On ne va pas se mentir, un bon gros no brainer de temps en temps, ça décrasse : marteler frénétiquement un pad afin de répandre membres et hémoglobine dans la plus grande décomplexion a quelque chose d’apaisant. Arme de prédilection du genre, la tronçonneuse a donné lieu à des bains de sang épiques, du pixelisé mais séminal Doom à la démonstration technique d’un Gears of War (et une pensée spéciale pour le chanteur d’opéra de “Running Man”). Rarement subtile, elle a surtout brillé aux mains de grosses barbouzes gonflées à la testostérone dans des univers post-apocalyptiques déjà bien avancés et, n’en déplaise à Butch Coolidge (Pulp Fiction), la tronçonneuse reste plus efficace qu’un katana.

Avec son oxymore, Lollipop Chainsaw annonce clairement la couleur : du sang oui, mais du sang mignon et sexy. Goichi Suda s’est fait remarquer dans le jeu vidéo par son approche expérimentale du gameplay avec des titres aux concepts toujours un peu cérébraux (de la schizophrénie de “Killer 7” au suréaliste “Flower, Sun And Rain” en passant par les premiers pas des périphériques Wii sur “No More Heroes”). Dans un monde vidéoludique porté plus que jamais par la maladie de la suite et du recyclage, ses tentatives n’ont pas manqué d’attirer l’attention et la curiosité des joueurs, toujours aussi divisés par son travail.

Cet amateur de démonstrations de violence a choisi cette fois de faire appel à James Gunn pour écrire son script, comptant sur ses expériences réussies sur Land of the Dead (2004) ou Super (qu’il a aussi réalisé) mais en oubliant peut être qu’il a également commis celui de Scoobidoo. Ils décident donc de donner vie à Juliet Starling, cheerleader émérite de son lycée de San Romero. Juliet est charmante. Juliet n’est pas très pudique malgré ce qu’elle vous dira quand vous déplacerez la caméra pour essayer de regarder sous sa jupe. Et Juliet a surtout un sacré grain. Issue d’une famille de chasseurs de morts-vivants, elle semble avoir une consommation d’extasis qui aurait fait pâlir Eminem à sa grande époque. Et bien évidemment, c’est à cette blonde hystérique que sera confiée la tronçonneuse pendant les quelques niveaux de l’aventure.

Dès l’écran de menu, les mecs de Grasshopper ont décidé d’y aller à fond dans le kitch coloré. Après s’être fait agressé par quelques instructions en Comic Sans MS, on découvre ce qui sera l’identité de Lollipop Chainsaw : un mélange ultra bariolé, de comics underground, de pop art de rock de vilaine fille (c’est Joan Jett qui nous accueille en reprenant “Cherry Bomb”). Il faudra bien ça à Juliet pour survivre à son anniversaire qui tombe pile le jour où les morts ont décidé de refaire surface. Doux Jésus, que de malheurs.

Malgré le choix de l’auteur du script et l’hommage balourd à Papy Romero, les zombies s’avèrent n’être au mieux qu’un prétexte, au pire une tentative pas très subtile d’appâter le chaland. Le zombie est branché messieurs dames, il est cool, il est hype et il permet de dédramatiser un peu le massacre. Ajoutez à ça une sotte courte vêtue armée d’une tronçonneuse et on a presque l’impression de lire le fantasme du gros ingénieur réseau de ta boite, celui qui persiste à vouloir avoir un catogan malgré sa calvitie et accrocher ses clés à sa ceinture. De quoi rendre un peu méfiant quant au produit fini.

Apparemment très “inspiré” par le gameplay de “No More Heroes” (en moins riche, 10 ans après !), le soft a néanmoins le charme des jeux d’arcade SEGA et CAPCOM de la fin du siècle dernier et on a l’impression de retrouver sa Dreamcast pour prendre sa dose d’action “vintage”. Sauf qu’on n’est plus en 1999 et que dans le registre “rail beat ‘em all à héroïne sexy”, la concurrence est rude.

