Shanghai Summer
Shanghai Summer

Jeu de Futu Studio et Astrolabe Games (2024PlayStation 5)

"C'était le dernier été de notre adolescence. Je me souviens du chant des grillons et de l'eau qui coule sur les galets, et des reflets que le soleil faisait danser dans ses cheveux de jais tandis que la rame du train oscillait sous les secousses et que le ciel lentement se teintait de ténè..."

HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA ! LA FERME, MAKOTO ! LA. FERME. ON EN PEUT PLUS DE TA GUIMAUVE ! FAIS QUELQUE CHOSE ! SORS EN BOITE ! INSCRIS-TOI SUR TINDER ! JE NE SAIS PAS ! MAIS SECOUE-TOI B*RDEL, C'EST PLUS POSSIBLE, LA !

ET RANGE-MOI CES GRILLONS !!!!!

Hum, pardon. Je m'emporte. Ça me fait toujours ça quand je pense à Makoto "Ranx xerox 9000" Shinkai, le légendaire photocopieur d'émotions lyriques en recto verso à 5 euros les 400 feuilles.

Inégalable rapport qualité prix, mais je m'égare.

Revenons à nos manettes, puisque c'est de manettes dont il sera question ici.

Pour moi, Shangai Summer a débuté par un petit miracle.

J'ai lancé le jeu, sans conviction, par simple curiosité... et je ne l'ai plus lâché.

Moi que les visual novels ennuient au delà de toute mesure (j'ai réussi à lâcher Steins Gate en cours, bon sang ! Steins Gate ! L'une des rolls du visual novel !) et qui n'ai jamais réussi à passer le cap de l'installation chez son oncle du protagoniste de Persona 5 (mais la ferme toi aussi p*tain ! Je suis un rebelle si je veux d'abord espèce de facho !), dès les premières secondes, j'ai été happé.

A quoi ça tient ?

Qu'est ce que j'en sais ?!

Je vous en pose, moi, des questions ?

Demandez à Makoto, je suis sûr qu'il a sa petite idée sur la question.

"C'était le dernier été de notre adolescence..."

Oui, non, finalement, ne demandez pas à Makoto, il pourrait être tenté d'en faire un nouveau film. C'est-à-dire le même que l'ancien, mais avec des noms de personnages différents.

En ce qui me concerne, je pense que c'est avant tout une question d'ambiance : les graphismes sont plutôt mignons, avec une belle 2D manga ni moe, ni kawaii, et des couleurs doudou flirtouillant tellement avec le pastel qu'on se demande si elles ne l'ont pas friendzoné. On est bien, on est beau, bien au chaud sous son pled, c'est cosy, à déguster avec un bâtonnet d'encens qui fume et un thé chaud gingembre bergamote, au son d'un soundtrack plutôt chill, parfaitement dans le ton, qui se laisse écouter le cœur en bandoulière, comme disent les joueurs de guitare.

Ça tient à l'écriture, aussi, qui a le bon goût de ne pas se délayer jusqu'à ce que "skip le texte" s'ensuive ni de s'éparpiller en scènes anecdotiques aussi inutiles qu'interminables (non, Jean-Claude Visual Novel, un bon dialogue, ce n'est pas dire en cent soixante dix mille mots ce que tu peux exprimer en trois, tu n'es pas payé à la ligne alors lâche ce mode story de Persona Arena Ultimax, c'est censé être un jeu de baston, ça fait une heure que j'appuie juste sur X pour passer les répliques à rallonge) (y a-t-il un vrai jeu de combat dans Persona Arena Ultimax ? Sans doute ne le saurai-jejamais). Et là, vous rétorquerez très finement : "Mais Liehd, si tu n'aimes pas les visual novel, pourquoi tu en achètes ?". Ben parce que ça peut être bien, pardi, quand ça ne se lustre pas trop le nombril, que ça s'écrit correctement et que ça ne fait pas durer pour faire durer, parce que passer 70 heures sur un truc rédigé comme une fan fic de quinzième zone, ben non, navré, tant pis pour les images, je préfère prendre un bon bouquin. J'ai adoré 999, Tokyo Chronos, Beyond Chronos, et allez, même Shibuya Scramble, tiens (même s'il étale bien la confiture sur sa tartine de pas grand chose, souvent).

Et maintenant : Shangai Summer. Qui prend son temps, qui ne bâcle pas, qui installe ses protagonistes en temps réel, mais qui ne joue pas non plus la montre en étirant le moindre échange de civilités pour faire couleur locale (comme si dans la vraie vie on passait trente ans à se dire bonjour) en une interminable compilation de clichés slice of life à la Makoto. Mention spéciale à ces têtes connues qui, tout en allant chercher du côté de stéréotypes ayant fait leurs preuves, savent se démarquer avantageusement de leurs prédécesseurs, mais si, vous savez, ceux dont c'était le dernier été d'adolescence, là, avec les pétales de cerisiers et le bambou plein d'eau qui fait POC POC pendant que la couleur tombée du ciel s'invite dans les dégradés de nuages. Des personnages qui ont le bon goût de n'être ni assez parfaits pour être ennuyeux, ni assez névrosés pour être fatigants, ni Shinji, ni Squall, ni Galadriel Wish des Anneaux de Pouvoir ; une galerie relativement authentique et qu'on apprend à apprécier pour leurs qualités et pour leurs défauts, délicieusement ordinaires. Et sympathiques d'autant, contre toute attente. Ainsi est-on séduit d'emblée par le couple principal du jeu, qu'on encouragera mentalement aussi longtemps que dureront leurs chassés-croisés, d'une bad ending à l'autre qui tiennent souvent moins de la punition que de la récompense, un comble.

