Il est des arlésiennes dont on entend parler. D’autres moins, mais la plupart sont à associer, dans le domaine du FPS, au flou producteur 3D Realms qui entretient depuis des années, avec la série « Duke Nukem », une image d’indépendant mystérieux et sûr de lui. Si cette arrogance lui a parfois coûté cher, il faut lui reconnaître le talent à dénicher puis à revitaliser les projets les plus désespérés dont l’industrie du jeu vidéo a le secret ; Prey, surgi d’outre-tombe, marquera par sa personnalité unique l’histoire du FPS moderne. Quand a été développé Prey, pour qui ? Questions complexes dont les réponses sont à chercher dans la frange la plus hardcore d’une certaine catégorie de joueurs/développeurs obsédés par leur passion. Prey appartient d’abord à la génération Unreal, celle qui s’est levée avec l’engine du même nom, qui a pris conscience de la toute-puissance de la texture métallique et de la nécessité de faire des jeux avec des environnements futuristes. Bien que le titre ait été développé avec son propre moteur maison, il transpire, par tous les pores de sa cotte de mailles sur-shadée, une envie d’en mettre plein la vue typique de l’époque de l’avènement d’une série de middlewares (Unreal Engine donc, mais aussi Havok et Cry Engine) restreints à leurs débuts à des productions ciblées geek. Mais le titre revendique aussi son appartenance à une génération encore un peu plus ancienne dont l’extinction progressive est à mettre sur le compte de la montée en puissance des consoles, une génération d’amoureux du game design, doués d’une large expérience de joueur comme de créateur, qui ne demandent qu’une chose : aller toujours plus loin dans l’ambition et l’originalité du concept – en restant cependant dans des carcans connus, intemporels comme le FPS en fait partie. De cette descendance complexe, Prey retire d’abord une personnalité unique. Comme Portal, Prey étonne et semble vouloir redéfinir les bases d’un nouveau gameplay à la première personne ; comme lui il veut impressionner par des techniques nouvelles. La différence fondamentale entre les deux jeux reste néanmoins que Prey ne cherche pas à faire réfléchir le joueur : simplement le promener à sa guise pour l’impressionner, entre un système de portails (que le joueur ne pose pas) et un jeu factice mais perpétuel avec la gravité et la dimension. Tout tient souvent, alors, dans les artifices de mise en scène (caisse qui tombe dévoilant un passage vers un nouveau monde au fond d’elle-même, maquette miniature sur laquelle on se téléporte…).


Prey, c’est un reproche qu’on peut lui faire, reste en surface. Le plaisir qu’il a à dispenser peut souvent être ramené au plaisir de la découverte, à la curiosité de voir par quelle manière game et level designers vont prendre les commandes d’un niveau pour en faire ce qu’ils veulent. Mais l’ingéniosité n’est pas seule : aux antipodes de la désincarnation du trip Portal, le titre de Human Head Studios cherche l’épique en toutes circonstances. Prenant pour prétexte le kidnapping d’un humain dans une base d’extraterrestres belliqueux, il lorgne du côté d’ « Independence Day » autant que d’une vision un peu plus personnelle, étonnamment, de ce QG alien tentaculaire et de ses occupants viscéralement méchants. Rien n’est neuf, mais il faut souligner la crédibilité du monde posé malgré de nombreux morceaux tout entiers voués au trip ludique ; saluer l’immersion (le mot est bête mais vrai) qu’il offre au joueur dès le début en le plaçant au cœur de plusieurs séquences narratives d’un bar paumé sur Terre jusque dans la vase organique des bas-fonds d’un vaisseau alien. La scénarisation réussie de Prey, qui projette le joueur vers un destin authentiquement épique sur les partitions non moins héroïques de Jeremy Soule (la série « The Elder Scrolls »), fait partie des carottes qui tiennent en haleine tout du long. La qualité de l’ambiance, l’horreur parfois limite kitsch mais toujours convaincante des situations (variées) rencontrées dans l’espace présagent de ce qu’auraient pu être des titres comme Dead Space s’ils avaient osé être esthétiquement plus libres et rentre-dedans ; l’incrustation du quotidien humain dans le gigantesque vaisseau extraterrestre donne lieu pour sa part à d’étonnants moments de grâce (image saisissante de ce bus scolaire, aux feux stop encore allumés, pris dans la membrane rosâtre du vaisseau alien). Pour un jeu vidéo, pour un FPS a fortiori, Prey a une belle, parce qu’osée et personnelle, conception de la science-fiction. En termes ludiques, les plus critiques pourront reprocher au titre une certaine hésitation à donner libre cours à ses délires les plus fous. Les ateliers sont davantage prévus pour impressionner que pour faire réfléchir ; en résulte une sensation d’être sur des rails que Prey n’est cela dit ni le premier, ni le dernier à délivrer. Plus étonnant, l’impossibilité qu’a le héros de mourir, choix de design à l’avant-garde de la tendance de cette génération, pourra froisser les geeks ciblés par le jeu ; il s’intègre cependant assez bien à l’univers. Le principal est qu’il parvienne à traduire la démesure des technologies illustrées, et sur ce point, le titre de déçoit pas, menant le joueur de surprise en surprise. On regrettera donc une vraie tare, plus ennuyeuse : le manque de peps des armes, ainsi que leur design parfois discutable, comme si on tenait là un jeu développé par d’anciens transfuges de la 2D peinant à envoyer les mêmes sensations en 3D. C’est pourtant là l’un des écueils à tolérer si l’on veut profiter de la magie de Prey, véritable FPS mutant doté d’une personnalité hors norme. Une discrète révolution, qu’on aurait simplement aimé encore plus jusqu’au-boutiste.

boulingrin87
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le 11 sept. 2012

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Seb C.

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