Claquer 70 balles dans un jeu qu'on s'attend à ne pas aimer, c'est pas souvent, mais je l'ai fait. GOW avait tout sur papier et dans les reviews pour être ma bonne déception de l'année. Les gros AAA pseudo sentimentaux avec des collectibles et des chests et des skilltrees, la presse unanime (the game of the decade rien que ça), et MEME le chef de projet qui pleure devant caméra en découvrant le 95 du metacritic : tout y était, je devais prendre ça en main et pester devant la bassesse d'un produit de consommation de masse. Moi qui aime les jeux Vlambeer (j'ai même un tee shirt avec leur logo que je mets au boulot, c'est dire) et d'Edmund McMillen, qui venait de passer trois soirées sur Undertale.
Et puis non, GOW c'est trop bien. Mais même pas pour les raisons lues partout dans la presse. La raison est simple : le jeu fait de sa mécanique principale un prétexte pour le développement de ... tout le reste. Il y a un système de combat hyper bien rôdé et toujours agréable à avoir dans les mains, et bien sûr une histoire à suivre (Kratos et son fils doivent disperser les cendres de leur femme/mère au sommet de la montagne du coin), mais ce qui est fort, vraiment fort, c'est que le jeu est un aussi un commentaire sur lui-même et sur les raisons qu'on peut avoir d'y jouer.
[Petit spoiler] ce qu'il y a de bien avec ce média c'est qu'on peut prendre le temps : les trois ou quatre premières heures se déroulent un peu comme on s'y attend. Fights épiques avec un gros Kratos velu qui paternalise (littéralement) son gamin tout le temps. Lentement se construit une vision du père dans le regard de cet enfant, qui accepte la domination paternelle (bien que son côté enfant resurgisse toujours au-delà de la rigueur spartiate du père) et finit par l'admirer. Oh papa que tu es fort, oh papa que tu connais bien la guerre, etc. On débite des vagues d'ennemis comme du petit bois et la hiérarchie père-fils semble bien installée, tout comme la validité de l'action entreprise par les personnages et donc le joueur : buter du vilain damné et looter des coffres d'une civilisation ancienne.
Et puis. Il y a cette scène [oui oui spoilers]. Kratos et Atreus parviennent à un puits de lumière au sein duquel Kratos seul peut entrer (il faut sa force) pour y capturer un peu de celle-ci. Avant d'y pénétrer il laisse son arme, sa hache, à son fils, en pensant voilà, ça va prendre deux secondes, je reviens, garde mon bazooka magique. Une fois dans la lumière, le héros pense apercevoir l'âme de sa défunte femme et lui court après avec cet espoir à peine masqué dans sa voix devenue fragile de la revoir une dernière fois. Au moment où il tend sa main, le voilà tiré soudainement hors de la lumière. Il se retrouve au sol, Atreus au-dessus de lui l'air vraiment pas content. Kratos l'engueule un bon coup : pourquoi tu m'as tiré de là si vite?? Mais ça faisait en fait des heures et des heures que Kratos était parti, sans s'en rendre compte. Ce qu'il finit par comprendre quand il jette un oeil autour de lui et découvre des piles et des piles de cadavres d'ennemis que son fils a occis durant son absence. Son petit garçon qui a combattu seul et pourfendu du vilain à la chaîne. La hache de Kratos trône au sommet d'un amas de corps, laissée là comme par lassitude par le petit garçon. Son père réalise alors qu'il a tellement bien entraîné son bébé que celui-ci est devenu un tueur, un meurtrier de masse. Et il n'est pas sûr d'aimer cette idée.
Atreus, lui, n'encaisse pas le choc de se découvrir lui-même capable de tuer de la sorte. Il passe le reste de cette partie du jeu à faire des reproches à son père, à contester son autorité, à commenter ses moindres faits et gestes. "Tu pourrais peut-être faire quelque chose d'utile au lieu de piller ce temple?!". Il prend son temps pour exécuter les ordres de Kratos, qui fulmine, tout en sentant qu'il est sur le point de perdre toute prise sur son fils. C'est-à-dire que le jeu, soudain, joue contre lui-même, et place le joueur, qui contrôle Kratos, dans une situation très désagréable. On enfonce un coffre pour looter (mécanique de base du jeu) et on se prend une remarque sèche d'un enfant lucide sur le fait qu'on ne vaut pas mieux qu'un pilleur de tombe. Que par rapport à notre mission (honorer les voeux de la défunte), prendre le temps de looter est vraiment minable.
La résolution, elle aussi, est cohérente et élégante : alors qu'il ressortent de cette zone, un conflit ouvert éclate sur le bateau, où il se font face (d'ordinaire, le gamin court devant ou gravite autour de Kratos durant les combats). Kratos lui rappelle son obsession, assurer leur survie, et que son silence n'est pas synonyme d'insensibilité - qu'il est, quelque part, prisonnier de son statut viril, mais qu'au fond, lui aussi est en deuil. Il lui redit qu'il n'avais pas conscience d'être parti longtemps, ce qui se rapproche autant que possible d'une excuse pour lui. Le conflit entre eux retombre, l'enfant comprenant les limites du père, et le père faisant preuve aux yeux de son fils d'une empathie (je me mets à ta place et ok, je sais que ça a été dur ce moment où tu as été seul).
Le jeu repart.
J'en suis pas DU TOUT à la fin, mais ce moment à lui seul montre une qualité d'écriture qui, si on fait un petit coup d'oeil vers le passé, est assez neuve et rafraîchissante (pour un AAA). La recette fonctionne à merveille : le combat nous occupe ludiquement, et fort bien, et en même temps s'inscrit dans une trame narrative qui respecte le joueur, le monde dans lequel le jeu se passe, et ses personnages qui dépassent leur statut d'outil pour le joueur et prennent une épaisseur qui parle au joueur.
Si vous aviez un doute sur le fait que claquer 70 balles vaille le coup, ôtez-le vous.

IIILazarusIII
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le 4 mai 2018

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IIILazarusIII

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