Quant au récit à proprement parler, s'il est cousu de fil blanc (on voit arriver le twist dès l'écran noir des premières minutes), il a le bon goût de progresser rapidement, mais pas trop, de constamment relancer la machine narrative en nous baladant d'une réalité à l'autre avec un sens du rythme et de la tension exemplaires. Comme je l'écrivais plus haut, on ne s'ennuie jamais, ce n'est pas là le moindre de ses mérites. Si bien que malgré sa trame fantastique convenue et son refus du sensationnalisme émotionnel, on se régale de ce chaos doux amer en dernier hommage à nos illusions perdues.

Car ce qui touche vraiment le public visé par le jeu, je pense, ce sont les angoisses existentielles, bien que banales, auxquelles il développe un écrin sur mesure en écho à ces voix à l'intérieur que nous entendons tous un jour ou l'autre qui nous murmurent "et si ?". Baichuan a vingt ans passé, il est dans l'entre deux, plus un enfant, pas un adulte. Il sait qu'il devrait, maintenant, mais il ne sait pas comment faire. Lui manque un mode d'emploi. Alors il s'interroge, il se torture : "si j'avais choisi ça, si j'avais choisi elle, où est ce que j'en serais aujourd'hui, où est ce que j'en serais demain, et d'ailleurs y a t il un demain pour moi qui vis au jour le jour ?" Autant d'incertitudes que le chat de Kiki la petite sorcière va lui donner l'opportunité douloureuse de surmonter, non sans essais-erreurs (et quelques rares phases interactives totalement superflues et à la finalité ludique incompréhensible, en cela qu'il est impossible de se tromper), en le confrontant à sa vie, ses vies, dans l'infini de ces univers parallèles auxquels ses décisions auront conduit et où il s'épanouit, ou périclite, en une infinité de variations sur son même thème. Autant de choix, autant de "lui", mais qui ne sont pas lui et dont il va emprunter les baskets le temps de quelques heures, pour mettre les siennes en perspective, et par cela apprendre à distinguer ce qui compte à ses yeux de ce qui n'a aucune importance, jusqu'à ce qu'il surmonte ses traumas de vaudeville et qu'il accepte de vivre pour ce qu'il est : le seul Baichuan de sa réalité, qu'importe s'il en existe des milliers d'autre ailleurs.

Et attends, Baichuan, mon poto, t'as pas encore 40 piges, je veux pas te spoiler mais là tu vas vraiment prendre cher, on en reparlera dans Shangai Autumn si tu veux, t'inquiète, ça va aller très vite, à peine le temps de finir le DLC d'Elden ring et tu commenceras à avoir mal à ton dos.

Tout ça pour dire que les grands angoissés d'un certain âge mais qui ont su conserver l'âme de leur dernier été d'adolescence se retrouveront avec bonheur et un rien de mélancolie dans ces personnages en recherche, du temps perdu, du temps à perdre, du temps à regagner, un brin autistes, qu'on dirait tout droit sortis de Persona 3, sans le blabla interminable et les tropes japanim'. Aussi est-ce sans déplaisir qu'on fera un bout de chemin à leurs côtés et leur tiendra la main par touches interposées, sans pathos, ni narcissisme, ni lyrisme forcené, juste de la bienveillance et beaucoup de sincérité.

Trois petites heures leur suffiront pour apprendre (et nous rappeler) que le salut, parfois, souvent, dépend des autres, qu'aucun individu n'est une île, qu'il n'y a qu'en s'ouvrant que l'on peut survivre et que ça vaut tous les "et si ?" du monde. Quelques petites heures, ce sera presque trop peu, tiens, pour changer. Si tout est à sa place et si rien ne manque, on les aurait volontiers accompagné encore un petit moment, histoire de s'assurer que vraiment, tout va bien, qu'ils vont pouvoir s'en sortir sans notre aide.

Le dénouement lui-même se refuse au sensationnel et au crincrin des violons qui pleurnichent. Tout est dans la nuance, toujours, dans Shangai Summer.

Tout est dans le regard qu'on s'autorise parfois à lancer à travers la vitre du bus, pendant que le village natal s'éloigne et que le paysage défile et que les roues nous entrainent vers l'avenir.

Avec, parfois, un éclat de soleil qui danse dans des cheveux noir de jais.

Ha, qu'il est loin, le dernier été de mon adolescence...

Liehd
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le 22 févr. 2024

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