dont on s’affranchira cette fois-ci.

La nuit est tombée, et Démon 665 est reparti affûter sa machette émoussée. C’est en discothèque que nous croiserons enfin la bête. Assez éloigné du look emo-junkie des premiers visuels dévoilés, seringue plantée dans le bras, qui avait fait hurler les fans, le Dante nouveau est en fait proche du petit con frondeur croisé dans DMC3, crinière d’argent en moins. Il est venu présenter ses hommages à la maîtresse des lieux, amante de Mundus. Après un petit travail de rénovation d’intérieur, voilà la boîte prête à accueillir un étouffant jeu de la mort dont le demi-démon est évidemment la vedette.

Au fond de l’arène éclairée de néons hystériques vient d’apparaître un gros poussah démoniaque. Inattaquable de front, et insensible à cette bonne vieille Rebellion (l’épée canonique de Dante). Petite roulade pour passer dans son dos, où apparaît une accroche. Le coup de grappin, vif, met le colosse au sol. Dante a troqué l’épée pour une hache dont le tranchant rougeoyant débite aisément la chair infernale. Tout à sa tâche, il n’a pas encore vu la sorcière dont les incantations ont matérialisé un grand glaive menaçant. Coup de chance, cette truffe pousse un hurlement avant de donner l’assaut. L’esquive, bien sentie, précède la riposte. Nouveau changement d’arme en faveur d’une grande faux aux coups amples mais peu puissants. Autour de la sorcière malmenée, trois gargouilles prennent leur envol. Dante s’équipe d’une sorte de grande étoile acérée. Après deux coups, il marque une pause puis reprend l'enchaînement. Son nouveau jouet projette des disques qui emprisonnent chaque ennemi, avant de les regrouper au centre de l’arène. Un bon coup de fusil à pompe achève la sorcière et coupe les ailes des gargouilles. Un juggle suivi d’un enchaînement aérien avec Rebellion vient à bout de la première, et une judicieuse exploitation du grappin en récupère une deuxième sans même reposer le pied au sol. Réfugiée derrière un front de démons mineurs, la dernière est à nouveau soumise au combo étoile-disques-regroupement, avant de finir broyée au milieu de ses petits copains sous l’impact d’un coup de zone généré par une paire de gants ardents. Fin du premier round, hurlements du public, et menaces de la tenancière dont le visage se matérialise sur la grande boule à facettes. Si cette scène s’étale sur 20 lignes, elle a duré moins de 20 secondes. Dante avait rarement été aussi vif, nerveux, enragé.

Si les grandes bases du gameplay DMC - les coups basés sur le timing, le jeu aérien - sont toujours là, elles sont entièrement repensées pour se fondre dans une vision plus libre des affrontements. Le verrouillage manuel des adversaires, autrefois indispensable pour enclencher 80% des coups, passe à la trappe au profit d’un lock semi-automatisé pertinent et rarement pris en défaut. Certains mouvements sortent moins facilement (oubliez le spamming de stinger), mais la panoplie reste très accessible. C’est toute l’approche des rixes qui s’en trouve modifiée, et la stratégie d’assaut “ennemi par ennemi” s’estompe largement au profit d’une gestion plus globale de la bataille.

Le changement d’arme à la volée (avec les gâchettes) et l’exploitation du grappin complètent le tableau. Classés en trois obédiences -neutre, démoniaque, angélique-, vos engins de mort s’adaptent à une opposition elle aussi largement “genrée”. Au-delà de l’aspect “code couleur” un peu factice, c’est surtout la variété d’approches que permettent ces changements instantanés qui confère son sel au système de combat.

On fustige au début une outrancière simplification de la palette de coups au regard des épisodes précédents : toutes les armes possèdent exactement les mêmes commandes. Puis on comprend l’idée sous-jacente : changer d’arme en plein enchaînement ne réinitialise pas le combo. On le poursuit. Il devient alors possible de “construire” ses propres combinaisons, de choisir les mouvements les plus utiles à la faveur d’un coup de gachette judicieusement placé. Et de ne pas s’encombrer avec des attaques inadaptées. Un joli coup de gameplay qui demande quand même un petit temps d’adaptation (et une bonne connaissance de son équipement).

Le bourrin de service, lui, n’effleurera que très superficiellement la chose tant le jeu est simple (dans les modes de base). L’exploitation des nombreuses finesses trouvera en revanche tout son sens auprès des esthètes, des téméraires embarqués dans les modes de difficulté élevés, ou des adeptes du score et du leaderboard. Car DmC masque derrière une durée de vie moyenne (10h en premier run, 12 si on cherche les petits secrets cachés) un travail intéressant si l’on aime se pavaner dans les classements. De base, chaque coup porté rapporte des points et la traditionnelle jauge de style fait office de multiplicateur. Elle monte très vite (jusqu’à triple S) si on sait varier ses attaques et redescend très lentement (tant qu’on ne se fait pas toucher). L’intégriste hurlera là-encore au péché d’accessibilité, avant de ravaler sa haine : chasser le score impose d’appréhender les niveaux globalement, et plus seulement “bataille par bataille”. Finir un combat avec la note de style maximale (triple S donc) permet, en étant rapide et performant dans la phase de progression suivante, d’attaquer l’affrontement à venir sans que ladite note ne soit retombée à zéro. Donc de marquer de gros points dès l’entame des hostilités, et de remonter très vite à l’évaluation parfaite. Et ainsi de suite. Bref, un bel exemple de gameplay à plusieurs vitesses apte à contenter le joueur dilettante sans trahir le pro.

Ce nouvel opus dissipe donc très largement les craintes qui planaient sur la franchise. Le studio Ninja Theory (Heavenly sword, Enslaved), réputé assez doué techniquement, semblait ne pas avoir les épaules assez solides pour reprendre un mètre-étalon du beat’em all à la japonaise. Il cachait bien son jeu, et redynamise une série pour laquelle on se faisait quelques cheveux blancs (désolé). Une vraie réussite, et une jolie surprise.
lastbuzz
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le 13 févr. 2014

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