Printemps, été, automne, hiver... et printemps

Critique publiée sur Kultur & Konfitur.


Comment choisit-on son jeu ? Un trailer ? Un pitch, un scénario ? Des screenshots ? Un suivi de développement et la lecture de previews ? De ces propositions qui en cachent d’autres, l’aspect visuel du produit VIDEOludique est sans doute l’approche la plus rapide, la plus accessible, un premier contact, bien avant les sensations manettes ou souris en main. Pas que ce soit l’apanage du jeu vidéo, d’ailleurs, le cinéma ou le jeu de société en sont d’autres exemples. Photoréalisme, pixel art, BD mouvante, tableaux animés, film d’animation jouable, la direction artistique doit accrocher le joueur-consommateur avant de le convaincre par son contenu. Avant de servir le propos, l’image est là pour faire acheter ou du moins essayer. Attirer l’œil peut passer par une politique du toujours plus, une proposition familière et qui apporte immédiatement un certain confort cotonneux, ou par quelque chose de moins conventionnel, qui va attiser la curiosité et intriguer. Si cette réflexion peut s’appliquer à tout produit de l’industrie, elle a une place particulière dans le milieu indépendant. Pour se démarquer des milliers de sorties inconnues, avoir un jeu frappant visuellement devient incontournable, quelle que soit la direction vers laquelle on se dirige. Et malgré des outils parfois abordables, les développeurs ou éditeurs ont en général moins de moyens que pour ce qu’on appelle couramment un triple A, et ce qui va dans la direction artistique et la communication visuelle ne vont pas ailleurs. On constate qu’il y a même une patte « indé-fauché », à base de minimalisme, de retour aux sources ou de choupi-mignon, qui peut permettre à certains titres de faire un carton auprès des acheteurs. Les éditeurs plus fortunés, au vu de cette niche qui prend de l’ampleur, n’hésitent plus à proposer des produits « indé-like », qui s’ils ne bénéficient pas d’une équipe ou d’un budget aussi important que pour les plus grosses productions, n’ont pas non plus grand-chose à voir avec le pauvre type et son pote qui bossent dans leur garage après leur journée de travail.


Longue intro, hein ? Oui, mais c’est parce que Seasons after Fall, justement, se place dans cette catégorie du mignon tout plein qui t’en mets plein la vue et que du coup tu te dis : « oh c’est tellement beau et original je vais me le prendre ». Le titre a de plus été développé par une boîte montpelliéraine, Swing Swing Submarine, fondé par d’anciens employés d’Ubisoft Montpellier, qui ont auparavant mis au monde Blocks That Matter et Tetrobot and Co., dans l’ensemble plutôt bien accueillis par le public et la critique. On a donc un petit studio franchouillard qui propose un truc chou, tout est réuni pour attirer le chaland, encore plus s’il est du pays de Nicolas Dupont-Aignan, qui n’aurait pas manqué d’affirmer que oui, la France, nos forêts et nos rivières, tout ça. Pas que le regard critique ne doive être insensible à la géographie d’une œuvre, qui peut expliquer bien des choix, mais pas à tout prix et dans toute circonstance. Bon avouons-le, c’est quand même conquis par la direction artistique que j’ai acheté Seasons after Fall, espérant, le passif de Swing Swing faisant foi, qu’il y aurait plus que ça et que ces choix ne seraient pas que poudre aux yeux.



Forêt gaulée



Pour aller plus loin qu’un « oh c’est mignon », il est nécessaire que les images entrent en résonance avec ce qu’elles entourent. Le développement doit nécessiter des allers et retours entre proposition artistique et création du jeu et de son gameplay. Difficile parfois de dire ce qui vient le premier, les deux éléments avancent souvent de pair, l’un influençant l’autre et y apportant un autre regard. Le jeu est en construction depuis au moins 2009, si l’on en croit les premières images « bonus » que l’on peut débloquer dans le jeu, avec déjà un renard à l’écran. Car dans Seasons after Fall, c’est bien un goupil que vous incarnerez. Une graine se lie à lui de manière plus ou moins volontaire, et lui impose d’aller réveiller les gardiens de la forêt, au nombre de quatre : l’ours, l’anguille, la grue et la cigale. Ces gardiens sont les maîtres des saisons, et à chaque réveil, il vous donnera le pouvoir de convoquer la sienne, votre renard concurrençant Marty McFly sans besoin de DeLorean. Pour arriver jusqu’à ces gardiens et faire revivre cette belle forêt, le titre se base sur les mécanismes simples et follement innovants du jeu de plateforme. Foxy peut sauter et s’accrocher pour avancer. C’est tout ? Presque, car c’est là qu’interviennent les saisons, que vous pouvez changer à la volée dès que vous avez éveillé le gardien correspondant. Les conséquences sur le paysage se feront immédiatement remarquer, vous donnant accès à des endroits où vous ne pouviez aller auparavant, avec un côté metroidvania qui renouvelle les seulement quatre zones principales que vous aurez à explorer, formant un X à partir du sanctuaire de départ. L’hiver vous transformera en renard Jésus capable de marcher sur l’eau (gelée, faut pas abuser), certains jets sortant du sol et créant de nouvelles plateformes, l’automne fera voler des feuilles et pousser des champignons sur lesquels vous pourrez sauter, le printemps fait pousser les plantes et monter l’eau, tandis que l’été fait s’ouvrir de nouvelles plantes, parfois rebondissantes, et j’en passe. Pour arriver au bout de votre aventure forestière, il faudra parfois user d’un peu de jugeote pour savoir quelles saisons appeler, et dans quel ordre. Mais cet aspect puzzle est somme toute assez limité et ne bloque jamais le joueur, en dépit de quelques passages qui demandent plus d’investissement et de promenade, à la rencontre de lucioles taquines. Mais dans l’ensemble, même pour les complétistes qui voudraient trouver toutes les fleurs pour débloquer tous les extras, rien d’insurmontable, ouvrant le titre à un public somme toute assez large.



