Sherlock Holmes: Chapter One
7.2
Sherlock Holmes: Chapter One

Jeu de Frogwares (2021PlayStation 4)

Il y a un grand jeu qui sommeille au sein de ce Sherlock Holmes : Chapter One; un jeu d'enquêtes pétri de bonnes intentions, d'histoires à raconter et de dilemmes tortueux à résoudre; un jeu qui dépoussière le mythe littéraire dont il s'inspire sans en renier la spécificité; un jeu qui sollicite la réflexion du joueur...Et plus important encore, son jugement moral. Oui, Chapter One est un jeu qui n'a pas peur de poser les bonnes questions; de confronter le joueur à des notions de culpabilité individuelle, de drames sociaux et de justice imparfaite; il intègre ainsi dans sa moelle épinière la composante principale de Sherlock Holmes, encore jeune détective en devenir : l'importance de révéler au monde les vérités déplaisantes que son frère Mycroft s'évertuerait habituellement à étouffer au nom du bien commun et de la couronne. Si le sempiternel carton d'avertissement à l'égard des hystériques de Twitter a de quoi faire sourire en premier lieu (le fameux "Il y a du racisme dans ce jeu mais on n'est pas racistes pour autant." No Shit Sherlock. :p), je dois bien avouer avoir été étonné plus d'une fois de la gravité des thèmes abordés dans le jeu, d'autant plus impactants qu'ils se déroulent dans un univers parfaitement crédible, en dépit de son cadre fictionnel.


Cordona offre déjà en soit un décor atypique dans le médium du jeu vidéo (on songerait volontiers à la cité de Karnaca dans Dishonored 2) mais elle se distingue nettement par cette volonté de réalisme et de crédibilité; éléments qui trouvent également écho dans l'écriture du personnage principal. Sherlock est condescendant, désagréable, pas forcément courtois avec la gente féminine et très vite enclin à vanter sa propre intelligence; bref c'est bien le personnage écrit par Conan Doyle que nous retrouvons ici et le récit jonglera assez habilement entre les prouesses déjà éloquentes de son héros et le périple initiatique qu'il entame en revenant sur les lieux de son enfance; avec le cheminement mental qu'il lui faudra accomplir pour devenir le célèbre détective arrogant.


Oui, il y a un grand jeu au sein de ce Chapter One, mais ce grand jeu, il vous faudra le chercher et nul doute que tous n'y parviendront pas; tout comme je ne blamerais personne d'être rebuté par la démarche assez laborieuse de ce titre dans son ensemble. Depuis ces productions récentes, Frogwares semble presque embarrassé (pour ne pas dire complexé) de ne proposer que des jeux d'enquêtes mélangeant énigmes, narration et investigation; c'était pourtant la réussite de leur meilleure oeuvre Crimes and Punishment dans cette formule épurée mais ce Chapter One s'efforce à nouveau de proposer une structure plus traditionnelle à l'égard de l'industrie du jeu vidéo, en la présence d'un Open World à parcourir de long en large au cours de vos pérégrinations; un Open World dont je me questionne encore sur la véritable utilité, sans le répudier entièrement. Ce monde ouvert est dans l'absolu basé sur les mêmes mécaniques que Sinking City et vous ne serez ainsi pas dépaysés si vous aviez déjà tentés la précédente exploration Lovecraftienne du studio :


-Ici pas de découverte assistée ou de tracé jaune à suivre; le joueur doit positionner lui même sur la carte l'emplacement supposé des lieux d'enquêtes avant d'aller vérifier son hypothèse par ses propres moyens.


-Les archives de police, de la presse et les documents officiels vont aideront également au cours de vos réflexions.


-Spécificité de ce Chapter One : la segmentation sociale de Cordona est directement intégrée au gameplay puisque la plupart des locaux refuseront de s'adresser à un Anglais visiblement issu d'une classe aisée; qu'à cela ne tienne, le déguisement approprié vous permettra de délier bien des langues sur votre chemin; une mécanique un peu trop simpliste pour être pleinement convaincante mais qui a le mérite de mettre en évidence l'art du subterfuge qu'affectionne habituellement Sherlock Holmes.


Et à part tout ça? Hé bien, pas grand chose...Il est à nouveau étonnant de constater la taille de l'Open World par rapport à l'espace réel utilisé durant l'aventure ; peut être faut-il y voir la marque d'un contenu conséquent abandonné en cours de développement mais peut être aussi la stigmate d'un AA un peu trop ambitieux pour son propre bien. Si l'exploration n'est pas forcément déplaisante, puisqu'elle sollicite fréquemment la réflexion du joueur, elle tend néanmoins à diluer quelque peu sa concentration durant la résolution des enquêtes, particulièrement celles qui composent l'aventure principale et s'étendent sur une longue durée; un conseil par ailleurs, ne commencez pas une mission secondaire avant d'avoir achevé l'enquête en cours au risque de vous éparpiller complètement.


