Disclaimer : Cette critique ne s'adresse qu'aux personnes capables de terminer le jeu en mode normal. Plusieurs centaines d'animaux ont été massacrés pour la rédaction de ce texte et ceci dans la joie et la bonne humeur. Si vous n'avez pas toutes les références, n'hésitez pas à rejoindre le culte des Souls, plus d'infos sur le site info-sectes.org.

Quand le loup est pris, tous les chiens lui lardent les fesses



Début des 80’, un terrible accident domestique voit un brave ouvrier italien constater le kidnapping de sa bien-aimée par son singe de compagnie. Parti lui-même à sa recherche, il déclarera après résolution de l'affaire au NY Times "Savoir sauter ça change la vie". Près de quarante ans plus tard, un jeune français dopé au combat de boss sans vaseline et fervent adorateur du soleil pose triomphalement sa manette et s'exclame " Mamma Mia ! Il avait raison ! ". Le saut devient ici symbole de liberté mais surtout douce expression de la réconciliation d'un avatar avec la gravité.


Au Japon féodal, les rares chutes se font sans bruits, la douloureuse agonie du chasseur s'enfonçant dans les abysses du cauchemar ne résonne pas jusqu'aux terres d'Ashina et ce n'est pas un mal pour notre tranquillité d'esprit. Dans Sekiro, on tombe et on se relève, certains parlent de résurrection, d'autres de casualisation, au moins plus personne ne parle de Darksoulisation. Toujours est-il que cette sensation de stress ultime ressentie quand vous frôlez l'arythmie au beau milieu d'une réunion de monstres m'a parfois manquée. Désormais, les zones se traversent en dix foulées et trois coups de grappins pour le plus grand plaisir de la communauté des speedrunners. Tout va bien trop vite pour ces pauvres ennemis placés sur votre chemin qui ne pourront qu'au mieux espérer vous freiner à coup d'arquebuse. Le placement des ennemis, par ailleurs, est ici bien plus ordinaire et nous fais regretter les trouvailles de mise en scène sadiques des prédécesseurs.


Mais entendons-nous bien, le grappin offre une ouverture de level design appréciable et surtout une jouissance dans les déplacements rarement égalée. Le problème, c'est qu'il banalise la gruge. Un mort vivant qui se déshabille avant de tenter une course slalom pour allumer le feu primordial, c'est suspect. En revanche, un Shinobi qui virevolte au gré du vent et qui court sur les toits, quoi de plus normal. Ajouter à cela la possibilité de se glisser derrière les gardes pour les dépiécer en une pression de touche et le jeune pèlerin a bien vite de se retrouver face à un guerrier un peu trop tranchant sans même avoir appris les rudiments de la parade.


L'apprentissage est difficile, parfois maladroit, mais la satisfaction est toujours au rendez-vous. La première erreur serait d'attendre quelque chose de ce tutoriel formaté made in Activision bien loin d'égaler les enseignements du dévoué Hanbei l'immortel, PNJ typiquement From Software dans le registre tragico-grotesque dont le comic prévu à son effigie n'a rien d'un hasard tant il peut constituer ce qui se rapproche le plus d'un ami dans un monde à feu et à sang.


La deuxième serait de négliger la visite du domaine Hirata, zone techniquement optionnelle dont on peut questionner la manière dont elle est introduite tant elle apparait prégnante dans l'apprentissage de certaines mécaniques essentielles. La troisième, et la plus grave, serait d'essayer de jouer à Sekiro comme on joue à Dark Souls. Bien sûr, les cultistes du soleil seront affriandés très tôt avec un ogre tout droit sorti du royaume de Lordran, l'exportation lui ayant a priori permis de développer son moveset avec notamment un coup de pied sauté pas sans rappeler les grandes heures de Rob Van Dam. Formalité pour les vétérans, ce combat a des allures de leurre quand on se rend compte un peu plus tard que l'esquive n'a plus rien de la panacée.


Terminé les grandes chorégraphies à base de roulades. Ici, il faut croiser le fer et regarder son adversaire dans les yeux. La jauge de posture, remplaçante de l'iconique barre d'endurance, incite constamment à l'agressivité et modifie le comportement à adopter face aux boss. Ici, s'éloigner de l'ennemi pour reprendre son souffle a un coût. On comprend très vite que vider la barre de vie adverse n'est plus une finalité mais un artifice au profit de cette jauge de posture qui devient donc la clé de voute du battle design. Bien sûr, il est toujours possible de jouer au jeu du "je tape, je fuis" jusqu'à ce que mort s'ensuive mais comprenez qu'il n'est pas ici question d'une simulation d'escrime mais bien de l'aventure d'un Shinobi qui n'a pas grand-chose à perdre. En ce sens, la mécanique de résurrection en combat a une véritable pertinence puisqu'une fois le joueur blessé, elle permet de poser un dilemme entre le fait de prendre ses distances pour se soigner et donc perdre le rythme du combat, ou capitaliser sur la frénésie de l'attaque en espérant porter l'estocade avant de soi-même mordre la poussière.