Malheureusement, Juliet n’a pas la souplesse ni la réactivité de Bayonetta. Trois boutons pour les coups, un bouton d’esquive et des combos hyper simplifiés ne demanderont pas énormément au joueur mais ne lui apporteront pas grand chose non plus. La tronçonneuse virevolte comme un katana et y perd en puissance brute. Même en débloquant de nouveaux enchaînements, le fun peine à décoller, d’autant plus que l’absence totale de liberté (on ne peut monter sur les éléments du décor qu’aux endroits choisis par le CPU) alliée à une caméra d’un autre âge ruine toute tentative d’improvisation. Cette caméra devient d’ailleurs notre pire ennemi en cas d’encerclement : trop proche et trop basse (pour la culotte, forcément), elle aura provoqué quelques insultes à l’encontre de sa génitrice pendant la durée du test.

Si on doit continuer dans les reproches, il y en a un autre de taille : la durée de vie. Les développeurs ont intégré depuis longtemps que la course aux items et autres succès/trophées étaient devenue une carotte motivante pour le joueur et ont tout misé dessus. Encore faut-il pour cela que la rejouabilité ne soit pas qu’artificielle. Passés les 6 niveaux (et un prologue), en une soirée bien énervé ou en 2 jours en mangeant des chips, il ne reste plus au joueur qu’à… refaire les niveaux. Soit pour finir de trouver les camarades et les sucettes de notre cheerleader, soit en passant dans le mode défi qui nous propose généreusement trois types de challenges : médailles, points et temps. Aucune instruction avant de commencer, l’obligation de se refaire les loadings des cinématiques et si ce n’est les magasins qui se transforment en redoutables poussins géants tueurs, aucune différence par rapport au mode histoire. Et forcément, pas de multiplayer, même online.

Et c’est dommage, parce qu’en découvrant pour la première fois la famille Starling, on se marre bien. Les dialogues ne s’imposent aucune censure et flirtent allègrement avec le graveleux, les situations sont toutes plus allumées et/ou stupides les unes que les autres et la bande son a le mérite d’être efficace (tout juste regrettera-t-on l’absence de Britney). Par exemple Nick, le petit ami de Juliet se fera rapidement mordre par un zombie et sa dulcinée ne verra pas d’autre choix que de le décapiter pour lui sauver la mise. Dès lors, elle se baladera avec la tête parlante de son mec collée à ses fesses qu’il ne quittera que pour servir de projectile ou prendre le contrôle de corps décapités (allergiques aux QTE, soyez prévenus, ceux-là démarrent un peu vivement). Les différentes étapes du niveau avec la salle de jeu d’arcade réservent également de bonnes surprises et rappelleront de bons souvenirs aux plus vieux d’entre nous.

Malheureusement, malgré quelques fulgurances, son humour décomplexé et un certain charme désuet, il manque à Lollipop Chainsaw un petit supplément d’âme pour emporter l’adhésion. Cachés derrière la posture facile du décalage perpétuel, Suga 51 et ses équipes n’ont pas su rendre cohérent ce pot-pourri de références nerd. Même graphiquement, le jeu est incapable de rester homogène sur sa longueur : après avoir craint le pire après un prologue qui nous rappelle la richesse d’un Virtua Cop 2 (c’est dire), on se surprend à trouver les environnements et les ambiances de plus en plus réussies. Difficile de pardonner la caméra catastrophique, les bugs de collision, le gameplay sans inspiration, la narration indigente et la rejouabilité artificielle. Dans un registre assez proche (du bon gros no brainer vintage jusqu’au-boutiste avec des nichons dedans), Splatterhouse avait fait plus riche et plus réussi malgré de nombreux défauts.

Malgré tout ça, Lollipop Chainsaw a son charme et de rares qualités qui le rendent attachant : sa BO parfaitement adaptée, son irrévérence certes un peu facile, son grain de folie, sa décomplexion à être aussi limité et son parti pris graphique peuvent justifier qu’on s’y essaie. Parmi des jeux tous plus normés les uns que les autres, le dernier rejeton de Suga 51 arrive encore à se faire remarquer… mais pas que pour les bonnes raisons.
NicoBax
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le 22 juil. 2012

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NicoBax

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