Par Vincent Montagnana

L'espace... c'est quand même vachement grand. On n'y a jamais mis les pieds pour vérifier, évidemment, les seules expériences de routard galactique qu'on ait connues jusqu'ici n'ont été que vidéoludiques. Et la plus marquante d'entre elles était sans doute L'Arche du Capitaine Blood, une vertigineuse plongée dans un système de plusieurs milliers de planètes, habité, en tout et pour tout, par quelques dizaines d'aliens plus ou moins coopératifs. Trouver quelqu'un avec qui parler, dans Capitaine Blood, c'était un peu comme chercher une aiguille dans une botte de foin. C'était d'ailleurs le principe du jeu : errer sans fin dans cet océan d'étoiles, tout seul dans ce grand vaisseau si froid, en quête d'interlocuteurs susceptibles d'adresser la parole à un long bras bleu, décharné et de plus en plus parkinsonien. Un peu glauque, pas franchement chaleureux ou réconfortant, mais Capitaine Blood avait au moins le mérite d'offrir la possibilité d'atterrir sur TOUTES les planètes de la galaxie. Certes, leur surface était très sommairement modélisée : une 3D fractale filaire et monochrome assez peu accueillante. Mais à l'époque, on s'en contentait.

Aujourd'hui rares sont ceux qui oseraient refaire Capitaine Blood. Trop compliqué : les conditions d'immersion sont désormais devenues plus exigeantes, il faut bien plus qu'un relevé topographique en relief pour assouvir les fantasmes de voyages des explorateurs affalés sur leur canapé. La plupart des RPGs, japonais ou occidentaux, qui choisissent de traiter le thème du space-opera, ne prennent jamais le risque de vous lâcher tout seul dans le cosmos et optent généralement pour une progression linéaire ou semi-linéaire. La carte galactique de Mass effect sur laquelle le joueur est appelé à gérer ses déplacements est pourtant très grande - et très belle, ce qui ne gâche rien. On n'a pas vraiment compté, mais, on doit sans doute dépasser la cinquantaine de planètes. Une bonne moyenne au vu des standards actuels. Il y a même notre système solaire, oui, le nôtre, avec Mars, Vénus, Jupiter et La Terre. Lorsque l'on tombe dessus, c'est un peu comme si on rentrait enfin chez nous après un long et pénible voyage dans le vide intersidéral : la gorge nouée, on clique sur notre petite planète qui semble désormais si insignifiante. Un texte s'affiche, résumant sommairement la situation géopolitique de la Terre, deux siècles après notre ère. Et c'est tout. Impossible de rejoindre le berceau de l'humanité, et pour cause : nous n'avons rien à y faire qui puisse faire avancer l'histoire. Rien, pas même une toute petite quête annexe dans un minuscule terminal d'astroport. Et ça ne fait que commencer : la très grande majorité des planètes se refuseront à vous. Parfois, en toute logique - on se voit mal faire du trekking sur une grosse masse gazeuse -, parfois, non. Pour ce qu'il reste, il faudra se contenter de petites maps assez sommaires, aux reliefs souvent très montagneux, qu'il conviendra d'explorer à l'intérieur d'un véhicule tout-terrain à la physique surprenante, façon boîte de conserve montée sur ressorts. Quelques bidules à collectionner pour faire du rab' de points d'expérience, de rares bâtiments, tous basé sur un nombre incroyablement réduit de gabarits d'architecture, une petite quête annexe par planète, plus ou moins bien écrite, et vous aurez fait le tour du propriétaire.

Il faut bien se rendre à l'évidence, Mass effect nous a escroqué. Sa grande et belle carte cosmique n'est qu'un leurre. Pire, Mass effect nous a menti. Evidemment, la plupart des jeux vidéo mentent. Ils n'ont pas le choix. Leurs concepteurs ne sont pas des démiurges, ils ont des limites à leur imagination et à leur capacité de produire des décors de plus en plus détaillés. Le problème, c'est que Mass effect ment très mal et foire complètement son aspect « routard galactique ». C'est regrettable, mais s'attarder sur ce genre de considération nous ferait prendre le risque de passer complètement à côté des objectifs qu'il s'est fixé. Ses enjeux sont principalement cinématographiques. Et, comme dans de nombreux RPG occidentaux, ils sont aussi littéraires. Ne cherchez plus le BioWare des Baldur's gate, il est mort avec KOTOR, première incursion du studio dans le monde du RPG mixte, mi-PC, mi-console. Les yeux sans doute rivés sur une bible Star wars, les créatifs de BioWare ont pu, avec cette première expérience multi-supports, se faire la main sur un type d'oeuvre plus soucieux de son développement narratif, dans lequel propositions de gameplay et recherches de mise en scène tentent de faire jeu égal.

Attention, gros mot : BioWare a voulu, avant tout, raconter une histoire. Rien d'inédit, en effet, ou de particulièrement remarquable dans ce que propose Mass effect au niveau du gameplay. Le système de levelling reste très conventionnel : à chaque passage de niveau, on répartit quelques points parmi diverses compétences, en espérant débloquer de nouvelles aptitudes. Comme dans KOTOR, les XP sont répartis équitablement entre tous les personnages, y compris ceux qui ne font pas partie de l'équipe active. Une marque de fabrique, une méthode qui évite au joueur de subir les affres des dilemmes à répétition - quel(s) personnage(s) privilégier ? -, mais qui le prive du plaisir de faire des choix, une composante essentielle du moteur de n'importe quel RPG qui se respecte. La gestion de l'équipement paye le prix de sa relative complexité (quatre types d'armes, armures, divers mods d'armes et d'armures...) par un certain désordre, un inventaire qui peut rapidement frôler l'asphyxie si le joueur n'a pas la présence d'esprit de revendre régulièrement son surplus d'objets. Les mécaniques du jeu sont solides, dénotent d'une indiscutable compétence et expérience dans le genre, mais sans éclat ou véritable idée forte. Si ce n'est du côté du système de combat qui, dans la lignée de KOTOR et de Jade empire, sonne définitivement le glas des affrontements au tour par tour. Choix risqué, BioWare s'essaye au third person shooter, dont les mécaniques et les gimmicks évoquent ostensiblement celles du récent Gears of war : shaky cam derrière l'épaule du joueur, possibilité de se mettre à couvert, alliés plus ou moins autonomes... Les temps de rechargement, les pauses pour changer d'arme ou lancer un sort rappellent Mass effect à sa condition de RPG. Et le mettent à l'abri d'éventuels reproches sur sa maniabilité un peu pataude et une gestion de l'IA relativement sommaire. Les ennemis ici ne sont en effet ni très vicieux ni très malins, ce sont des ennemis de RPG, de la chair à canon pour engranger des points d'expérience, qui se jettent sur vos rayons lasers avec l'entrain d'un conscrit de 14-18 élevé dans la haine du boche. (...)

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Chro
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le 29 août 2014

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