Frostpunk
7.5
Frostpunk

Jeu de 11 bit studios (2018PC)

Franchement, les mecs d’Europe de l’Est c’est pas des joyeux. Parce qu’en plus de picoler comme des sauvages, ils aiment bien créer des jeux de dépressifs, dans une ambiance grise et morne sans aucune échappatoire, si ce n’est l’alcool. Sans doute les séquelles d’un siècle de communisme.


On trouve donc des jeux très gris et peu optimistes sur la nature humaine, comme STALKER, Metro ou encore The Witcher. Et dans toute cette ambiance mortifère, apparait 11 Bit Studio (toujours des Slaves) un développeur à qui l’on doit le riant This War of Mine. En toute logique, le studio a décidé de distiller un second titre poilant : Frostpunk. À croire que tous les Slaves développent leurs jeux par -40 degrés dans des locaux non chauffés, avec pour seul réconfort une bouteille de vodka.



Winter is coming.



Premier constat : le froid n’a jamais été aussi beau. On admire nos survivants se frayer un chemin à travers la neige, creusant progressivement une petite tranchée jusqu’au lieu de travail. Ah c’est sûr, ce ne sont pas des Parisiens apeurés par 1 cm de poudreuse !


L’ambiance steampunk, avec tous ses bâtiments fonctionnant à la vapeur, ses automates gigantesques et cette grande tour centrale, est une réussite totale.


Le jeu est globalement similaire à Banished : on ramasse d’abord à la main les ressources éparpillées, on construit des habitations, puis des usines pour produire plus rapidement les matières premières essentielles à notre survie : charbon, bois, acier, nourriture. La différence primordiale c’est évidemment le froid, bien plus agressif que dans d’autres city builders. C’est également une course contre la montre, puisque la température baissera progressivement, sans jamais remonter à son stade initial. Il faut donc jongler intelligemment entre les ressources : sans charbon, votre générateur ne fonctionne plus et condamne à mort sur le très court terme l’ensemble de votre colonie.


Allouer des ressources à des recherches scientifiques sera par ailleurs nécessaire pour construire un générateur plus efficace, avec une meilleure portée, une consommation plus faible, etc.
Toute votre ville se développera autour de ce générateur, et s’en éloignera progressivement grâce à diverses technologies permettant de lutter contre le froid.


À côté de cette gestion de base, vous aurez aussi la possibilité de monter des expéditions pour explorer les alentours. Vos hommes atteindront les sites explorables en un temps donné et déclencheront un évènement spécifique sous forme de message à leur arrivée, qui laisse parfois un choix au joueur. Ces expéditions seront l’unique moyen de récolter une ressource essentielle à votre base : les noyaux, qui permettent de développer des bâtiments avancés et de construire des automates. C’est aussi le meilleur moyen de trouver des survivants pour agrandir votre colonie. En effet, comme l’aventure se déroule sur un peu plus d’un mois, il n’y a pas de gestion de natalité et donc votre population n’augmentera qu’en accueillant des réfugiés.


De plus, le jeu intègre un système de lois que l’on peut promulguer selon un certain laps de temps. Travail des enfants, traitement radical des malades, ouverture de lieux de loisirs, etc. Une législation indispensable pour réguler le mécontentement et l’espoir, deux jauges primordiales qu’il faudra surveiller pour ne pas sombrer dans l’anarchie. S’ajoutent ensuite deux voies alternatives : l’ordre et la foi, qui mènent forcément à une dictature fasciste ou religieuse, sans réelle différence.



La mort blanche.



Comme pour leur précédent jeu, 11 Bit Studio soumet le joueur à de lourds dilemmes, qui mettent souvent en balance pragmatisme et compassion. On subit toujours cette ambiance dépressive, où les protagonistes survivent de peu au déluge d’évènements qu’ils leur tombent dessus. En tant que capitaine de la colonie, votre but est donc de faire perdurer la ville, mais à quel prix ?