Enfin puisqu'il est visiblement impossible qu'un jeu vidéo soit entièrement dénué d'action de nos jours, Sherlock Holmes doit également faire parler la poudre durant des séquences d'action...saugrenues. Au début, vous vous demanderez même qu'est ce que c'est que ce bordel lorsque dix hommes armés arrivent soudainement pour tendre une embuscade à Sherlock sous le moindre prétexte narratif et il en sera, hélas, de même jusqu'à la fin de l'aventure. Complètement surréaliste dans le cadre du récit, ce système de combat n'est néanmoins pas totalement dénué d'intérêt, même s'il peine grandement à s'harmoniser avec le reste de l'expérience; l'objectif encouragé ici est d'épargner les adversaires de Sherlock en faisant usage de l'environnement; un challenge supplémentaire qui apporte un peu de stratégie aux affrontements tout en mettant en valeur les talents de tacticien du jeune détective. Mais à nouveau, il n'est pas impossible que vous soyez consternés par la démarche; fort heureusement, et contrairement à un Devil's Daughter désespérant en la matière, les combats sont ici grandement minimisés par rapport au reste de l'aventure (à peine 10% du temps de jeu réel) et une option est même disponible pour vous en épargner la peine si nécessaire; une nouvelle preuve d'un développement peut être plus indécis qu'il n'y paraissait.


Car oui, ce Chapter One est vraiment l'archétype d'un AA malmené par un trop plein d'ambitions; de sa mise en scène qui se voudrait inventive mais se révèle trop souvent maladroite et hachée; de sa technique complètement cahoteuse sur Playstation 4 jusqu'à sa bande sonore à la qualité variable (l’interprète principal de Sherlock est convaincant mais le reste du casting est parfois inégal); une seule qualité demeure globalement constante : celle de son écriture et elle s'avère suffisamment travaillée pour outrepasser les défauts récurrents de cette enquête interactive. Car lorsque le jeu se concentre enfin sur l'enquête, tout fonctionne à merveille pour épauler efficacement la narration; enfin épargné par les mini-jeux indigestes de Devil's Daughter, les outils mis à la disposition du joueur sont divertissants et en adéquation avec l'imaginaire associé au célèbre Détective, de son palais mental à la collecte d'indices jusqu'aux analyses chimiques. Et cette écriture méritait bien cet embellissement car elle fait de surcroit l'effort de soigner également les nombreuses enquêtes secondaires qui parsèment l'île de Cordona, qu'il s'agisse de proposer au joueur un challenge plus prononcé dans la résolution de ces mystères intrigants ou même d'offrir d'autres dilemmes moraux qui viendront ébranler les convictions du jeune Sherlock. C'est bien simple; il faut bien remonter jusqu'à Witcher 3 pour retrouver un jeu qui peaufinait autant son écriture interactive que la distinction entre quêtes principales et secondaires devenait à ce point floue.


Je me dois néanmoins d'adresser un écueil à l'égard de cette écriture, et non des moindres; le défaut récurrent qui empêche véritablement ce Chapter One de surpasser Crimes and Punishment à mes yeux. Le récit met en place dès ses premiers instants une complicité entre Sherlock et son ami imaginaire, Jon (dont la nature chimérique est révélée dès le commencement de l'aventure); un allié indéfectible qui va accompagner Sherlock durant l'introduction du jeu et le soutenir dans la résolution de ces enquêtes...Du moins en théorie, car dans la pratique, Jon est un personnage puéril et inutilement distractif, qui va s'amuser à faire le pitre sur toutes les scènes d'enquêtes sans que la présence de cet ami imaginaire ne soit réellement questionnée par l'entourage de Sherlock durant ses moments de silence sur les scènes de crimes. Ni spécialement attachant, ni spécialement amusant, Jon trouve clairement une utilité à l'égard de la tonalité globale du récit et de l'émancipation de l'enfance que Sherlock doit atteindre mais sa mise en œuvre est assez maladroite, pour ne pas dire franchement grossière; le personnage est d'ailleurs tellement en roue libre que les développeurs s'amuseront à lui confier un nombre ahurissant d'Easter Eggs et de références, parfois un peu malvenues (une habitude parfois lassante jusque dans les derniers moments du récit).


Dommage car sans la présence de cet inconvenant partenaire, imposé par le récit, Chapter One n'était pas loin de constituer un véritable coup de cœur en matière de narration. Il n'en demeure pas moins une incarnation brillante du mythe de Conan Doyle, s'attardant de surcroit sur une facette peu exploitée de son imaginaire (les balbutiements identitaires de son héros qui évoqueront peut être à certains le lointain film le Secret de la Pyramide) et qui n'a clairement pas à rougir face à la célèbre réinterprétation moderne que nous affectionnons tous. Nul doute que ce nouveau départ constituera une base solide pour les prochaines aventures du jeune détective, dont la prochaine confrontation avec Cthluhu devrait notamment offrir de belles perspectives en matière de moralité malmenée et de vérité indécise. En espérant tout de même que l'enquête sera véritablement le mot d'ordre de ces futures fictions interactives sur les dilemmes de Sherlock.


P.S: Etant donné la malheureuse situation du studio Frogwares, à l'heure du conflit en Ukraine, un Kickstarter est également disponible si vous souhaitez soutenir plus concrètement la prochaine création de ses développeurs talentueux.


https://www.kickstarter.com/projects/frogwares/sherlock-holmes-the-awakened

Créée

le 30 août 2022

Critique lue 191 fois

4 j'aime

Leon9000

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