Seed Vicious



Cette audience familiale, c’est aussi cette fameuse direction artistique qui la permet. J’en parlais avec une forme d’ironie quand elle ne sert qu’à appâter le pauvre joueur qui se promène sur la bibliothèque Steam, elle est ici en parfaite cohérence avec le propos et les visées du jeu. On pourrait en parler comme d’une espèce de variation niaiseuse pseudo-écolo qui nous affirme que la-nature-c’est-cool-et-que-les-animaux-sont-nos-amis-il-faut-donc-les-aimer. On entre finalement plutôt dans le conte initiatique, et tout au fil de ma partie, je m’imaginais cette histoire touchante comme un album jeunesse que l’on pourrait tout à fait lire en classe ou avant de dormir à ces petits monstres qui ne méritent décidément rien de si tendre. Attention, comme tous les bons contes, cette accessibilité n’exclut jamais l’adulte qui la lit ou qui la vit. La comparaison a souvent été faite avec les films d’Hayao Miyazaki, et il y a clairement de ça dans la simplicité pure dans Seasons after Fall, même si d’un point de vue purement visuel on s’éloigne de cette animation Ghibli au profit, encore une fois, des plus belles productions de ce qui existe dans la littérature jeunesse. La rencontre avec les différents gardiens est un des multiples moments d’émerveillement, animaux à peine organiques, quasi-abstrait se rapprochant de l’idée d’animal-totem-esprit plus que de créature animale. Chaque parcelle de la forêt que vous arpentez a été peinte à la main, dans des couleurs chatoyantes dans lesquelles on se perd et on se promène parfois dans le seul but de les contempler. Il faut aussi évoquer les voix qui nous narrent ce conte, avec des choix de doublages d’une qualité rare, assurés par Adeline Chetail (la voix de la graine, qu’on a entendu dans de nombreux films Ghibli) et Vincent Grass (l’un des gardiens, mais aussi le Gimli et le Sylvebarbe français, l’agent Smith ou Robert Baratheon). On ne peut que saluer les choix de Swing Swing Submarine et pour le coup, il faut bien admettre que leur situation géographique a fort bien pu jouer sur ceux-ci.


Pour accompagner cette douce histoire, c’est un quatuor à cordes qui a la charge de fournir l’émotion musicale. Les cordes, c’est le risque de l’émotion forcée, à laquelle succombe parfois Austin Wintory (Journey, Abzû…), et que l’on peut retrouver dans Seasons after Fall par instants. Mais l’ensemble fonctionne sur une forme de continuité qui n’exclut pas quelques pics, mais ne les généralise pas non plus. Les nuances se font par touches, passant de la légèreté à quelque chose de parfois bien plus sombre, le tout là-aussi toujours à propos et en lien avec ce qui se passe à l’écran et dans la tête du joueur.


Seasons after Fall est une réussite artistique. Il est terriblement attrayant et donne envie de se rouler dans les fleurs avec le rusé en ébouriffant ses poils roux. Mais ce qui fait du titre de Swing Swing Submarine, c’est qu’il n’est pas que ça, qu’il propose un ensemble qui tient la route et dont les éléments se soutiennent. Les mécaniques simples ne proposent jamais un challenge frustrant ni bloquant, mais accompagnent votre progression et la renouvellent sans cesse. Vous passerez par les mêmes paysages, cette forêt qui fourmille de sons et de vie et que vous apprendrez à connaître dans chacune des saisons. Pourtant vous y découvrirez de nouveaux chemins à chaque fois, pendant les quelques heures que durent votre aventure dans les bois. Sur la fin, on constate bien sûr une forme de répétitivité, une difficulté à renouveler les quelques éléments qui composent le jeu, mais ça tombe bien, c’est juste là que ça finit. Seasons after Fall fait partie de ces productions qui ont tout juste la bonne durée et appuient l’idée qu’il n’y a pas de jeu trop court ou trop long, mais un temps de jeu qui doit être cohérent avec la proposition globale. Et puis même si certains allers-retours peuvent devenir redondants, le plaisir de déambuler dans ces tableaux pastel suffit à en gommer la vacuité. Seasons after Fall était sûr d’être vanté pour ses choix artistiques et d’être cité comme un très beau jeu. Il se paye le luxe d’être en plus un bon jeu, qui parvient à assembler ses différents éléments pour coudre un pull uni bien confortable qui a accompagné mes soirées d’automne sans qu’aucune maille ne vienne me gratter de manière désagréable.

Flavinours
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le 3 oct. 2016

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Flavien M

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