Ce sont des thématiques intéressantes, le seul souci finalement, c’est que Frostpunk soit un jeu de gestion. Il est en effet plus difficile d’éprouver de la compassion pour un groupe de personnes plutôt que pour une seule. Comme le dirait le petit père des peuples, « La mort d’un homme est une tragédie, la mort d’un million d’hommes est une statistique ». Là où la mort d’un protagoniste de This War of Mine est vécue comme une tragédie, dans Frostpunk c’est plus le côté « merde, ça va baisser ma productivité » qui ressort.


En outre, le jeu propose actuellement trois scénarios qui permettent d’en apprendre plus sur l’univers, les raisons de la chute des températures et sur l’effondrement des civilisations. Le background du jeu est intéressant et pousse le joueur à explorer pour connaître tous ses secrets.
Contrairement à la plupart des city builders, Frostpunk possède une fin pour chaque scénario. Surgit alors un constat en demi-teinte : avoir une histoire dans un jeu de gestion est bienvenue. Le problème c’est que la rejouabilité est assez faible, ce qui est assez paradoxal pour ce type de jeu. Pour terminer l’ensemble des scénarios, il vous faudra environ 15-20 heures tout au plus. Vous pouvez bien sûr les refaire dans une difficulté supérieure ou en acceptant certains défis pour accomplir les succès steam, mais ça s’arrête là. Exit le mode bac à sable, qui, selon les développeurs, arrivera plus tard. Il devrait également s’ajouter un quatrième scénario dans les mois à venir.


C’est assez maigre, surtout pour un jeu qui n’est pas en accès anticipé, mais bel et bien sorti.



Le Froid (pas tout à fait) Immaculé.



Frostpunk est sans doute sorti trop tôt : le manque de contenu se fait sentir. En outre, jeu de gestion oblige, j’en attendais plus des chaines de production, qui sont malheureusement inexistantes. Par exemple, dans Banished il faut des bûcherons pour avoir des troncs d’arbres, puis une scierie pour fabriquer des planches, puis un menuisier pour confectionner des meubles. C’est la base d’une chaîne de production. Ce n’est pas le cas dans Frostpunk : une scierie produit du bois, matériau qui permet ensuite de construire des bâtiments ou de développer des technologies. Dommage, cela limite un peu trop l’aspect gestion des ressources.


Par ailleurs, l’opposition foi/ordre, les deux voies possibles que l’on peut prendre, est assez faible. Même si en termes d’ambiance c’est très différent : l’un est une dictature fasciste, l’autre religieuse, les conséquences sont identiques. Répression de la foule, espionnage de masse, etc. Les deux voies permettent la même chose et les bâtiments spéciaux produisent globalement des effets semblables.


Il y a cependant des propos cyniques intéressants : si vous voulez survivre et diriger une colonie, vous devrez vous salir les mains. Le jeu nous sort un peu de notre confort occidental pour nous montrer un pragmatisme réaliste. Là où j’avais détesté la série absolument ridicule qu’est Battlestar Galactica où des types au bord de l’extinction viennent se disputer pour réclamer une démocratie parfaite, Frostpunk balaie totalement cette vision américanocentrée. Non, pour survivre au pire, il faut parfois faire des choix terribles, il faut parfois agir avec sévérité et perdre une partie de son humanité pour le bien commun.


Si vous n’êtes pas frileux, voici un conseil pour commencer l’aventure : promulguez le plus vite possible les lois sur le travail des enfants et le passage à 14 heures de travail par jour, c’est indispensable pour survivre. Ouaip, on est loin d’une utopie démocratique.


Finalement, Frostpunk propose quelque chose d’assez rafraichissant (ah ah) dans le monde du jeu de gestion, un scénario et des propos particulièrement pessimistes, une direction artistique (visuelle et sonore) splendide. Il manque plus que du contenu et de la profondeur supplémentaire pour en faire un excellent jeu. En espérant que les développeurs se bougent pour offrir tout ça gratuitement et non pas en DLC. Pour le moment, je vous conseille d’attendre les prochaines maj de contenus, qui devraient arriver rapidement.

Créée

le 1 mai 2018

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Malakian

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