Pentiment c'est super. En pleine renaissance, un artiste (vous) débarque dans un bled de Bavière pour y terminer son chef-d'oeuvre de compagnon, et se retrouve mêlé au meurtre d'un baron local, premier événement d'une long engrenage de violence et de complot.
Autant le dire tout de suite, le jeu ne brille pas particulièrement par son aspect mécanique. Le gameplay est simple, voire simpliste, et n'est qu'une amélioration du bon vieux point & click des familles. Armé d'un journal qui vous rappelle quoi faire et où aller, Pentiment se montre assez dirigiste.
La vraie réussite du jeu se trouve dans sa narration. Dans une période trouble agitée par la réforme luthérienne, Pentiment plonge le joueur dans un environnement unique, et offre une perspective assez rarement proposée au grand public d'une fin de moyen-âge chatoyante et diverse, assez loin des clichés habituels ressassés dans les films et les séries télé "d'époque", GoT y compris.
Tassing, la petite ville où se déroule l'intrigue, devient vite un endroit aussi familier et chaleureux que claustrophobe et inquiétant, déchiré entre envie de changement et respect des traditions et de la foi catholique . Au milieu de tout ça, on se prend facilement au jeu et on s'intéresse vraiment à la vie rude et ordinaire des moines et des paysans.
Pentiment est un thriller interactif plus qu'un véritable jeu d'enquête, et penche clairement plus du côté de Disco Elysium (dont il emprunte de nombreuses mécaniques narratives) que de Return of the Obra Dinn ou Paradise Killer.
Grâce à une intrigue très bien rythmée et un son sound-design impeccable, Pentiment réussit à mettre en scène ses moments de tensions de la meilleure manière pour créer une expérience de jeu saisissante.
Bien sûr, on sent facilement l'absence de profondeur des embranchements de dialogue, et on comprend vite que les quelques éléments de backgrounds que l'on offre à notre personnage ne sont qu'un artifice pour que le joueur s'identifie mieux à Andreas Maller, l'artiste que vous incarnez. Mais finalement, ça marche. Le jeu fait le nécessaire pour encourager le joueur à jauger correctement la personnalité de ses interlocuteurs et à choisir ses mots avec soin pour ne pas voir les portes se fermer devant lui. On ne peut s'empêcher de se demander ce qui se serait passé si l'on avait fait différemment, un questionnement lui même au cœur de la personnalité de notre avatar.
La récompense de tout ça : le plaisir de vivre une belle aventure riche en rebondissements et en émotions douces-amères, et la satisfaction d'avoir élargi ses perspectives (et dans une certaine mesure, sa culture) sur une période assez méconnue pour qui n'a pas fait d'études spécifiques sur le sujet.
Bref, si vous cherchez un thriller interactif et que vous êtes prêt.e.s à passer outre un gameplay un peu raplapla, Pentiment devrait faire le job.
/!\ Les spoilers contiennent aussi des spoils de Disco Elysium.
Comme évoqué précédemment, le jeu emprunte beaucoup à Disco Elysium. La mécanique de compte à rebours dans l'enquête, les "pensées" du protagonistes qui orientent nos choix de dialogue ou même l'ambiance sonore naturaliste sont des emprunts directs au jeu de ZA/UM.
Pour autant, j'ai trouvé le dénouement de l'enquête bien plus satisfaisant que celui de DE. Disco Elysium mène le joueur par le bout du nez pour lui raconter une histoire de vieux soldat obsédé par une jeune fille, soldat que l'on ne rencontre qu'à la toute fin du jeu. A l'époque de ma 1ère run de DE, j'avais trouvé ce dénouement désagréable et artificiel, car il retirait au joueur le sentiment d'avoir résolu l'enquête lui même. La zone de fin de jeu n'est jamais accessible avant la fin du jeu, l'existence du sniper n'est jamais mentionnée avant la conclusion et il n'y a jamais aucun moyen de la deviner ou de la déduire, et encore moins la raison qui l'aurait poussé à agir.
Pentiment place le(s) coupable(s) immédiatement sous notre nez. Père Thomas et Amalie sont là depuis le début, et si les phases d'enquête n'offrent jamais la possibilité de le suspecter, ses raisons d'agir elles, sont omniprésentes. Le jeu ne fait aucun mystère de la présence romaine, ni de l'analogie entre les saints locaux et les dieux romains. Les pieds de Saint Moritz évoquent clairement la statuaire gréco-romaine, et le sanctuaire de Satia présente une image facilement reconnaissable de Diane Chasseresse. Le fait que le Baron s'attire les foudres de l'abbé en évoquant la réforme offre au joueur la possibilité de comprendre que l'enquête tournera autour des enjeux de pouvoir relatifs à l'Église (par l'entremise de l'Abbaye), et la question du paganisme, fréquemment évoquée dans le soft, rentre évidemment dans cette problématique.
À titre personnel, j'avais parié sur le fait que Gertrude, l'une des sœurs les plus cultivées et seule capable de produire des encres et des pigments soit la coupable, pour avec un motif assez similaires à celui évoqué par le Père Thomas. À ce titre, la résolution de l'enquête m'a paru beaucoup plus organique que dans Disco Elysium et ceci est définitivement à mettre au crédit de Pentiment.