Jump scare.
Je bondis sur ma chaise, me recule précipitamment, manque de tomber à la renverse.
Le coup de flippe. rendez-vous compte : un Silent Hill inédit. Jamais annoncé. Jamais teasé. Offert sans contrepartie. Par Konami. L'éditeur qui a vendu son âme pour quelques dollars de plus en fin d'année 90, avec ses principales icônes qu'il a prostitué dans des machines à sous.
Mais que se passe-t-il ? Pourquoi ? Comment ?
Les fantômes des Noëls passés, présents et à venir auraient-ils visité les actionnaires majoritaires ?
C'est en tout cas un beau cadeau offert aux heureux possesseurs de la Playstation 5.
Fort d'une durée de vie d'environ 2 heures et d'un contenu visuellement attrayant, allant jusqu'à intégrer quelques séquences vidéos live, cette promenade horrifique à la première personne aurait pu être vendue 10-15 euros sans voler le chaland.
Plus surprenant encore : l'intention est d'autant plus louable que le jeu entend sensibiliser le grand public à des problématiques sociétales tristement d'actualité.
Avec, en récompense finale, un inédit du tandem Yamaoka/Mc Glynn.
Cathartique, forcément.
Voilà.
C'est tout ce que j'ai de bien à écrire au sujet de ce Short Message, et ça ne fait quand même pas lourd au moment du bilan (sauf s'il n'y a que l'intention qui compte auquel cas c'est un 10/10).
Un cadeau, oui.
Mais pas pour tout le monde. En l'occurrence, pas pour les fans de la licence, que le titre trahit à tous les niveaux ou presque, de sorte qu'on a de bout en bout la sensation d'une IP générique à laquelle on aurait collé l'étiquette Silent Hill pour entretenir la hype, et tant pis si elle dépasse des deux côtés.
Premier défaut majeur : l'écriture. Ce n'est pas juste correct. Ce n'est pas moyen. C'est nul. Complètement nul. Mal écrit, maladroit, prévisible, agaçant. Dès les premières minutes, on retombe sans complexe dans une des tares principales des AAA modernes, voire de la société du XXIe siècle en général : ça parle TOUT LE TEMPS, comme chez le psy, ça ne s'arrête jamais ou presque, et piapiapia, et piapiapia, et piapiapia, pour ne rien dire, juste meubler le silence, non mais vous vous rendez compte, « meubler le silence », dans un jeu qui s'appelle SILENT Hill, le contresens total, « et que je suis triste », « et que je ne sais pas pourquoi je suis là », « et que je suis fatiguée », « et que le monde il est trop méchant », « et que personne ne m'aime », « et que y'avait plus de miel pops au magasin », notre héroïne ne ferme jamais sa gu*ule, c'est infernal, elle est prisonnière d'un immeuble désaffecté et poursuivi par une bestiole mutante à la tronche en chou fleur, mais sa priorité, c'est d'écrire son journal intime au dictaphone ; et je suis convaincu que si la bestiole la poursuit, c'est juste pour la faire taire une fois pour toute, parce que les fantômes ils voudraient chiller tranquille dans l'au-delà sans se fader les états d'âmes adulescents d'une émule de Véra dans le dernier animé Scooby Doo. Personnage détestable s'il en est tant il est geignard, narcissique et superficiel, et oui, bien sûr, la licence a une longue tradition d'antihéros à son actif mais elle s'est jusqu'à présent toujours arrangée pour les rendre un tantinet sympas, un tantinet tragique. On ne pourra pas en dire autant d'Anita ici tant sa détresse est constamment empreinte de complaisance et de misérabilisme en mode « moi, moi, moi », et à plus forte raison quand on tente de nous émouvoir d'emblée avec le fait qu'elle n'a pas assez d'abonnés sur Instagram et qu'on lui demande de sourire sur ses photos. Le jeu a beau essayer de faire passer la pilule avec un document explicatif comme quoi c'est une réelle source de mal être chez les nouvelles générations, les vieux cons de la mienne auront du mal à ne pas soupirer en pensant aux gosses dans les favelas ou dans les usines de chaussures.
Et attendez, quand elle ne raconte pas sa life toute seule genre « bonus DVD : les commentaires audio du perso principal », accroche-toi bien à ton slibard Lothar, elle discute par textos avec ses besta. Dans un Silent Hill. Tranquille. On s'arrête, on sort le phone, on papote en forfait illimité avec 15 gigas offerts. Non mais allo, quoi. « Tu veux faire les boutiques demain ? » « Attends, faut d'abord que je sème Pyramid Head, mais allez, on se dit devant chez toi à 15h ? ».
Le jeu s’appellerait « Oxenfree : short message » ou « Life is Strange redux » que l'on n'y trouverait déjà moins à redire.
Du coté du scénario proprement dit, on baigne en plein cliché, tout est facile à anticiper, prétentieux, incohérent et tellement porté sur la surenchère qu'on se croirait un jour de soldes chez Mireille Dumas : on y parle suicide, automutilation, maltraitance familiale, harcèlement scolaire, dérive des réseaux sociaux, mal être lycéen dans une volonté pédagogique admirable, sauf qu'on balance tout ça pêle-mêle à l'arrière de la bétonneuse, on laisse tourner deux heures, puis on badigeonne les briques, on tartine, on en rajoute, et on en rajoute par-dessus, et on en rajoute encore par-dessus, de sorte que le propos s'étouffe lui même à trop vouloir en faire.
