Une sombre histoire de prophéties

Grotto, c'est l'histoire d'un muet qui vit reclus dans une grotte au plus profond de la montagne, un ermite qui passe ses journées à dormir et ses nuits à regarder les étoiles. Un jour, des gens avec des questions ont décidé de lui rendre visite dans l'espoir d'obtenir des réponses.

Grotto, la grotte (?), a ceci de particulier qu'elle dispose d'une vaste ouverture percée en son sommet, qui permet, de nuit et lorsque le ciel est dégagé, de contempler les astres. Il suffit pour cela de s'installer sur le rocher central, baigné des rayons de la lune et de tourner le visage vers le ciel. Là, on peut alors commencer à tracer des constellations du bout des doigts.

Ce qui est amusant avec les étoiles, tout comme avec les nuages, c'est qu'on peut laisser libre cours à son imagination en les regardant et y voir tout un tas d'objets ou d'animaux qui semblent répondre comme en écho à leur pendant terrestre. Si pour les nuages, c'est une affaire de volume et de contrastes, les étoiles sont affaires de géomètre : on les relie et on créé des angles en traçant des traits avec la règle de l'esprit. L'avantage des étoiles sur les nuages, ou leur désavantage diront les plus rêveurs, c'est qu'elles reviennent, inlassablement tous les soirs, et le dessin tracé en tête y apparait chaque fois toujours plus clairement. A la fin on ne sait plus vraiment si c'est nous qui avons tracé le trait ou s'il n'a pas toujours été là, comme tracé par un dessein supérieur.

"Vous ne les voyez donc pas ?" aurait pu dire notre personnage s'il avait eu une langue. Nous nous mettons alors à dessiner les constellations aperçues dans le firmament, à les tracer directement sur les murs de la grotte, ou peut-être est-ce dans le but de toutes les collectionner ?

Nous aurions pu rester tranquille à dessiner les constellations, mais quelqu'un venant de la vallée a trouvé notre grotte. Quelqu'un avec des questions et qui espère pouvoir trouver les réponses ici... Un premier visiteur qui va faire de nous un devin, qui va ramener d'autres visiteurs, puis d'autres viendront encore, chacun leur tour, nuit après nuit, et nous aurons la chance ou la malédiction de devenir, en l'espace des 4h que durent l'aventure, l'un des personnages politiques les plus influents de la vallée, et ce sans jamais y avoir mis les pieds.

Concrètement, le jeu est plutôt ramassé. Il s'agit d'un walking simulator en première personne (ZQSD, courir, interagir) qui se déroule intégralement dans une seule et même grotte. Celle-ci est divisée en deux salles : d'un côté, une petite salle éclairée par un feu pour accueillir les visiteurs, de l'autre notre vaste chambre mystique avec une paillasse dans le coin, le trou vers le ciel et des dessins de constellations aux murs. Ici, on s’imprègne des étoiles pour tenter d'acquérir une connaissance transcendantale et peut-être même prédire l'avenir. En pratique, on choisit un dessin de constellation au mur et on le rapporte au visiteur. Au cours de l'aventure, les visiteurs nous offriront d'autres instruments divinatoires qui ajouteront des sortes d'indices cryptiques nous guidant vers telle ou telle constellation (sans qu'il ne soit pour autant nécessaire de la choisir, on fait vraiment ce qu'on veut).

En nous imposant la contrainte de communiquer sans voix et uniquement via un symbole type signes du zodiaque, le jeu met en évidence le problème de la pluralité des interprétations symboliques : est-ce que l'interlocuteur prêtera la même signification que celle que j'ai adopté parmi toutes les représentations mentales existantes en lien avec ce symbole/mot ? Un problème qu'on retrouve à l'échelle d'une langue avec les concept signifiant et signifié en linguistique, mais qui est aussi le moteur de système de croyances comme l'astrologie en permettant de dire tout et son contraire. Les situations se révèlent assez jubilatoires, il va sans dire qu'il y a beaucoup d'échecs, de situations dramatiques qui auraient pu être évitées, mais le jeu ne s'enferme pas non plus totalement dans ce schéma et offre aussi quelques notes d'espoir.

A ceci s'ajoute le discours sur les croyances, l'obscurantisme et les mystifications, où comment les gens se laissent persuader ou se persuadent eux-mêmes de choses fausses. Certains visiteurs viennent en ayant décidé qu'ils auraient des réponses, et même pour les plus obtus d'entre eux quelle serait celle-ci ! Peu importe le symbole présenté, ils trouveront le moyen de l'utiliser pour justifier leur croyance...
Grotto nous ramène au monde avant Platon, avec un univers en forme inverse de l'allégorie de la caverne : ici les hommes descendent au fond de la grotte pour chercher la connaissance dans les ombres et les symboles, on se croirait presque sur le Youtube du monde moderne, entourés des platistes, créationnistes et autres antivax.

Je n'ai fait le jeu qu'une fois, et je ne connais pas le degré de variation du jeu sur plusieurs runs que j'estime faible. Sans doute équivalent à un titre comme le Walking Dead de Telltale avec des modifications légères d'un run sur l'autre et certains choix qui n'en sont pas vraiment. Le fait que la mystification soit au cœur du propos rend cela plus impactant ici. Globalement l'aventure se laisse suivre agréablement grâce à l'esthétique unique et au soin apporté à la bande-son du jeu. Il y a toute une cohorte d'animaux anthropomorphiques attachants, doublés par des drumlines [avec un personnage meta, le barde, qui réalise sa propre drumline sur des tambours pendant qu'il parle !]. Bref, je suis rentré très facilement dans l'aventure.

Au final, j'ai adoré Grotto pour sa sombre et passionnante histoire de prophéties et de croyances, et pour sa forme minimaliste et attachante, mais je l'ai détesté pour ce qu'il est niveau gaming : une expérience interactive et narrative en first person, sans le moindre système de jeu.