Final Fantasy VII: Remake
7.5
Final Fantasy VII: Remake

Jeu de Square Enix (2020PlayStation 4)

C'est un long couloir, c'est une piètre histoire...

Notion du jour ? Litmus test. Une question posée dans certains cas particuliers pour définir la fibre morale nécessaire à occuper une position spécifique. Passons à l'exemple. Un panel de candidats se présente pour remplir la position de directeur d'une école secondaire. Allez-vous choisir ceux qui ont répondu « oui » à la question « envisagez-vous un cas dans lequel une relation romantique est tolérable entre le corps enseignant et un(e) étudiant(e) » ? La réponse est bien entendu : non. C'est pour révéler ce genre d'inadéquations morales entre un candidat et une profession qu'existe le concept du litmus test. Faut bien que se dresse quelque part un rempart moral pour certaines positions ayant un impact sur la société.


Celui d'un critique est de toute évidence de moindre conséquence. Je vais pas prétendre le contraire. Mais même dans ce domaine ô combien spécifique le principe reste le même et ce Remake peut servir de butoir. Admettons qu'un critique par ailleurs respectable – un peu niais, peut-être, mais malgré tout capable de nouer ses chaussures tout seul – révèle soudain son amour immodéré pour la seconde version du septième Final Fantasy. Il trouve parfaitement adéquat ce long corridor orné de cinématiques sans intérêt où des personnages mièvres sont interrompus dans leurs réflexions épidermiques par des combats dépourvus de toute forme de personnalité. Cette structure empruntée à XIII l'enchante tant et si bien qu'il peut se perdre des heures durant dans son ruban. Les omniprésentes tentatives de pivoter du destin d'une ville dystopique à des sujets soi-disant humoristiques le rendent hystérique. Alors, sans cependant appeler pour autant les blouses blanches, il est temps de se poser une question. Est-ce là l'avis d'une personne comprenant et appréciant les qualités intrinsèques du jeu vidéo en tant que discipline à part entière. Trente heures de vide prétentieux censément luxueux suffisent-elles à produire une expérience ludique ? En ce qui me concerne la réponse est non. Ce qui n'a rien de grave. Vous pouvez aimer la médiocrité. Il n'y a pas mort d'homme. Personne ne devrait se sentir blessé. Mais vous pouvez être assuré que je ne regarderais plus jamais du même œil l'avis d'un critique portant aux nues un projet doté de ce type de scories. Son standing aurait baissé, juste un peu, vers la case Crétin Crédule. Elle qui se trouve, vous l'aurez compris, juste au-dessus du Vicelard Vendu.


Je comprends cependant son sentiment caché sous tout ceci. Il est présent chez nombre de nos contemporains. Faudra cependant gratter quelque pour l'expliquer de manière claire. Beaucoup d'adultes n'ont jamais réussi à se dépatouiller du bagage culturel dont ils ont été affublé par leurs années formatrices. Certains n'ont jamais même tenté d'opérer cette grande opération d'auto-réflexion censée séparer le bon grain de l'ivraie. Tout ce qui est issu de ce passé sans cessé idéalisé leur semble fondamental, précieux, et peut-être même religieux. Suffit de voir combien certaines compagnies – Disney en tête – ont ces dernières années axé l'intégralité de leur production vers la case malsaine de l'exploitation nostalgique systématisée. Voyez combien des « classiques » de votre enfance ont été remplacés par des remakes où des animaux polygonaux réalistes suivent la trame déjà étrange à l'époque de dessins-animés structurés comme autant de comédies musicales. Tout ça, on ne sait trop pourquoi, réalisé par Jon Favreau comme un documentaire digne de la BBC mais pourtant filmé sous Unity. La réalisation que toute une génération tente d'éviter est celle-ci : une portion saine et normale du passage à l'âge adulte consiste à mettre de l'ordre dans ses premières références culturelles. Beaucoup d'éducateurs tentent de minimiser l'impact des médias consommés durant les années formatrices de votre existence. Mais leur impact, encore ce mot, est bien plus conséquent qu'on peut le penser de prime abord. Si on en croit la psychologie infantile beaucoup de ses influences opèrent au niveau subconscient pour former votre grille de lecture de la réalité. Celle qui sépare le bien du mal, par exemple, histoire de souligner une fonction centrale. Ce qui pose une question terrifiante : à quel point votre compréhension du monde est-elle préfabriquée par de simples produits. Demanderiez-vous à Coca-Cola d'éduquer vos bambins ? Attention, pensez quelques instants à la question avant de répondre, elle pourrait devenir un litmus test.