Difficile également de ne pas comparer avec le The Missing de 2018, tant Short Message semble se calquer sur lui sans jamais parvenir à être aussi poignant, aussi dérangeant, aussi percutant et aussi poétique. Autant dire qu'il vaut mieux payer pour ce dernier que jouer gratuitement à ce Layers of Fear du pauvre.
En parallèle, le jeu essaie de développer un brin de lore inutile pour tenter de donner une substance fantastique à ce drame psychologique pourtant assumé comme tel, sauf que là encore, problème : ce lore n'a absolument rien à voir avec celui de la saga originelle, lorgnant plutôt sans grande originalité sur les légendes urbaines à la mode dans les cour d'écoles.
Comme si ça ne suffisait pas, le jeu s'échine à cocher mécaniquement toutes les cases du produit de son temps : il y est question d'arts de rue (parce que c'est rebelle t'as vu pas comme les machins dans les livres des vieux de dans le temps), une trinité sororale ambiguë pour que chacun-chacune puisse donner libre cours à ses fantasmes saphiques, des méchants parents vraiment très méchants, tout est là pour faire de l'appel de pied à l'ado Twitter, jusqu'à cette héroïne ni belle ni moche, un peu typée mais pas trop et sans qu'on puisse dire dans quel sens, à laquelle on a bien fait attention à coller des cheveux un peu sales, un nez un peu rond, quelques petites machines à complexe ça et là histoire de dire qu'on fait pas dans le glamour hollywoodien, mais sans trop l'enlaidir non plus parce que le progressisme à ses limites. Le tout étant tellement forcé qu'on n'y croit qu'en vue subjective.
Mais qu'à cela ne tienne, si encore à côté de ça l'aspect ludique ou horrifique tenait la route, on pourrait prendre sur soi, serrer les dents, couper le son, laisser courir, au sens propre, sauf qu'à ce niveau, là encore, c'est un désastre.
Niveau horrifique, sans exagérer, ça se limite à des messages méchants taggués sur les murs, quelques post-it, des pleurs d'enfants et une tête de poupon qui tombe d'une étagère. En 2024. Une tête de poupon qui tombe. Ha ben merci les gars, c'est bien d'avoir fait l'effort. Je vais la ranger dans l'armoire avec toutes celles qui sont tombées ces vingt dernières années dans des jeux de seconde zone. Je veux dire, ok, je ne suis pas sensible aux charmes des jeux d'horreurs en vue à la première personne, je trouve ça souvent pauvre et trop peu inventif, là où au contraire les développeurs devraient se lâcher (Here They Lie faisait ça très bien) mais là, en l’occurrence, on est au niveau zéro de l'angoisse ou de la créativité. Une tête de poupon qui tombe. Sur deux heures de jeu.
A côté de ça, le monde de rouille est de retour, pourquoi, on ne sait pas, ta gu*ule c'est Silent hill, et dans le monde de rouille (et le monde de rouille uniquement, histoire qu'on sache bien où on est en danger et où on ne l'est pas, histoire que ça ne fasse pas trop peur non plus), on est poursuivi par un monstre Interflora qui te tue s'il t'attrape comme dans les jeux Slender pas cher du début des années 2000. Il s'agit donc de courir en zig zag pour le semer et sortir de la zone où il sévit. Un gameplay qui était déjà daté il y a quinze ans, et que même Shattered Memories exploitait avec plus d'intelligence et d'a propos. Grou grou, je suis pas beau, attention, je te cours après, si je t'attrape c'est toi le chat. Du Scoo-bi-Doo. Ou non, plutôt, disons : du Benny, plus que du Silent. De quoi regretter d'ailleurs qu'Anita se taise providentiellement pendant ces phases-là parce que j'aurais adoré qu'elle persiste dans ses soliloques à voix haute : « LA JE SUIS BIEN CACHEE IL NE ME TrOUVErA JAMAIS !!!! HA MAIS MINCE SI COMMENT IL A FAIT C'EST DE LA TrICHE ! ».
« Aïe, le monstre est en train de me mâcher, c'est très douloureux, vite il faut que je le tweete ».
Du coup, ce qui devait arriver arriva : on n'a pas peur, jamais.
Ajoutons néanmoins deux énigmes environnementales en tout, et voilà, on a fait le tour, on peut désinstaller le machin et le ranger dans le même dossier que Final Fantasy XVI, pour l'y laisser croupir jusqu'à la fin des temps.
Même les musiques d'Akira Yamaoka sont ternes et sans saveur, à l'exception de la chanson finale, à tel point que je me suis demandé tout le long si c'était bien lui à la compo, et pas un piètre imitateur.
C'est dire si c'est raté.
Et c'est dommage parce qu'on aurait pu se réjouir de voir la licence s'écarter de ses sentiers battus et ruelles attenantes, que d'autres s'emparent du mythe pour le sortir de sa zone de confort et lui apporter un nouveau souffle personnel, si les deux premiers projets dévoilés n'étaient pas complètement à côté de leur plaque commémorative.
Reste ici l'intention, alors, que l'on doit saluer, mais comment la louer vraiment quand Hellblade traitait de thèmes aussi délicats en 2017 avec une finesse et un antimanichéisme à des lieues de ce que propose ce message formaté comme un flyer de prévention dans une maison pour tous.
Un Silent Hill pour la génération safespace, bonjour le contresens.
Like et retweete si toi aussi tu as la phobie des triangles.