OlliOlli
6.5
OlliOlli

Jeu de Roll7, Devolver Digital et Curve Digital (2014PS Vita)

S'il y a un genre que n'a pas encore complètement dévoré la scène indé, c'est bien le sport. Il faut dire qu'il n'est pas évident de retranscrire, avec peu de moyens et des graphismes simples, les sensations (et, le cas échéant, le réalisme) de disciplines réelles. C'est en tous cas ce que tend à prouver l'histoire du jeu vidéo, qui, à une poignée d'exceptions près (Sensible Soccer, Mario Tennis), a du attendre le passage à la 3D avant de pouvoir proposer des jeux de sport dignes de ce nom. C'est d'autant plus vrai pour les jeux de skate, qui ne se sont révélés qu'avec Tony Hawk's Skateboarding sur PlayStation à l'aube de l'an 2000. Avant la série de Neversoft, quelques ambitieux s'étaient essayés à la discipline, souvent en s'y cassant le nez, rarement en osant se concentrer sur la dimension sportive. On peut ainsi recenser Skate or Die d'Electronic Arts, du même Electronic Arts qui, vingt ans après, sortirait... Skate, vision autrement plus aboutie de ce sport urbain sous-représenté en jeu vidéo.

Du coup, voir arriver le studio inconnu Roll7 avec le non moins inconnu OlliOlli a de quoi laisser dubitatif : du skateboard en 2D, on a vu ce que ça pouvait donner, non merci, au suivant. Sans compter que l'indie fag mafia commence vraiment à nous taper sur les nerfs, notamment sur consoles PlayStation où l'éditeur Curve s'est récemment chargé d'adapter en rafale une poignée de jeux plus ou moins sympas (Proteus, Thomas Was Alone, Lone Survivor, on en passe et des brouettes), les agrémentant au passage d'une traduction affreuse pour 10 euros l'unité. Le souci, c'est que comme on est sur Vita, qu'on a souvent des promotions sympa et qu'il faut bien lui donner à manger, la pauvre, on se laisse tenter quand même par OlliOlli, tout prêt à lui défoncer sa race, l'esquisse d'un sourire goguenard au coin des lèvres. Un jeu de skate en 2D : mais oui, bien sûr, voyons voir ça.

Il y a bien quelques trucs qui énervent à peu près directement : le temps de chargement initial qui prend trois plombes, les menus non navigables aux boutons, l'habituelle traduction confiée aux bons soins d'un roumain presbyte et analphabète. Miam, miam. Le tuto, étape obligée, rassure toutefois un peu. Plus de temps de chargement passé celui du lancement du jeu, une certaine intuitivité dans les commandes, un bon répondant, une ambiance graphique et sonore lisible, claire et plein de petites attentions quand il s'agit de récompenser le joueur. Et les récompenses, elles, se méritent. OlliOlli est ridiculement facile à prendre en main, partant de l'idée brillante d'assigner seulement deux boutons à l'action. Le stick gauche sert à précharger, à sauter et à effectuer la figure. Le bouton X sert à atterrir et à accélérer quand on est au sol. Tous les autres boutons, à l'exception d'une gâchette droite qu'on ira titiller un peu plus tard, ne servent à rien. C'est tout, et c'est très clair. L'objectif du jeu est dès lors d'atteindre la fin du niveau en sautant aux bons endroits, en atterrissant convenablement et en plaçant un maximum de tricks entre le départ et l'arrivée.

La prise en main est plutôt séduisante, évidente, mais demandant une certaine précision qu'on acquiert au fil des parties. L'affichage extrêmement fluide et la précision des commandes analogiques permettent des prouesses qu'on aurait sans doute pas pu connaître il y a vingt ans : on admettra qu'OlliOlli, malgré son air old school, est un jeu assez actuel, qui n'est vieillot que dans sa palette de couleurs limitée. Il joue à un tout autre niveau que Skate or Die, dont on parlait plus haut. Après quelques gamelles, on apprend à doser ses sauts, à gérer sa vitesse (modulable grâce aux grinds) pour faire les plus gros combos possibles. Le level design est d'une grande qualité, tout en progression fluide, commençant dans le facile pour finir, dans les derniers tableaux, dans des feux d'artifice de hardcoritude débridée et délicieuse. L'autre bon point du jeu, c'est de comporter plusieurs degrés de défi que le joueur choisir à sa guise. De l'objectif initial d'atteindre la fin d'un niveau, souvent simple, mais pas tant que ça (gamelle interdite : il faut éviter les obstacles et et gérer ses atterrissages), on passe aux défis (cinq par niveaux), généralement malins, originaux et variés. Quand on a réussi tous les défis d'un niveau (peu importe qu'on se soit viandé avant la fin ou qu'on recommence, sa réussite est sauvegardée), on déverrouille un niveau Pro qui comporte des défis beaucoup plus balèzes et dont la maîtrise ouvrira l'accès à un ultime niveau déglingos. Le premier monde (sur cinq) se complète à 100% sans trop de douleur. Pour les autres, il va falloir batailler sec.

Le truc chouette avec OlliOlli, c'est qu'on a rarement envie de s'arrêter, et qu'un échec n'en est jamais vraiment un. Avec sa pléthore de défis associés à chaque niveau, se rater quelque part laisse généralement la possibilité de réussir autre chose dans la foulée. Le fait même de se viander, qui met fin au niveau, n'est pas très pénalisant puisqu'on reprend aussitôt au début du niveau, sans temps de chargement et sans temps mort. L'habillage lui-même est très ergonomique, conçu pour que le joueur ne poireaute jamais, qu'il n'ait jamais l'impression d'avoir foiré. OlliOlli laisse rarement à la frustration le temps de s'installer, car son rythme effréné et ses multiples défis à la difficulté hétérogène donnent envie de continuer à jouer même après des gamelles à répétition. Et, bien sûr, c'est technique, assez fin dans l'approche, ça délivre de bonnes sensations, de bons feedbacks ; le système de score, pensé avec simplicité et efficacité, encourage à tenter les audaces les plus folles, qu'il récompense par des envolées de multiplicateur franchement jouissives.

Le style épuré de l'image et du son fait merveille, remisant au placard toute prétention arty pour donner la priorité à la lisibilité de l'action. Le plus drôle, c'est qu'en fait, OlliOlli est plutôt beau, avec son style simple et percutant. Les animations du skater sont sympa, les musiques d'ambiances, discrètes, font mouche. Les bruitages, eux, ont la patate, traduisant brillamment ce que l'image ne saurait faire à elle seule, avec des sons secs et réalistes, lesquels, couplés aux quelques effets que se permet le jeu pour illustrer les exploits du joueur, savent installer une ambiance vraiment percutante sans être agressive. Tout cela forme un ensemble cohérent, réfléchi, admirablement bien balancé, qui donne envie de s'entêter toujours plus dans la quête du high score et du combo qui tue. Si, après avoir vraiment avancé, il faut admettre que la difficulté commence à devenir sérieusement abusée, les développeurs ont aussi prévu un petit bonus qui a un goût de reviens-y : le défi quotidien, qui se déroule généralement sur un niveau tout en vitesse, où l'on a droit à des essais gratuits infinis mais à une seule participation où le score sera comptabilisé. On y hurlera souvent, de bonheur ou de rage. Et on admettra, in fine, à Roll7 une incontestable victoire : celle d'avoir produit un jeu en 2D dont la simplicité technique n'est pas une fin, mais un moyen. Si plus de développeurs partageaient cette philosophie, la scène indépendante contemporaine se porterait sans doute beaucoup mieux.
boulingrin87
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le 11 avr. 2014

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