Un certain niveau de nostalgie pour ce que vous avez croisé durant votre tendre enfance est parfaitement normal. C'est humain. Tout le monde aime ses parents et certains de ses films/jeux/albums sont en grande partie appréciés à cause du contexte qui les accompagne. Il est même compréhensible d'idéaliser tout ceci quelque peu. Mieux vaut regarder en arrière avec joie qu'avec regret. Rester ravi de faire du sur-place toute son existence en revisitant constamment les quelques totems précieux rencontrés durant cette période est cependant malsain. Peut-être même une illustration du développement arrêté si familier aux fans de la série télé du même nom. La plupart de vos doudous, avec un peu de recul, n'étaient que des produits de consommation courante. Inutile de les traiter autrement. Tout autre choix issu de la même case aurait eu le même impact s'il vous avait été présenté au même moment. Prenons un exemple tiré de mon enfance. Un seul suffira. Si je vous dis : « cinq cyborgs terriens sélectionnés pour survivre aux conditions dangereuses d'outre-espace lors d'une mission policière placée aux confins de l'univers ». Bien joué. Il était bien question des Silverhawks. Sur papier ? Excellent concept. L'idée de héros chromés fendant le vide intersidéral grâce à leurs ailes d'acier est assez intriguant. En pratique vous vous retrouverez surtout avec un dessin-animé en forme de publicité pour des jouets pas terribles dont seul le pilote mérite, peut-être, qu'on se penche sur ses charmes désuets. Malgré ça l'émission a ses fans. (Sans-doute à cause de l'excellent générique américain qui vend l'affaire mieux que le pouvait Bernard Minet : son niveau d'animation est bien supérieur à celui de la série.) Face au monde qui nous entoure il n'est pas surprenant que quelques-uns de nos contemporains abdiquent. Qu'ils se replient dans un cocon comfy constitué de médias familiers. Celui des questions simples aux réponses évidentes. Faut admettre... c'est tentant.


J'ai tenté d'opérer tant bien que mal une comparaison dont je suis obligé d'admettre qu'elle n'est pas réalisée sur un pied d'égalité. Les Silverhawks sont, au mieux, une série mineure de la fin des années quatre-vingts tandis que Final Fantasy est malgré ses grandes difficultés à prendre le tournant de la modernité une des licences les plus lucratives de son domaine d'activité. Remarquons, par ailleurs, que les Aigles d'Argent n'ont jamais bénéficié d'un remake doté d'un budget colossal. Ils en sortiraient sans-doute grandis. Final Fantasy VII, de son côté, en est à sa deuxième réinvention. Après le film d'animation modique sorti d'une pochette surprise pour célébrer l'un ou l'autre anniversaire dépourvu de sens voici le Remake censé réinventer un classique pour le même public. Ta-daaam ! Il aura fallu vingt ans d'efforts « cosmétiques » pour amener le classique d'autrefois au niveau de la bouillie servie par Square aujourd'hui. Dans l'intervalle l'écurie connue pour des succès mondiaux dans le domaine très spécifique du J-RPG à tenté de se spécialiser dans les simili-Devil May Cry. On ne sait trop pourquoi. Dragon Quest et Persona semblent se sortir fort bien du fait d'opérer dans cette discipline au tour par tour. Peut-être est-ce une tentative de diversification de la part d'une compagnie rachetée autrefois par leur ennemi de toujours. Dur à dire. Mais la corporation Square Enix a cependant décidé depuis longtemps que Final Fantasy – malgré la présente du mot fantasy dans son titre – doit être une série d'action dont la principale fonction est de générer des ribambelles de produits cross-media science-fictionnels. Vous avez vos mangas ! Vous avez vos goodies ! Quelques longs métrages modiques ! Un soda saveur Potion ! Mais surtout... des projets linéaires maintes fois retardés bâtis sur les échecs de XIII et dont la fonction principale est de permettre d'étoffer ailleurs ce qu'ils passent sous silence par leur existence. On penserait presque que tout le charme de la série a été délocalisé dans ses accessoires.


Prétendre que les mauvaises leçons ont été tirées des succès engendrés sur la première PlayStation serait à ce stade un doux euphémisme. Peut-être même plusieurs. Faut voir comment vous comptez tourner votre argumentaire. Toujours est-il que cinématiques et scénarios sont maintenant censés être les piliers principaux du concept. Les idéaux autrefois centraux que furent le charme inouï de leurs petits mondes étranges et la liberté d'action conférée par leur visite sont passés aux oubliettes depuis belle lurette. Tout ça dans, autant le préciser, un J-RPG. Même à son sommet cette portion de la discipline peut être considérée sans aucune forme de flagornerie – oui j'ai dit flagornerie – comme dirigiste au possible. Vous y incarnez toujours quelqu'un de pré-défini sans vraiment pouvoir influencer sa destinée. Telle est la manière japonaise de considérer tout ceci : on vous donne au mieux l'illusion d'un choix. Et celui-ci se trouve dans la manière dont vous allez visiter cet univers. La présence éventuelle du petit village reculé où vous pouvez tomber sur l'un ou l'autre moment touchant. Ou l'existence d'une quête secondaire secrète où se trouve l'arme ultime tant convoitée qui permet de se défaire du boss final – souvent un ange maléfique déguisé en Gackt – avec toute l'aisance qu'on guette dans les errances d'un postier en France. Ne vous attendez d'ailleurs pas à voir ce type d'artifices reparaître par la suite. J'ai dans l'idée que l'explosion des budgets dans cette industrie assure la linéarité des projets de ce genre. Beaucoup de jeux sont maintenant construits en trompe l’œil. Si l'on pouvait bouger leur caméra ne serait-ce que six mètres dans n'importe quelle direction vous verriez qu'ils ne sont qu'un couloir creux arrangé pour donner l'illusion d'une richesse impossible à proposer aujourd'hui selon les standards d'antan.


Il faudra donc se contenter des enfants de Final Fantasy XIII. Combats orientés action dans la grande tradition Kingdom Hearts. Scénario convenus où des élus émus se battent enfin contre le destin. Cinématiques sans trêves aux personnages mièvres. Tout les éléments constitutifs d'un dessin-animé douteux réunis dans un jeu qui en est à peine un. Alors... la prochaine fois qu'un proche me dira qu'il aime le Remake de Final Fantasy. Vous m'excuserez de perdre un peu de respect pour lui.

MaSQuEdePuSTA
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le 22 déc. 2020

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