Poulie de poulet

Ça devait être en 1998 ou 1999, avant le nouveau millénaire, quand on ne pouvait pas se connecter à internet sans que tout le quartier ne soit au courant à cause du bruit, quand l’idée de télécharger des films n’aurait même pas effleuré l’esprit des rares personnes qui avaient investi dans un personal computer, bref, quand les dinosaures régnaient encore sur le globe.

J’étais toute petiote, et mon père avait décidé d’acheter un PC, prétextant qu’il pourrait ainsi travailler le week-end (du flan) et que les gosses joueraient à des jeux éducatifs (mon cul).
Moins de deux moins après, il ramenait déjà des jeux du boulot pour ses marmots, gravés sur disquette (damn), et même parfois, le luxe, sur CD-ROM.

Parmi ceux-ci, il y a eu la révélation : Monkey Island I (The Secret of Monkey Island) & II (Lechuck’s Revenge).
Enfin, la révélation, surtout pour mon frère. Je vous rappelle que je n’avais que 6 ou 7 ans à l’époque.
L’univers de pirates et de sorcellerie vaudou, les musiques à trois notes, les pixels qui piquent les yeux aujourd’hui mais n’empêchaient pas un graphisme quand même magnifique, le singe à 3 têtes, les énigmes tordues (et à l’époque, pour toutes les résoudre, mon frère marchandait dans la cour du collège, parce qu’internet coûtait trop cher pour y cherches les soluces), l’humour, le personnage du gentil digne d’un Petit Prince crétin, le personnage du méchant diabolique et terrifiant (la scène dans le métro à la fin du 2)… Ce jeu représente des heures passées côte à côte au lieu de profiter du jardin, mon grand frère et moi, lui me lisant les dialogues des personnages quand ils étaient trop rapides, avec des voix différentes pour chacun, moi suggérant des combinaisons idiotes avec les objets dans l’inventaire quand il était bloqué (et parfois ça marchait !), nos fous rires et nos traumatismes (les squelettes des parents de Guybrush)… Je ne regrette rien !

Quand le 3ème jeu est sorti, malgré le départ de Gilbert et le virage graphique à 360°, malgré quelques années de plus, des boutons d’acné et des engueulades ordinaires de fratrie, nous avons repris nos places, mon frère à la souris, moi à côté sirotant de la grenadine, pour faire ensemble la suite des aventures de Guybrush Threepwood. Et c’était aussi cool : un graphisme différent mais agréable, des énigmes aussi dures, de l’humour toujours, des paysages variés et des personnages dans la lignée des abrutis communs chez LucasArt.

Mais au 4ème jeu, les choses ont changé… Le passage à la 3D et la volonté de donner un « coup de jeune » aux graphismes, au gameplay et à l’histoire ont fait des dégâts selon moi considérables. J’ai toujours eu beaucoup de peine pour les gens qui ont découvert la série avec celui-ci : ce n’est pas rendre justice au projet initial, à l’ambiance qu’on trouvait dans les deux premiers jeux, au vrai plaisir de joueur qu’on ressentait quand on résolvait une de ces foutues énigmes. Tout s’est effiloché : les personnages et les décors étaient laids, l’intrigue plate et nulle, on bougeait mal dans l’espace (difficultés à attraper ou voir simplement certains objets, voire juste le chemin à prendre). Et surtout, on ne riait plus.
On n’a fini le jeu que parce que ça coûtait un bras à l’époque…

Quant au 5ème, je suis tombée dessus par hasard il y a quelques années. Nous l’avons commencé ensemble (cette fois c’était moi à la souris), mais nous ne l’avons même pas terminé ; la magie s’était envolée.
Mon frère et moi n’avons plus joué à des jeux pc ensemble.

Heureusement, un jour, sur un brocante que nous faisions ensemble, il a acheté pour 10 euros une Nes impeccable, puis a investi par la suite dans une SuperNes renfermant dans ses cartouches ce que nous avions tant aimé : du challenge, des pixels, des musiques à 3 notes, et peut-être même, en cherchant bien, des pirates…