Car oui, tout est question de rythme. Même si de là à comparer Sekiro à Just Dance, personne n'osera franchir le pas. Evidemment, entre combattre une girafe mille-patte dans une cave aussi noire que la gueule d'un loup et se déhancher sur le dernier tube de Bruno Mars, il y a une différence d'ambiance. Mais le principe reste le même, déclencher la bonne action au bon moment. Pour nous aider dans notre entreprise, des kanjis rouge vif apparaissent à l'écran pour prévenir des attaques qu'il ne vaut mieux ne pas encaisser. Cet indice visuel aux allures de facilité n'est en vérité pas du luxe tant le dynamisme des combats incite à affûter ses réflexes. Il n'occulte pas pour autant la lecture de l'adversaire puisqu'il sera toujours question d'identifier précisément la menace, oscillant généralement entre balayage, frappe d'estoc, et des choppes à l'efficacité chirurgicale (mention spéciale au singe gardien et son attaque plaquage qui pourrait faire passer Vigoroth pour un pokemon fainéant).


Sekiro dresse une lettre d'amour aux contres bien placés, désormais bien plus accessibles mais aussi bien plus fréquents. Quiconque ayant déjà jouer de la rondache face à un chevalier noir ne pourra qu'admettre que le contre Mikiri n'est finalement pas si difficile à exécuter. Ce qui ne l'empêchera pas de rester en mémoire comme l'une des feature les plus grisante et satisfaisante de l'histoire, au grand dam de ce pauvre Genishiro.



Le singe est toujours singe, fût-il paré de lunettes



Qu'on se le dise, Sekiro ne brille jamais autant que durant ses combats, si bien qu'au recommencement, l'aventure prend des allures de boss rush au doux de parfum de vengeance. D'un côté, l'histoire gagne en clarté ce qu'elle perd en richesse et en folie. De l'autre, le ratissage des zones n'a pas la même saveur sans son écrin RPG traditionnel. Gageons tout de même d'excellentes trouvailles dans l'exploration comme la partie de cache-cache avec le cousin de Frampt, la montée des toits kamikaze du château d'Ashina ou la désormais culte traversée du fort aux canons. On pourrait gentiment pester contre le recyclage des mini boss (tous disponible en deux exemplaires) ou pointer une diversité plus timide que dans ses aînées, mais là n'est pas le plus important.


Sekiro est un jeu de perfectionnement où les mêmes gestes devront être répétés jusqu'à parfaite maitrise. À ce titre, l'ultime boss fait figure d'examen final avec interrogation sur tous les acquis en plusieurs tests et une fois le diplôme en poche, je garantis que tous les obstacles franchis paraitront naturellement bien moins intimidants. L'absence de notion de build peut être un frein en vue d'une nouvelle partie mais Sekiro prends en revanche tout son sens en new game+. Moins de frustration, plus de plaisir, on va à l'essentiel sans se soucier de sa collection de perles de chapelet ou de son stock de confettis divins. C'est aussi l'occasion d'expérimenter dignement la puissance de l'arme prosthétique.


L'amélioration de de la prothèse est discutable, avec un arbre de compétences qui nous oblige à trouver et fignoler chaque outil et l'impossibilité d'en voir le bout au terme d'une partie. Pourtant, une fois son potentiel saisi, il sera difficile de trouver quelqu’un d'assez fou pour encore se moquer des manchots. S'il était possible de croiser le bien nommé Robert in game, celui-ci nous dirait surement qu'à chaque problème, les pétards sont une solution. Ma révélation personnelle : le parapluie chargé. Ne vous fiez pas à son look improbable, ce couvre-chef fait la pluie et le beau temps. Proprement amélioré, il peut sans problème mettre un chevalier en armure à genoux ou réduire un guerrier Shishimen à l'état de poussière. Finalement, chaque situation périlleuse peut être désamorcée avec une bonne stratégie, d'où l'importance de remettre en question ses approches avant de jurer comme Ishin après trois bouteilles de saké.


"Si tu ignores à la fois ton ennemi et toi–même, tu ne compteras tes combats que par tes défaites" disais le sensei. N'oubliez jamais que si le pur duel de sabre n'est pas dénué de noblesse, le Shinobi est un être espiègle par nature qui n'a d'objectif que la réussite de sa mission.


Le fait de pouvoir amputer les mini-boss d'une moitié de vie avant même de leur dire bonjour ne viendra pas contredire cela. La composante infiltration facilite l'appréhension des meutes d'ennemis et régalera sans problème les amateurs d'hémoglobine avec des animations ultra stylisées. Toutefois, une fois jeté dans l'arène, il n'est plus question de se cacher, ce qui peut amener à s'interroger sur l'intégration de cette dite composante. Le tryptique de singes, seul boss tirant parti de l'infiltration et accessoirement l'affrontement le plus absurde de l'aventure dans la lignée des combats les plus trollesques du studio, ne restera malheureusement pas en mémoire pour son game design perfectible.


Si Sekiro n'atteint pas l'ultra cohérence fascinante des Soulsborne, il parvient tout de même à en extraire l'essence de leur âme pour proposer une mutation énergique de la formule tout en ressuscitant par moments les vieux esprits du défunt Tenshu. À l'avenir, on se souviendra peut-être de cet opus comme une transition symbolique dans l'histoire du studio, sorte de pont-levis entre un passé glorieux et le besoin de se réinventer. Pour l'heure, on ne peut qu'espérer retrouver un jour de tels frissons en combat et baver comme un canidé affamé à l'idée de relever le challenge de la prochaine production du génie Miyazaki.


Et ça, c'est une fin de loup.

LeMalin
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le 28 mai 2019

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LeMalin

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