Dropsy
7.2
Dropsy

Jeu de Tendershoot, Jay Tholen et Devolver Digital (2015Mac)

un hymne à la compassion et l'amour des choses simples

Je voulais vous parler de Dropsy : A point and click hugventure. Il s’agit d’un point&click, et probablement le meilleur auquel j’ai pu jouer ces 10 dernières années. Pas tant par la qualité de ses énigmes, qui ne sont rien que très banales, que par tous ses petits détails qui le constituent et qui font de lui une œuvre réellement unique.


Commençons par le personnage.
Dropsy est un personnage qui ne peut pas vraiment être séparé de son créateur, Jay Tholen. En effet, Dropsy fut conçu lorsque Jay était un adolescent mal dans sa peau, qui se réfugiait sur Internet et dans la programmation pour retrouver la reconnaissance qu’il n’avait pas à l’école, où les autres élèves se riaient de lui. Durant cette période, il fit un jeu de plate-forme — abandonné car il ne parvenait pas à surmonter un dysfonctionnement — où l’on tuait des zombies (original, n’est-il pas ?), et l’un des « boss » de fin de niveau était Dropsy.
Dropsy, c’était la concentration de sa haine, il l’a fait laid, avec un look d’attardé, juste car Jay était triste, et donc aussi cynique que peut l'être un ado revenchard. Le temps a passé, Jay a mûri, et quatre ans après, le sprite de Dropsy lui parut de plus en plus sympathique. Il se mit à aimer ce personnage avec lequel il avait été si méchant. Et d’une certaine manière, il comprit que ce personnage, peut-être, ne voulait qu’être aimé… et qu’il n’était rien d’autre qu’une métaphore de cet adolescent. Voulant utiliser Dropsy pour autre chose, il se dit qu’un jeu d’aventure serait une idée intéressante, et il décide alors de proposer de faire un jeu basé sur les suggestions de ses camarades du forum « somethingawful » où il avait passé tant d’années. Et c’est comme ça que le personnage de Dropsy et son univers prirent forme. Le jeu « Dropsy » a connu beaucoup de rebondissements, et la version proposée aujourd’hui n’a réellement été imaginée qu’un an avant que le jeu soit finalisé.


Le jeu en lui-même est donc un point&click en pixel art. Pour avoir regardé par curiosité l’une des retransmissions de Jay travaillant sur les décors, on se rend compte de la spontanéité avec laquelle le jeu est réalisé. Jay sait ce qu’il doit faire, mais il travaille très lentement sur son décor, le soir tard, pixel par pixel, comme s’il était dans une sorte de transe. Dans un style simpliste, aux couleurs pastel, Dropsy trimballe son sourire niais et édenté à la recherche de personnes à câliner de ses deux moignons. Ah, parce que oui, non seulement Dropsy ne sait pas parler, mais en plus, Dropsy n’a pas de mains. J’ai essayé de composer un numéro de téléphone, sans jamais réussir. Concernant la parole, les autres protagonistes sont muets, mais s’expriment par le biais de pictogrammes. Cette communication simplifiée fait partie intégrante du concept de Dropsy, et de sa vision si simple des choses.


Le monde, quant à lui, est parsemé de glyphes incompréhensibles au premier abord, mais qui, comme l’alphabet de l’excellent Fez, ne sont pas écrits au hasard. En ayant rendu la lecture inaccessible sans faire l'effort de l'apprivoiser, Jay Tholen a consolidé le mutisme et l’incompréhension du monde dans lequel Dropsy évolue, ce qui renforce l’intérêt de cette quête identitaire. Mais aussi, d’une certaine manière, assoit son universalité. À la manière d’un Machinarium ou d’un Samorost (dont le prochain épisode est en cours de réalisation), Dropsy s’adresse aux gens de tout âge et de tout pays.


Le système de jeu intègre des objets que l’on fourre dans son pantalon, tout en contournant intelligemment le syndrome de la hache (qu’on a envie d’utiliser partout et qui rendrait bien des services, mais que le jeu nous interdit de faire). Le curseur change lorsque l'on survole un élément intéractif (œil, main, bouche, à la manière de Sam&Max : Hit The Road sauf que l'action réalisable est prédéfinie). Un menu situé en haut de l'écran permet de regarder son inventaire, de faire des câlins, et d'avoir accès à la carte du monde. On peut contrôler aussi bien Dropsy que l’un de ses compagnons animaux que l’on rencontre au long du périple, la bascule s'effectuant par ce même menu. Ainsi, si Dropsy cherche à faire des câlins à tous, le chien Eugh aura pour grande passion d’uriner sur toutes les bornes d’incendie. Une action facultative, mais ô combien importante, ne serait-ce que pour voir l’ignoble trombine qui apparaît en gros plan lorsqu’il se soulage.
Dropsy, c’est du pixel art, mais c’est aussi une animation plutôt de bonne qualité, de bonnes musiques, un univers étrange, parfois dérangeant, surtout lorsque l’on voyage dans les rêves de Dropsy


J’avais commencé à écrire ce texte lorsque le jeu est sorti, en octobre 2015. Mais entre temps, Jay Tholen avait déclaré qu’outre de nombreuses améliorations dans le système de jeu, une très grosse pièce de puzzle serait ajoutée. Bien que dispensable, elle permettrait d’expliquer certains points d’ombre, et de rallonger la durée du titre qui m’a duré 8 heures en prenant mon temps et en restant bloqué comme un imbécile. Las, si les améliorations sont bel et bien arrivées, le contenu additionnel ne devrait arriver que d’ici deux mois. J’avais envie de parler de Dropsy, alors j’ai tout de même sauté le pas.


Il y a une bande-annonce sur Youtube, elle montre pas mal du jeu, mais je l’aime bien (c’est une sorte de karaoké qui pose les bases du personnage). Si vous cherchez à être convaincus, il suffit de la regarder, je pense que vous saurez tout de suite si le jeu est pour vous ou pas.


https://youtu.be/B17opczUp1M


Dropsy est un jeu touchant de par sa simplicité, un hymne à la compassion et l'amour des choses simples, thématique qui me tient beaucoup à cœur.


Avec Broken Age, ça fait un deuxième très bon point&click pour l’année 2015. Il me reste à me frotter à Armikrog, mais visiblement celui-ci n’aura pas droit aux honneurs…

Yohmi
8
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le 6 févr. 2016

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